Unique au Bas-Saint-Laurent

Occupons la forge à grand-papa Léo

Forge St-Laurent à Saint-Anaclet-de-Lessard

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Tribune libre

En nationalité, c'est tout comme en géologie, la chaleur est en bas. Descendez, vous trouverez qu'elle augmente; aux couches inférieures elle brûle. ─ MICHELET


À la mi-novembre 2011, quelques dizaines de jeunes Rimouskois empreints d'une colère festive ont décidé d'adhérer au grand mouvement des Indignés(1). Nous nous prîmes bientôt à les écouter dans les médias. Les campeurs du parc de la Gare repiquaient le slogan américain «Nous sommes les 99%»(2). Joli coup de pub! Mais, comment arriver à changer le monde sans définir un programme politique clair?


On croit tenir la source de leur mal-être en ceci: le capitalisme, dans sa forme spéculative en particulier, s'est déchaîné ces derniers 30 ans comme il n'avait pu le faire depuis le XIXe siècle. Or, les sociétés occidentales, telle l'Angleterre victorienne, pouvaient jadis mobiliser leur «réservoir culturel» afin de le civiliser: famille, religion, nation, etc. En nous convainquant du caractère patriarcal de la famille, obscurantiste de la religion et xénophobe de la nation, la contre-culture des années 1960 a considérablement affaibli, presque liquidé, les valeurs culturelles fondamentales dressées contre les excès du marché et permis ironiquement à la crise de s'étendre. À travers l'émancipation de l'individu et des minorités, l'idéologie du progrès a mis en péril le lien social, notamment la solidarité entre travailleurs. Cette interprétation - sympathique aux couches populaires plus enracinées (Michelet) - explique pourquoi nous sommes aujourd'hui dans un monde en déficit de sens, modernes désemparés le plus souvent réduits à la consommation et au divertissement. Qu'avons-nous à transmettre? 


Revitaliser la vieille forge


Unique au Bas-Saint-Laurent, la boutique du forgeron et maréchal-ferrant Léonidas (Léo) St-Laurent (1908-1985) subsiste toujours - avec l'inventaire d'outils complet - sur son site d'origine au coeur même du village de Saint-Anaclet-de-Lessard près de Rimouski(3). Selon le ministère de la Culture et des Communications du Québec, elle possède un cachet architectural, historique et ethnographique(4). Ce petit bâtiment en bois de style Second Empire avec toit à la Mansart à deux eaux a été construit, comme le reste de la propriété, en 1885 par Zéphirin Lavoie (1836-1907). Donnée par la succession de Rose de Lima Bouillon (1908-1999) à la Corporation du patrimoine de ladite municipalité au printemps 2007 et nouvellement restaurée(5), la forge fut entre 1939 et 1973 un endroit où mon aïeul travailla dur à rendre de multiples services aux ruraux. À l'âge de la retraite, l'artisan fit encore honneur à la proverbiale hospitalité des Canadiens français(6). S'y rencontrer et discuter, bien au chaud dans la langue de chez nous, des sujets les plus divers devint pour de nombreux citoyens et paroissiens anaclois - surnommés en région les «castors» - un rituel quotidien.


Simple nostalgie?(7) Plutôt un autre rapport à l'espace et au temps. Pour l'appartenance à la communauté, l'avenir de la civilisation occidentale et un développement durable, j'estime que certains lieux publics et savoir-faire ancestraux - masculins dans ce cas-ci - méritent une seconde vie. Ils donnent sens à notre existence en nous aidant à faire monde commun. Bref, un «métier [de forgeron] à remettre sur l'enclume(8)» et une «ligue du vieux poêle» à ressusciter.


Caroline Sarah St-Laurent


Candidate au doctorat en sociologie (UQAM)


Blogue: https://csstl.blogspot.ca/ 


P.-S. - L'épouse du forgeron, ma grand-mère Bouillon, avait le bureau de poste à la maison entre 1956 et 1968.

















Ensemble construit en bordure de la voie publique.


