Pour en finir avec les Plaines

l'opposition à cette commémoration ridicule ne devrait pas venir que des nationalistes.

1759-2009: 250e de la bataille des Plaines d'Abraham



Pour souligner le 250e anniversaire de la bataille des plaines d'Abraham, la Commission des champs de bataille nationaux organise tout un festival: expositions, colloque, animations, bal masqué et reconstitutions. Oui, oui, vous avez bien lu, reconstitutions. Trois mille reconstituteurs historiques bénévoles en costume d'époque reproduiront la victoire des troupes anglaises sur les troupes françaises. Yes! Ça, c'est le fun! On va mimer la mort des hommes. On va mimer la mort des nôtres!
Voulez-vous bien me dire c'est quoi l'idée de reconstituer une bataille, peu importe laquelle? La guerre n'est pas un jeu. En 2008, c'était le 40e anniversaire du massacre de My Lai. Pensez-vous que les Vietnamiens, par devoir de mémoire, ont reconstitué l'événement? Que des bénévoles se sont habillés en soldats américains pour faire semblant de massacrer des civils? Va-t-on reconstituer le débarquement de Dieppe et s'amuser à crever sur une plage? Ce n'est pas parce que les soldats français et anglais avaient de beaux costumes que leur mort n'était pas aussi horrible. Les vieilles guerres sont aussi sales que les nouvelles. Par respect pour les militaires qui meurent en Afghanistan, on ne fait pas un party d'Halloween avec ceux qui sont morts sur les Plaines. Messieurs les reconstituteurs, trouvez-vous un autre passe-temps. Si vous aimez vous déguiser, faites de la danse sociale ou imitez Dalida dans un karaoké, mais laissez tranquilles nos ancêtres morts au combat.

On ne fait pas un carnaval avec une bataille militaire. On dépose une gerbe de fleurs. On salue un monument. On écoute pleurer une trompette. C'est tout! On ne fait pas des bals masqués et des rigodons. Pensez-vous que, pour souligner la bataille de Pearl Harbour, Barack Obama se mettrait à danser le limbo avec Michelle? C'est un manque de respect total envers les vaincus. En plus, les vaincus, c'est nous, les colons qui allons inviter les Anglais à venir célébrer leur victoire à nos dépens. Only in Quebec! Maire Labeaume, réveillez-vous! Inviter Paul sur les Plaines, c'était plaisant! Inviter Wolfe, c'est pousser votre luck pas mal! C'est bien beau, vouloir des touristes à tout prix, mais il faut quand même garder une certaine sensibilité, une certaine fierté. Le carnaval des sadomasochistes avec le Bonhomme vêtu d'une ceinture en cuir et des pics, ça attirerait du monde aussi!
Ce n'est pas nier l'histoire que de s'opposer au projet de la Commission des champs de bataille nationaux. Au contraire, c'est la respecter. En 2251, je suis sûr que les gens ne se rassembleront pas à New York pour reconstituer le 11 septembre. Il n'y aura pas de cascadeurs qui vont se lancer du haut des immeubles. On va se taire. On va prier. C'est ça, respecter l'histoire. Le silence. Pas la foire! Pas le bruit des caisses enregistreuses!
Soulignons le 250e anniversaire de la bataille des plaines d'Abraham en se la fermant. En pensant à ce que nous avons fait de ce coin de terre pour lequel des hommes ont donné leur vie. Méritons-nous leurs sacrifices? C'est ça, se souvenir d'une guerre. Pas jouer aux soldats de plomb.
Si on veut faire une fête, une vraie fête, si on veut se déguiser et danser, il faut commémorer les moments heureux de l'Histoire. La fondation de la ville de Québec était une belle raison de fêter. La création d'une équipe de hockey qui nous a donné tellement de héros en est une autre. Mais la commémoration d'une conquête, d'une soumission, ça se fait sobrement. Respectueusement. Sans profit. Sans mascarade.
La ministre fédérale responsable de la région de Québec, Josée Verner, semble bien décidée à ne pas céder aux pressions de ceux qui s'opposent à cette initiative insolente. Et, ce qui n'arrange rien, Denis Coderre est même de son bord. C'est dommage. Parce que l'opposition à cette commémoration ridicule ne devrait pas venir que des nationalistes. Que des Marois, Duceppe et Falardeau. Elle ne devrait même pas venir que des francophones. Oui, c'est niaiseux que nous célébrions nous-mêmes notre défaite. Les Français ne soulignent pas pendant quatre jours leur Waterloo. Il faut croire que nous sommes particuliers. Mais au-delà de la psychanalyse dont nous aurions grand besoin, toute l'approche de cette commémoration est condamnable autant pour un gars de Chicoutimi que pour une fille de Vancouver. La guerre, en aucun cas, ne peut être prétexte à la fête. Et les organisateurs ont beau dire que ce n'est pas une célébration, ils nous trompent. Ça va être un party. Sur le site de la Commission des champs de bataille nationaux, on indique que la commémoration de la bataille des plaines d'Abraham est classée parmi le top 100 des manifestations de l'année 2009 par l'American Bus Association. Les Américains ne viendront pas en autocar à Québec pour commémorer sobrement. Ils seront tout sauf sobres quand ils vont remonter dans leur autocar quatre jours plus tard.
Je pense que c'est notre droit, et même notre devoir, de nous opposer à ce que des gens fêtent la défaite de nos ancêtres. Et leur mort honorable. Car ils n'ont pas tout perdu. Ils ont sauvé l'essentiel. Deux cent cinquante ans plus tard, il y a encore des gens qui parlent leur langue, qui les défendent, et qui veulent tout simplement qu'on les laisse en paix. Qu'on leur foute la paix! La sainte paix!


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