Portrait de Pierre Bibeau: sacrifié pour des billets de faveur

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L'apparatchik véreux

(QUÉBEC) «Les Services sociaux... C'est bien, tu vas aimer ça!», laisse tomber Pierre Bibeau. En décembre 2008, Lise Thériault vient de rencontrer Jean Charest, qui lui a appris qu'elle redeviendrait ministre le lendemain. Et aussitôt, elle informe au téléphone son parrain politique de la bonne nouvelle.
Ce parrain, c'est Pierre Bibeau. Il connaissait probablement le point de chute de sa protégée avant même qu'elle ne lui dise. La Presse, par hasard, avait eu connaissance de l'échange téléphonique illustrant on ne peut mieux l'influence politique qu'exerçait cet éternel apparatchik, qui a su se rendre indispensable aux yeux des Robert Bourassa, Claude Ryan et Jean Charest.
L'homme a paru bien vieilli, hier, s'emberlificotant dans des explications étranges sur la fermeture subite de ses coffres bancaires à la caisse populaire, 10 jours après le témoignage accablant de l'entrepreneur Lino Zambito. Ce dernier a déclaré en octobre 2012 qu'il avait donné 30 000$ à Bibeau pour le financement du PLQ. Depuis, Bibeau a toujours nié ces allégations avec énergie. Hier, il disait avoir décidé de réunir tous ses papiers pour préparer son testament, laissant entendre qu'il avait songé à mettre fin à ses jours. Car l'homme était anéanti après avoir été éclaboussé par la Commission. On peut penser que si la police avait trouvé quelque chose de tangible dans les allégations de M. Zambito, M. Bibeau aurait dû s'expliquer avec l'UPAC, pas devant la commission Charbonneau, hier.
«La politique, c'est basé sur la connaissance des individus», a d'entrée de jeu expliqué Bibeau hier, relatant son parcours de marathonien de l'organisation politique. Certes, l'apparatchik doit distinguer «ceux qui livrent, et ceux qui ne font que parler», mais Bibeau, au fil des ans, a tissé un impressionnant réseau sans faire cette distinction. Déjà au début des années 70, il milite au sein de la commission jeunesse avec Jacques Chagnon, actuel président de l'Assemblée nationale. Quand Claude Ryan le choisit comme organisateur en 1978, le jeune diplômé de sciences politiques est déjà un ancien. En fait, jusqu'à sa nomination comme président de la RIO en 1989, Bibeau n'aura eu qu'un seul employeur, le PLQ.
Vaste réseau
Quarante ans plus tard, son réseau déborde largement son parti. Peu de gens peuvent se targuer de compter parmi leurs amis tant Louise Harel que Denis Coderre. Son amitié avec l'ex-ministre péquiste lui a valu plusieurs mois de sursis à la tête de la Régie des installations olympiques lors de l'arrivée du PQ au pouvoir. Il atterrira plus tard à la tête de la Société du parc des Îles, grâce à Pierre Bourque, lui aussi un ami.
En 2001, Bibeau retourne à la politique. Jean Charest, le sauveur battu aux élections de 1998, peine à s'imposer au sein du parti. Les sondages sont défavorables, le milieu des affaires a des attentes élevées. Bibeau et Ronald Poupart, deux vétérans de l'ère Bourassa, sont appelés à la rescousse pour permettre à ce conservateur d'Ottawa de tisser des liens avec l'establishment du PLQ.
Dans l'orbite autour de ce vétéran, redevenu responsable de l'organisation, gravite une longue liste d'«amis», souvent de l'est de Montréal, toujours peu orthodoxes.
Line Beauchamp travaillait à Pro-Est. En dépit d'un profil plutôt péquiste, elle deviendra candidate libérale et épousera Pierre Bibeau. Lise Thériault était secrétaire dans un hebdo de l'Est. Elle est devenue ministre et même vice-première ministre. Jean-Guy Chaput avait dirigé une caisse populaire dans l'est de la ville. Il deviendra président de la SODEC, le bras financier de Québec pour le secteur culturel, dont il sera éjecté rapidement pour dépenses inconsidérées. Un autre ami, Jean David, un peu libéral, mais aussi iconoclaste - il se fera l'apôtre du pain intégral auprès des bonzes du PLQ - sera brièvement vice-président du PLQ.
Il est aussi copain depuis longtemps avec Jean Lapierre, l'ancien député du PLC, devenu un animateur en vue. Son réseau de «protégés» comptait aussi des plus jeunes. Joël Gauthier deviendra directeur du PLQ, cet autre émule de Bibeau restera longtemps au parti. Benoit Savard l'organisateur de l'Est aussi. C'est Gauthier qui lancera une perche pour récupérer Alexandre, le fils de Pierre, ancien chef de cabinet de David Whissell, éclaboussé lui aussi par la commission Charbonneau. Quand Alexandre fait la manchette à l'automne 2012, il est écarté par l'équipe de Philippe Couillard qui l'avait recruté. De là la rupture entre Bibeau et le sérail du nouveau premier ministre.
La fin des vieux réflexes
Mais au fil des élections, le gourou du PLQ a perdu un peu de sa poigne.
À son époque, les bénévoles téléphonaient sans cesse pour arriver à «pointer» les électeurs. Une campagne électorale devait passer par des rassemblements imposants de militants. Le jour du vote, on devait mobiliser une flotte d'autos de militants pour conduire les gens au bureau de scrutin. Avec l'apparition des cellulaires, des médias sociaux, la montée de la méfiance des Québécois envers les partis politiques, les vieux réflexes sont devenus inutiles.
Maintenant qu'il a été dans le collimateur de la commission Charbonneau, le vieil organisateur finira ses jours amer. Le chouchou des terrains de golf n'a plus de billets à distribuer. Il pourra se consoler. Si l'influence et la popularité passent, l'amitié est, elle, plus durable.


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