La forge St-Laurent avec l'étable et la maison du forgeron en novembre 2011. Photo: Caroline Sarah St-Laurent



Une première version de cet article parue sur le site Web du quotidien Le Soleil de Québec le 27 novembre 2011.


Notes et références


(1) Jason Fournier, «[VIDEO] Occupons Rimouski: les indignés se rassemblent au Parc de la Gare», Le Mouton Noir, 14 novembre 2011 [En ligne]  http://www.moutonnoir.com/2011/11/video-occupons-rimouski-les-indignes-se-rassemblent-au-parc-de-la-gare (Page consultée le 25 décembre 2017). Sur le mouvement planétaire, lire Justine Canonne, «Indignés: les nouvelles formes de protestation», Sciences Humaines, mise à jour le 2 novembre 2015, [En ligne] http://www.scienceshumaines.com/indignes-les-nouvelles-formes-de-protestation_fr_28437.html (Page consultée le 14 août 2016).


(2) Page Facebook du mouvement local: https://www.facebook.com/occupons.rimouski/posts/287455431348131 (Page consultée le 25 décembre 2017).


(3) Sise au 76, rue Principale Ouest (rang II).


(4) Québec, Culture et Communications, «Forge Saint-Laurent», Répertoire du patrimoine culturel du Québec [En ligne] http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=105886&type=bien#.WkErSLjlcSU (Page consultée le 25 décembre 2017).


(5) Page de la Corporation sur le site Web de la municipalité: http://www.stanaclet.qc.ca/histoire/index.php?page=2 (Page consultée le 25 décembre 2016).


(6) Sur l'hospitalité des Canadiens français, il importe de citer le plus grand contempteur de notre nationalité avant Pierre Elliott Trudeau. John George Lambton, comte de Durham, dut concéder dans son fameux rapport de 1839: «Ils sont doux et accueillants, frugaux, ingénieux et honnêtes, très sociables, gais et hospitaliers; ils se distinguent par une courtoisie et une politesse vraie qui pénètrent toutes les classes de leur société».


(7) Comité d'histoire des fêtes du 125e anniversaire de Saint-Anaclet, Saint-Anaclet... un monde à découvrir 1859-1984, Saint-Anaclet, Comité d'histoire des fêtes du 125e anniversaire de Saint-Anaclet, 1984, p. 92.


(8) Danielle Dufresne, «La forge. Un métier à remettre sur l'enclume», Rimouski-Neigette, Continuité, no 89, Été 2001, p. 60 [En ligne ] https://www.erudit.org/fr/revues/continuite/2001-n89-continuite1053739/15775ac.pdf (Page consultée le 26 décembre 2017). Danielle Dufresne, Saint-Anaclet-de-Lessard. Nos maisons, ce passé qui nous habite, Saint-Anaclet-de-Lessard, Corporation du patrimoine de Saint-Anaclet-de-Lessard et MRC de Rimouski-Neigette, 2006 [En ligne] http://www.stanaclet.qc.ca/histoire/depliant_forge.pdf (Page consultée le 26 décembre 2017).















Léonidas St-Laurent à l'entrée de la forge.


Photo: Famille Luc St-Laurent
















Partie avant du bâtiment vers 2003. Photo: Caroline Sarah St-Laurent
















L'arrière de la forge vers 2003. Photo: Caroline Sarah St-Laurent


On pouvait encore apprécier les traces laissées sur le bois par le violent incendie du 7 août 1945.




Autre texte concernant Saint-Anaclet-de-Lessard


Saint-Anaclet-de-Lessard veut s'urbaniser! (21 juillet 2012) 


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Caroline Sarah St-Laurent3 articles

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Je suis doctorante à l'Université du Québec à Montréal sous la direction de Joseph Yvon Thériault. Après avoir rédigé un mémoire sur l'affirmation nationale en milieu rural, je travaille présentement à la rédaction d'une thèse intitulée «Aux marges de l'Empire.L'Afrique du Sud dans l'imaginaire moderne des nationalistes québécois. De la guerre des Boers à nos jours».





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