L’argentier du Parti libéral du Québec pendant l’ère Charest, Marc Bibeau, en menait tellement large qu’il aurait annoncé l’octroi d’un contrat public au patron d’une firme de génie qui contribuait à la caisse électorale de la formation politique.
Ces informations ont été obtenues par les enquêteurs de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) dans le cadre du projet Mâchurer, qui s’intéresse au financement du Parti libéral du Québec (PLQ).
Elles apparaissent dans le livre PLQ inc. de notre Bureau d’enquête, en librairies depuis mardi.
Des documents que nous avons pu consulter font état de conversations que M. Bibeau aurait eues avec Luc Benoit, qui était alors président de Tecsult.
En octobre 2014, M. Benoit explique aux policiers de l’UPAC que M. Bibeau semblait disposer d’informations privilégiées à propos des décisions contractuelles du gouvernement, vraisemblablement du ministère des Transports du Québec (MTQ).
- Notre journaliste Alexandre Robillard était à Dutrizac sur QUB radio:
Montrer son importance
«À mon souvenir, Marc Bibeau m’a déjà appelé pour m’annoncer que j’avais eu un contrat, probablement du MTQ, avant que ce soit officiel, déclare M. Benoit, qui n’est plus à ce moment président de Tecsult. Il a fait ça au début, ensuite il a arrêté. C’était, je pense, une façon de nous démontrer qu’il avait contribué à son obtention.»
M. Benoit relate que M. Bibeau lui a également déjà communiqué, en avril 2005, des pointages obtenus par des entreprises après un appel d’offres dans le cadre de travaux sur la route 175.
«C’est le genre d’information que Marc Bibeau nous donnait. Ça montrait l’importance qu’il avait au gouvernement», dit-il aux policiers dans un deuxième entretien, en 2015.
Hydro-Québec
Selon M. Benoit, dont les employés donnaient un total d’environ 100 000 $ au PLQ chaque année, Marc Bibeau se vantait également de son influence sur l’octroi de contrats par Hydro-Québec.
«Quand les libéraux ont pris le pouvoir, Marc Bibeau m’a dit qu’il pourrait avoir de l’influence sur les processus à Hydro-Québec», a-t-il dit à l’UPAC.
Un témoin de plus
Un dirigeant de la firme de génie RSW, Georges Dick, avait déjà accusé M. Bibeau de se livrer à du «trafic d’influence» concernant Hydro-Québec.
Dans son témoignage devant la Commission Charbonneau, M. Dick s’était plaint que le collecteur de fonds sollicite des dons, avant l’élection de 2003, tout en laissant entendre qu’il pourrait influencer les processus d’octroi de contrats de la société d’État.
Les avocats de M. Bibeau avaient par la suite jugé son témoignage non crédible, car il n’était pas corroboré.
En plus de celui de M. Benoit sur l’influence supposée de M. Bibeau auprès d’Hydro-Québec, les policiers de l’UPAC ont consigné le témoignage d’un collègue de M. Dick, qui corrobore le sien.
Vice-président de RSW, Claudio Vissa était avec M. Dick lors d’une rencontre avec M. Bibeau, en 2002, durant laquelle le collecteur de fonds aurait fait part de ses attentes.
«Marc Bibeau nous a dit qu’on fournissait moins d’argent que les autres firmes d’ingénierie et il nous a dit qu’il pouvait (que RSW ait moins de contrats) influencer les contrats chez Hydro-Québec [sic]», indique une déclaration écrite d’un entretien de M. Vissa avec des policiers en octobre 2014.
Il s’intéressait à Hydro-Québec, selon une ex-cadre
Une cadre d’Hydro-Québec a été la cible des questions de Marc Bibeau concernant le processus d’octroi des contrats par la société d’État, ont noté les policiers de l’UPAC qui travaillent à l’enquête Mâchurer.
Marie-Josée Nadeau, qui a été vice-présidente et secrétaire générale d’Hydro-Québec, leur a raconté avoir reçu un appel de M. Bibeau durant l’été qui a suivi l’élection des libéraux au printemps 2003.
M. Bibeau voulait connaître les procédures d’Hydro-Québec dans les grands projets, selon Mme Nadeau, dont le mari, Yves Séguin, était à cette époque ministre du gouvernement Charest.
«Peut-être voulait-il savoir où une possible influence aurait pu être exercée, je ne suis pas naïve. Je n’ai pas ouvert de porte, il l’a compris et il n’a pas insisté», a-t-elle déclaré aux enquêteurs de l’UPAC en octobre 2014.
«Aucune information ne lui a été transmise de ma part», a-t-elle dit aux policiers en parlant du collecteur de fonds libéral.
«Par souci de transparence», elle a ensuite avisé le président-directeur général de la société d’État, André Caillé, de cet appel de M. Bibeau.
La sélection d’un comité
M. Caillé a affirmé dans une entrevue avec notre Bureau d’enquête que M. Bibeau cherchait à comprendre le fonctionnement et la composition du comité des services techniques chargé de choisir les firmes de génie-conseil.
«Il voulait savoir qui [est-ce qui] les choisissait et quand ce serait connu», a-t-il dit.
Mais il n’était pas question de donner cette information qui, une fois le processus complété, devient publique, a-t-il indiqué.
«La seule réponse qu’on lui a faite, et ça n’a pas l’air d’avoir été satisfaisant, c’est : ‘‘quand le comité aura fait ses recommandations et que le c.a. en aura disposé, vous serez informé’’.»
Par l’intermédiaire de son avocat, Marc Bibeau a décliné notre demande d’entrevue.
PLQ inc., un livre-choc de notre Bureau d’enquête
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