Pierre Karl Péladeau le tout-puissant

Si on n’aime pas sa méthode d’exploitation, ce n’est pas à lui qu’il faut s’en prendre. Il faut plutôt chialer contre l’ancienne direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, soit le tandem Jean-Claude Scraire et Michel Nadeau

L'affaire Desmarais



Le magnat de l'industrie québécoise des médias, Pierre Karl Péladeau, est un financier pur et dur, qui ne lésine pas sur les moyens pour rentabiliser la vache à lait de son entreprise, Quebecor Media.
Il n'en a rien de foutre des lockoutés du Journal de Montréal et des syndiqués du Journal de Québec, TVA, Vidéotron... qui ont osé mettre des bâtons dans les roues de la convergence de Quebecor Media. Il ne veut rien savoir des journalistes de la concurrence, qu'il perçoit comme des ennemis de la pire espèce, au même titre probablement que les grands patrons des entreprises concurrentes, comme Radio-Canada, La Presse, BCE et ses filiales, Astral, etc. Et gare aux dirigeants des organismes paragouvernementaux (CRTC, Fonds des médias, etc.) et aux politiciens qui oseraient se mettre en travers de sa route. Un magnat de presse, ça peut varloper...
Cela dit, à quoi bon blâmer Pierre Karl Péladeau pour son intransigeance et ses stratagèmes de guerrier. Il se définit lui-même comme un «opérateur» d'entreprise. Comme il a les mains sur le volant d'un bulldozer (Quebecor Media), eh bien il «bulldoze» tout ce qui le dérange dans son plan d'affaires.
Si on n'aime pas sa méthode d'exploitation, ce n'est pas à lui qu'il faut s'en prendre. Il faut plutôt chialer contre l'ancienne direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, soit le tandem Jean-Claude Scraire et Michel Nadeau. MM. Scraire et Nadeau ont littéralement couru après le fils Péladeau pour lui offrir sur un plateau d'argent 3 milliards de dollars afin de permettre à Quebecor de mettre le grappin sur Vidéotron et ses filiales comme TVA. Par cette alléchante offre à M. Péladeau, le tandem Scraire-Nadeau voulait à tout prix empêcher la torontoise Rogers d'acquérir Vidéotron. Et la stratégie de la Caisse a réussi, puisque, le 23 octobre 2000, Quebecor absorbait officiellement Vidéotron (TVA, etc.) pour l'inclure dans Quebecor Media, avec les divers médias de Quebecor.
Le problème? La Caisse a fait de Pierre Karl Péladeau un être tout-puissant. Ainsi, grâce à la magie des actions avec droit de votes multiples, Pierre Karl Péladeau exerce un contrôle quasi absolu sur Quebecor Media, et ce, tout en ne détenant en réalité que 14,9?% des actions de l'empire médiatique le plus puissant du Québec.
Avec son bloc de 45,3% des actions de Quebecor Media, la Caisse de dépôt et placement du Québec a beau détenir directement trois fois plus d'actions que la famille Péladeau, cela ne procure pas pour autant un pouvoir décisionnel dans la manière d'exploiter Quebecor Media.
Après avoir allongé près de 3,2 milliards de dollars dans Quebecor Media, la convention d'actionnaires entre elle (la Caisse) et Quebecor ne lui confère qu'une position minoritaire au conseil d'administration, soit l'élection de quatre administrateurs sur neuf membres.
Bien entendu, la Caisse détient une sorte de droit de veto advenant une «modification substantielle de la nature des affaires» de Quebecor Media et de ses filiales, une modification du capital-actions de l'entreprise et de ses filiales (comme TVA) et autres grands changements majeurs pouvant toucher les grandes orientations de l'entreprise.
Exemple, la Caisse détient un droit de veto sur «toute acquisition d'entreprise dans un secteur d'activités non relié» à la compagnie. Parenthèse: est-ce que la Caisse embarquerait dans le projet de Pierre Karl Péladeau de faire renaître les Nordiques de Québec en acquérant une nouvelle de la Ligue nationale de hockey? À suivre de près...
À la lumière des 47 pages de la «Convention amendée et consolidée entre actionnaires» datée du 11 décembre 2000, il est clair que la Caisse laisse l'entier contrôle des activités de Quebecor Media à la direction de Quebecor.
C'est ce qui explique d'ailleurs pourquoi la direction de la Caisse n'intervient jamais dans les dossiers chauds de Quebecor Media, comme l'actuel conflit qui perdure au Journal de Montréal depuis bientôt deux ans. Comme si cela ne représentait pas un élément majeur de Quebecor Media.
Pour la haute direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, l'éventuelle rentabilité de son investissement de 3,2 milliards dans Quebecor Media est manifestement mille fois plus importante que la méthode dure utilisée par Pierre Karl Péladeau pour y parvenir.
Lorsqu'il a commenté dernièrement les résultats semestriels de la Caisse, le nouveau PDG, Michael Sabia, s'est d'ailleurs montré particulièrement satisfait des investissements de la Caisse dans Quebecor Media, qui a réalisé «une très grande performance» au premier semestre.
Il faut dire ici que, depuis le début de la création de Quebecor Media, à l'automne 2000, la Caisse rêve de réduire sa participation. J'en ai pour preuves la Convention entre actionnaires où il est mentionné?: «Attendu que les Sociétés Quebecor et Cap Com (filiale de la Caisse) déploieront leurs meilleurs efforts commerciaux raisonnables en vue de donner à Cap Com l'opportunité de réduire sa participation dans la Compagnie (Quebecor Media) dans les meilleurs délais en procédant, si les conditions de marché le permettent, à un PAPE (premier appel public à l'épargne)...»
À cette époque de la bulle internet et des communications, la Caisse croyait avoir réalisé le placement du siècle. Mal lui en prit: la bulle a éclaté et la valeur marchande de Quebecor Media a fondu à l'instar de toutes les mégafusions, AOL-Time Warner, Vivendi-Universal, Sony-Columbia. En 2002, la Caisse a même été obligée d'allonger quelques centaines de millions de plus pour permettre de sauver financièrement Quebecor Media.
Quebecor doit d'ailleurs une fière chandelle à la Caisse. Quand vous avez comme partenaire une institution financière comme la Caisse de dépôt et placement, les banquiers se montrent pas mal plus conciliants dans la renégociation des emprunts!
Quoi qu'il en soit, il faut lever ici notre chapeau à Pierre Karl Péladeau qui a réussi au fil des années à redresser royalement les finances de Quebecor Media. Dommage qu'il fasse parfois appel à la méthode agressive.
Après 10 ans, le placement de la Caisse dans Quebecor Media vaut autour de 1,7 milliard de dollars. D'accord, cela représente à peine un peu plus de la moitié des 3,2 milliards investis à l'origine. Mais, au train où Quebecor Media «bulldoze» ses concurrents avec son efficace convergence, la Caisse pourra vraisemblablement récupérer une grande partie de ses billes un de ces jours.


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