Le gouvernement Trudeau a cessé de consulter la base de données privée du Parti libéral du Canada pour scruter le passé partisan des candidats à des postes de juge, a appris Radio-Canada.
Selon des sources au sein du gouvernement fédéral, cette pratique a été interrompue après avoir suscité des critiques, tant du côté des partis d’opposition que des experts du milieu juridique au pays.
L’utilisation des informations contenues dans cette base de données – connue sous le nom de Libéraliste – avait mené à des accusations de favoritisme et de partisanerie dans le processus des nominations à la magistrature.
Depuis des mois, tant le Parti conservateur que le Bloc québécois accusent le gouvernement de favoriser les candidats qui ont un historique de dons au Parti libéral.
Ces attaques sont venues à la suite d’articles publiés par Radio-Canada, le Globe and Mail et La Presse qui démontraient la présence de considérations partisanes au sein de l’appareil fédéral dans le processus de nomination des juges, qui sont appelés à interpréter les lois de manière impartiale.
Au fond, on enlève un grave problème de mélange des genres, c’est-à-dire une base de données privée du parti qui est utilisée dans un processus de décision gouvernemental. Ça, c’était vraiment très scandaleux et extrêmement difficile à défendre.
Une citation de :Patrick Taillon, professeur de droit à l’Université Laval
Là, on convient que le parti, c’est le parti, et le gouvernement, c’est le gouvernement, et qu’il faut minimalement des frontières étanches, ajoute M. Taillon.
Nouvelle procédure
Selon nos sources, le gouvernement s’en tient maintenant à faire des vérifications à même des sites publics. On parle ici des bases de données tenues par Élections Canada et différents commissaires au lobbying au pays, de même que des sites publics comme les agrégateurs de nouvelles, les réseaux sociaux ou les listes de personnes qui ont fait des placements dans des paradis fiscaux.
Le gouvernement Trudeau a toujours refusé de fournir des détails précis sur son utilisation de la Libéraliste, qui a été révélée grâce à des informations obtenues par le biais de sources confidentielles.
Des sources gouvernementales ont refusé de dire exactement à quel moment Ottawa a cessé d’utiliser la Libéraliste dans le processus de nomination à la magistrature, mais le changement aurait été opéré au cours des derniers mois.
Aux yeux du député bloquiste Rhéal Fortin, le gouvernement Trudeau franchit un bon premier pas en cessant d’utiliser la Libéraliste, mais il doit rendre le système de nomination des juges encore moins partisan.
Selon M. Fortin, il faudrait créer un comité parlementaire pour mettre en place un processus de nomination qui offrirait moins de pouvoir discrétionnaire au gouvernement.
Se débarrasser de la Libéraliste, je ne peux qu’applaudir, je le demande depuis des années, a dit M. Fortin. Ceci dit, il ne faut pas fermer les livres. On se retrousse les manches, on continue notre bon travail, on fait un comité de révision du processus de nomination et on va régler le problème pour de bon.
Informations confidentielles
Grâce à la Libéraliste, le gouvernement avait accès à des informations confidentielles sur les candidats qui avaient eu des interactions au fil des ans avec le Parti libéral. Par exemple, on pouvait découvrir quels candidats à la magistrature avaient déjà été membres du Parti libéral, s’ils avaient participé à la course à la direction qui avait mené à l’élection de Justin Trudeau à la tête du parti et s’ils avaient offert leur appui au parti lors des dernières élections.
Le gouvernement s’était défendu de toute influence partisane dans la sélection des futurs juges, affirmant que le processus de vérification servait avant tout à éviter d’être pris de court par des critiques une fois les nominations annoncées.
M. Trudeau et son ministre de la Justice, David Lametti, ont fréquemment défendu le processus de nomination à la magistrature, affirmant que les candidats étaient choisis au mérite, avec un objectif de représenter la diversité canadienne au sein des différentes cours au pays.
Notre gouvernement croit que la confiance des Canadiens en notre système de justice est renforcée par un processus de sélection transparent et responsable, qui identifie des candidats reflétant la diversité canadienne, affirmait récemment David Taylor, porte-parole de M. Lametti.
Les vérifications sur la Libéraliste avaient lieu après que le ministre de la Justice eut proposé la nomination d’un candidat à la magistrature au gouvernement, mais avant que cette candidature ne soit approuvée par le Conseil des ministres.
Le processus de vérification de la Libéraliste ne se faisait pas par les membres du cabinet du ministre de la Justice, mais plutôt au sein du cabinet du premier ministre et du bureau de recherche du Parti libéral.
Le processus avait déjà été critiqué à l’interne, du fait que le cabinet du premier ministre insistait pour que de nombreux intervenants libéraux – dont des députés, ministres et partisans – soient consultés sur les diverses candidatures pour des postes de juge.
Selon des courriels internes obtenus par Radio-Canada, un ancien adjoint politique libéral avait exprimé la crainte, en 2019, qu’il y ait matière à scandale dans le processus de nomination à la magistrature.