Papineau et les plaines d'Abraham

Celle à laquelle je m'associerais n'aurait en vue que de célébrer la plus pure des vertus sociales, l'amour désintéressé de la patrie, jusqu'à la mort, non la gloire des conquérants.

1759-2009 : la résistance



L'histoire éclaire souvent l'actualité. En 1854, la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec organise une grande fête pour inaugurer le monument aux morts de 1759-60 sur les plaines d'Abraham. Elle invite à la célébration Louis-Joseph Papineau, le chef de l'Insurrection des Patriotes de 1837 et l'homme politique québécois le plus important du XIXe siècle. Il refuse dans une lettre envoyée à Philippe-Jacques Jolicoeur, secrétaire de la société, datée du 1er mai 1854. Sa réponse pourrait servir à alimenter les raisons qu'on a aujourd'hui de refuser d'honorer les conquérants par bonententisme, ferveur unitariste canadienne et autres calculs politiques. Elle nous permet, en tout cas, de deviner avec une raisonnable précision la position qu'il aurait prise dans le débat actuel sur la commémoration du 250e anniversaire de la défaite des plaines d'Abraham. Voici cette lettre:
Petite-Nation, 1er mai 1854
Monsieur,
[...] j'accepte avec reconnaissance l'honneur que me fait la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec en m'invitant à porter les coins du poêle qui couvrira les restes de ceux des braves qui tombèrent «victimes de leur dévouement à la plus saine des causes», de ceux de ces héroïques défenseurs de la patrie, Français et Canadiens qui luttèrent si glorieusement contre l'invasion étrangère, et à la mémoire desquels on propose d'élever un monument, dans le lieu où seront déposées leurs reliques vénérées. [...]
D'autre part, je reçois en même temps que votre lettre le journal Le Pays, dans lequel je vois une citation [...] se terminant par ces mots: «Une souscription abondante mettra le comité en moyen de jeter les bases d'un beau monument sur le terrain même où la bataille a été livrée, érigé à la mémoire des braves des deux nations respectives.»
Je laisse aux autres la liberté de leurs opinions et je conserve l'indépendance de la mienne. Si le comité élève un monument à la mémoire de tous ceux qui ont succombé dans les deux armées, alors c'est un tribut payé à la bravoure militaire et au courage «des meilleurs soldats qu'aient jamais eus la France et l'Angleterre», comme le désigne justement notre estimable historien Garneau. Dans ce cas, je me retire de toute participation à la solennité que vous avez en contemplation.
Celle à laquelle je m'associerais n'aurait en vue que de célébrer la plus pure des vertus sociales, l'amour désintéressé de la patrie, jusqu'à la mort, non la gloire des conquérants.
Je demeure avec égard, Monsieur, votre obéissant serviteur,
Louis Joseph Papineau
Tiré de Lettres à divers correspondants, texte établi et annoté par Georges Aubin et Renée Blanchet, Varia, tome II, p. 137
***
Yves Beauchemin, Écrivain


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