Quand Philippe Couillard prend position, celle-ci est toujours étayée par des principes, par une argumentation cartésienne qui se décline logiquement. Or cette volonté de stricte cohérence peut s’avérer encombrante quand on doit changer d’idée. Quand, après s’être peinturé dans le coin, on doit marcher sur la peinture, pour reprendre l’image chère à Jean Chrétien, forcément, c’est plus salissant.
Un vieux routier du Parti libéral du Québec confie ceci : « M. Couillard est un homme en mode d’apprentissage. » S’engager fermement à maintenir une position quelles que soient les circonstances — « over my dead body » — peut avoir ses mérites : un chef affirme ainsi qu’il est un homme de principe. Mais quand il doit en changer parce que politiquement elle devient intenable et que nombre de ses députés en région sentent la soupe chaude, le chef en est quitte pour expliquer pourquoi il est toujours vivant. Laborieusement, s’entend.
En acceptant que Fatima Houda-Pepin rentre au bercail alors que la plupart de ses députés de l’île de Montréal la vouaient aux gémonies et exigeaient son expulsion immédiate du caucus, Philippe Couillard a réussi sans doute à éviter le pire. Pour l’heure. Sur le fond, le chef libéral, si on en croit ses explications, peut toujours affirmer qu’il demeure fidèle à ses principes et tient mordicus au respect scrupuleux des chartes des droits et libertés. Il rassure ainsi ses députés du West Island qui, à l’instar de la population qu’ils représentent, s’opposent fermement à toute atteinte aux libertés individuelles.
Sur le plan de la perception, toutefois, Philippe Couillard ne peut éviter d’apparaître comme un vire-capot, ce que ne lui reprocheront aucunement ses députés des régions. En se présentant dans la circonscription de Roberval à l’élection générale, après une brève figuration dans Outremont, Philippe Couillard, s’il est élu, sera lui-même un député des régions, digne représentant du Québec profond, comme on dit dans la métropole.
Sur le port des signes religieux, la position du parti est maintenant celle de la commission Bouchard-Taylor : l’interdiction ne vise que les agents exerçant un pouvoir de coercition que sont les juges, les policiers, les gardiens et assimilés. Cette position ne tiendra — et c’est capital — que dans la mesure où cette prohibition respecte les chartes. C’est à un comité présidé par le député de Fabre et ancien bâtonnier Gilles Ouimet qu’il reviendra d’analyser la constitutionnalité de cette interdiction. Le comité, auquel Fatima Houda-Pepin a finalement accepté de se joindre, planchera également sur le projet de loi sur l’intégrisme que la députée de La Pinière a déjà rédigé et sur un projet de loi concernant la protection de la jeunesse et les crimes d’honneur.
Cette position s’appuie sur le fait que les commissaires Gérard Bouchard et Charles Taylor, dans le préambule de leur rapport, écrivaient que toutes leurs recommandations étaient conformes à l’ordre constitutionnel canadien.
Le test
Le problème pour Philippe Couillard, c’est que personne ne peut prédire avec certitude que cette interdiction, toute partielle qu’elle soit, passera le test des tribunaux. Quand on sait que, dans un jugement en 2012, la Cour suprême a permis qu’une accusée puisse subir son procès en portant le niqab, toutes les interprétations sont possibles. Tout indique que le chef libéral se retrouvera avec autant d’avis juridiques qu’il y a d’avocats. Comme le gouvernement Marois l’a fait avec la charte des valeurs, il devra choisir les avis qu’ils préfèrent. Forcément, le chef libéral devra trancher. « À un moment donné, il devra prendre une décision. C’est là que ça va faire mal », avance un sage du parti.
On dit que Philippe Couillard écoute attentivement son caucus, l’ensemble de son caucus. Il aurait pu éviter cette volte-face s’il avait écouté son député Pierre Paradis qui, dès le mois d’août, le mettait en garde — à mots couverts, comme c’est sa manière — contre l’adoption d’une position trop rigoriste. Il ne l’a pas écouté parce que le député de Brome-Missisquoi ne défendait pas la position majoritaire du caucus.
C’est peut-être là que le bât blesse. Quand le Parti libéral est dans l’opposition, son caucus n’est pas représentatif de l’ensemble de la population québécoise. Les élus qui sont redevables à des électeurs anglophones ou allophones sont en surnombre. Selon une étude universitaire, 43 % des 1,2 million d’électeurs qui ont voté pour le Parti libéral à la dernière élection générale avaient l’anglais comme langue d’usage. Au sujet de la charte des valeurs comme sur d’autres sujets, les anglophones peuvent souvent avoir des vues sensiblement différentes de celles des francophones.
On peut aussi demander si ce ralliement tardif à la position Bouchard-Taylor saura séduire les électeurs francophones, dont une majorité favorise l’interdiction du port des signes religieux pour tous les employés de l’État sans exception. Les autres sont surtout des sympathisants libéraux.
En outre, le chef libéral n’en a pas fini avec Fatima Houda-Pepin qui, c’est le moins qu’on puisse dire, est une femme de principe et de caractère. Elle ne lâchera pas le morceau et entend faire « évoluer » la toute nouvelle position de son parti.
Philippe Couillard devrait comprendre pareille attitude. Quand, alors ministre de la Santé et des Services sociaux, il s’était opposé à la volonté de Jean Charest de construire le nouveau Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) dans la gare de triage d’Outremont, il s’était lui aussi montré opiniâtre. Il expliquait au Devoir à l’époque qu’il avait fait le saut en politique pour présenter « un discours plus rationnel », moins basé sur « l’image ». Humilié, Jean Charest n’a pas pu sévir contre son trop pugnace ministre en le virant comme il l’avait fait avec Thomas Mulcair et Yves Séguin. À l’époque, selon un sondage Léger Marketing, Philippe Couillard était le ministre le plus apprécié du cabinet, avec un appui populaire de 46 %, soit 5 points de plus que le premier ministre. Chez les francophones, la popularité de M. Couillard atteignait 49 %, contre 39 % pour Jean Charest. De quoi tempérer son sang irlandais. Tout au plus l’a-t-il laissé mariner dans un ministère dont il ne voulait plus.
Dans son entourage, on note que Philippe Couillard évoque souvent Adélard Godbout qui, premier ministre du Québec de 1939 à 1944, a accordé le droit de vote aux femmes, rendit obligatoire l’éducation au primaire et créa Hydro-Québec. Il voit en cet homme progressiste et ce précurseur de la Révolution tranquille une source d’inspiration. Malheureusement, Adélard Godbout perdit le pouvoir aux mains d’un politicien qui, si on peut croire qu’il fut moins honorable, fut beaucoup plus habile : Maurice Duplessis.
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