La multiplicité des adhésions politiques de la chef néodémocrate par intérim, Nycole Turmel, témoigne surtout d'une chose: la grande fragilité du NPD, pris au piège d'un drôle de numéro d'équilibriste que la maladie de Jack Layton révèle au grand jour.
Prise au pied de la lettre, la réaction du NPD au fait que leur nouvelle chef intérimaire, Nycole Turmel, était membre jusqu'en janvier du Bloc québécois, souverainiste par essence, et jusqu'à hier de Québec solidaire, souverainiste par conviction, est juste. De Maxime Bernier à Raymond Bachand, on a vu bien des souverainistes militants se découvrir une foi fédéraliste et rien n'interdit de changer d'idée.
Il reste qu'en matière de cohérence politique, on a déjà vu mieux que quelqu'un qui adhère en même temps à un parti fédéraliste et à deux partis souverainistes! Madame Turmel a pour excuse d'avoir d'abord des convictions progressistes: la Cause d'abord, la Constitution après. À cette aune, peut-être le Parti vert, qui vient de faire élire sa chef aux Communes, aurait-il fini par emporter son adhésion aussi...
Ce flou des allégeances peut faire sourire, mais difficilement s'indigner: il est après tout représentatif de notre époque, où les valeurs transcendent les lignes de parti, ouvrant la porte à un grand magasinage qui n'est pas exempt de contradictions. Sauf que madame Turmel n'est pas l'électrice moyenne, la militante ordinaire, ni même une députée parmi d'autres. Elle a été parachutée remplaçante de Jack Layton par M. Layton lui-même, en toute connaissance de cause.
À l'interne, ce choix se justifiait: il lui était impératif d'avoir à la tête du NPD quelqu'un qui, comme Jack Layton, était en mesure d'en préserver l'unité. Devenu opposition officielle, il ne fallait pas qu'en son absence, le NPD se déchire entre sociaux-démocrates de la vieille école et tenants du recentrage du parti. Ex-dirigeante syndicale, Mme Turmel pouvait relever le défi de garder son monde uni.
Ce faisant, M. Layton a toutefois choisi d'ignorer le positionnement du parti par rapport à ses adversaires — sans doute parce qu'il se voit de retour pour la rentrée parlementaire. Mais il est plus réaliste d'envisager que ce sera Mme Turmel qui ira au combat. Pour une nouvelle élue, c'est déjà une gageure. C'est maintenant devenu une erreur stratégique.
Stephen Harper est un politicien dur et redoutable, et les Canadiens qui ne sont pas de son idéologie ont besoin de compter sur une opposition forte maintenant qu'il est majoritaire. Or non seulement il aura devant lui des chefs intérimaires (si ce n'est l'isolée Elizabeth May), mais il pourra en plus se jouer comme un chat d'une souris du «séparatisme» de sa vis-à-vis de l'opposition officielle. Il doit déjà s'en pourlécher les babines.
Le cas de Mme Turmel jette par ailleurs, et plus vite que prévu, une lumière crue sur l'ambiguïté du NPD quant à la question québécoise. On aura beau dire, la place que cette fédération réserve au Québec est un problème récurrent, soulevé dans une foule de dossiers et au sujet duquel le NPD s'est fait une spécialité de surfer, comme le démontrait hier dans notre page Idées le politologue André Lamoureux.
Le 2 mai dernier, les Québécois ont voté pour le NPD en tant que remplaçant du Bloc, à l'image d'une Mme Turmel pour qui les deux partis s'équivalaient. Mais dans le ROC, on sait faire la distinction. Tous seront donc à l'affût des sensibilités bloquistes dès que la chef par intérim ouvrira la bouche, mais pas pour les mêmes raisons. L'automne politique s'annonce sémantique, et le NPD n'a pas fini de multiplier les communiqués pour expliquer ses contradictions.
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jboileau@ledevoir.com
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