Le grand patron d’Élections Canada n’y va pas par quatre chemins. Les appels robotisés frauduleux devraient être lourdement punis, et les députés qui se font élire par la « tricherie », expulsés de la Chambre des communes.
« Il faut établir des sanctions plus dissuasives », a expliqué Marc Mayrand au cours d’une entrevue au Devoir.« Ça pourrait être des amendes beaucoup plus sévères, des peines de prison et, selon qui administre ça, peut-être des privations de certains droits. Si on peut déterminer qu’un candidat a dirigé des appels de cette nature, qu’il a employé des tactiques pour supprimer le vote, je ne suis pas sûr que ce candidat devait être autorisé à participer aux élections futures. » Et s’il a été élu ? « Pas sûr qu’il devrait garder son siège. Quand on parle de ça, on parle de tricherie au plus haut degré. Je ne suis pas sûr qu’on peut laisser les tricheurs autour de la table. »
Les appels frauduleux (parfois robotisés) faits pendant la campagne électorale de 2011 n’ont pas fini de faire parler d’eux. La Chambre des communes reprend ses activités mercredi après un congé estival prolongé par une prorogation et, s’il tient promesse, le gouvernement conservateur devrait déposer une modification à la Loi électorale de manière à encadrer l’utilisation des appels robotisés lors de scrutins. En 2011, à quelques jours du vote, des électeurs avaient reçu des appels, dans certains cas prétendant faussement provenir d’Élections Canada, les informant à tort que leur bureau de scrutin avait déménagé, souvent à des kilomètres de chez eux.
Jusqu’à présent, le Commissaire aux élections n’a déposé des accusations que contre le conservateur Michael Sona, pour des appels faits dans Guelph. Le commanditaire des milliers d’appels faits ailleurs au pays reste inconnu. Une cause du Conseil des Canadiens, qui visait à faire invalider l’élection de six députés conservateurs élus par une très faible majorité au motif que des appels frauduleux avaient été détectés dans leur circonscription, a été rejetée ce printemps. Le juge a quand même confirmé que les appels avaient eu lieu et que la base de données pour les effectuer était probablement celle du Parti conservateur.
Marc Mayrand reconnaît que les enquêtes n’avancent pas vite et se plaint du manque de pouvoirs du Commissaire pour forcer les partis politiques à fournir les documents réclamés. Il espère que le projet de loi promis par le gouvernement octroiera les pouvoirs manquants.
Ce projet de loi est l’objet de toutes les conjectures. Promis en 2012, il devait être déposé en avril dernier. Le ministre de la Réforme démocratique, Tim Uppal, a cependant annoncé qu’à cause de problèmes détectés à la dernière minute, son dépôt était reporté. La rumeur veut que le caucus conservateur, mis au courant du contenu du projet de loi, ait rué dans les brancards et fait reculer l’équipe ministérielle. Jamais on n’a su quel élément aurait à ce point déplu aux élus. Tim Uppal a été remplacé par Pierre Poilièvre cet été. M. Poilièvre a mentionné un dépôt d’ici décembre.
Marc Mayrand déplore le fait de ne pas avoir été consulté par le gouvernement pour élaborer ce projet de loi. « J’apprends en même temps que tous les Canadiens quand c’est déposé au Parlement. Ça n’a pas toujours été comme ça », dit-il diplomatiquement. Il rappelle le sort réservé en 2012 au projet de loi C-21 qui devait encadrer les prêts électoraux. Concocté sans son apport, C-21 a été démoli en comité parlementaire par M. Mayrand parce que contenant trop de « failles ». « Ça aurait été plus utile pour le gouvernement et les parlementaires d’avoir l’occasion de partager sur ces questions et de les corriger avant le dépôt du projet de loi. »
C’est un euphémisme de dire que la relation entre le gouvernement et Élections Canada est tendue. La détermination de l’agent du Parlement à faire la lumière sur l’in and out conservateur de 2006 et à traquer les responsables - pour l’instant conservateurs - des appels frauduleux lui a attiré les foudres des troupes de Stephen Harper. Celles-ci ont, par exemple, voté contre une motion réitérant la confiance du Parlement envers Élections Canada. Qu’en pense M. Mayrand ? « Je trouve toujours malheureux qu’on amène les institutions publiques dans la joute partisane. » Ces accusations voulant que le DGE traque seulement les conservateurs « ne sont pas fondées, assure-t-il. Elles m’apparaissent gratuites. »
Voter le «Jour du Seigneur»?
Marc Mayrand espère que le projet de loi conservateur accroîtra la transparence du processus électoral. À l’heure actuelle, seuls les candidats doivent fournir à Élections Canada leurs factures de dépenses électorales. Élections Canada peut en vérifier la conformité, étape importante puisque les dépenses sont remboursées à 50 % par les fonds publics. Or, les partis politiques ne sont pas soumis à ce fardeau. « On rembourse 30 millions aux partis politiques par élection », rappelle M. Mayrand. « Moi, je fais le paiement, mais je ne peux pas certifier l’exactitude de l’information qui m’a été fournie, car je n’ai aucun document à l’appui. » Un chèque en blanc, quoi. « Tout notre système est basé sur la transparence, que ce soit en matière de contributions ou de dépenses. Mais je pense qu’il y a un trou dans la transparence. C’est une transparence plutôt occulte ! »
Dans un contexte de débat sur la laïcisation des institutions, Le Devoir a demandé à M. Mayrand si le temps n’était pas venu d’instaurer des scrutins le dimanche, tout jour du Seigneur soit-il, afin de faciliter le vote et le recrutement du personnel électoral. Le directeur général du Québec a fait cette recommandation, restée lettre morte, en 2007.
« À l’élection de 2011, le vote par anticipation avait lieu le week-end de Pâques, répond M. Mayrand. Si vous saviez le nombre de lettres et d’appels qu’on a reçus pour nous dire que c’était scandaleux ! Ça correspondait aussi à une fête juive. Il y a même eu une une à Kinsgton clamant Elections Canada hates God.[…] Or c’est complètement l’inverse qui est arrivé. On a eu le plus haut taux de participation au vote anticipé. C’est peut-être une indication que les Canadiens seraient plus disposés à voter les jours fériés ou une journée comme le dimanche. » À méditer.
Point chaud - Élections Canada en a assez des «tricheurs»
Les appels robotisés frauduleux devraient être lourdement punis, dit Marc Mayrand
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