La Chine est l’usine du monde. L’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce, en 2001, a mis fin aux barrières douanières qui pénalisaient les produits chinois et a (en théorie) ouvert le marché chinois aux produits et aux investissements des autres pays. L’afflux des produits chinois a induit, en Occident, une désindustrialisation à grande échelle, dictée par une pression concurrentielle accrue sur les coûts de production. Est venu le temps des délocalisations, que ce soit en Asie ou ailleurs : continuellement chercher cet ailleurs où l’on peut produire moins cher, y faire produire ce que l’on consommera en Occident jusqu’à ce qu’un autre moins cher vienne justifier d’un changement de source d’approvisionnement.
C’est parfois très confortable pour nos intérêts immédiats d’Occidentaux. L’exemple des panneaux solaires est édifiant. La part de marché de la Chine est léonine. La fabrication et l’assemblage d’un panneau photovoltaïque oblige à polluer, salement, et le transport et la pose aussi, mais cette pollution est surtout subie autour de l’usine en Chine. Ainsi, nos bonnes consciences écologiques ne sont pas troublées par ce qu’elles ne perçoivent pas directement.
La Chine respecte-t-elle les règles du libre-échange ? Il y a, certes, des déconvenues nombreuses, répétitives et parfois dangereuses sur le respect de certaines normes pour ce qu’elle exporte. Le scandale du lait contaminé à la mélanine, en 2008, est un exemple : il existe des acteurs privés qui fraudent. Mais il est possible d’affirmer que ce lait contaminé ne contenait aucune trace de lasagnes à la viande de cheval. Les trois condamnations à mort prononcées dans un procès à huis clos montrent que la Chine sanctionne très durement ceux qui se font prendre. Pour ce qui est des investissements et des exportations, il y a un protectionnisme larvé fait de corruption et d’entourloupes réglementaires qui induit une réponse plus mitigée.
Les raisons du succès de la Chine sont, bien sûr, un immense réservoir de main-d’œuvre qui peut, le cas échéant, être réduite en quasi-esclavage, et une sous-évaluation chronique de sa devise. Au dumping commercial, la Chine ajoute les dumpings sociaux et monétaires. Elle a, en outre, constitué des excédents de devises qui lui ont permis d’investir massivement dans la dette publique de pays avec qui elle commerce. Elle est, en quelque sorte, un des banquiers des États où vivent ses clients, avec ce que cela implique.
Une erreur fondamentale de l’Occident et de l’OMC a été de dissocier, lors des négociations, les volets travail et monnaie du volet commercial avec, comme conséquence, de voir la Chine bénéficier d’un gigantesque avantage concurrentiel. La Chine assume son ambition impérialiste : elle veut racheter le monde, avec une perception du temps qui ne cadre pas avec nos échéances de capitalistes pressés. Comment ne pas penser à une guerre de l’opium à l’envers ? L’Angleterre et l’Occident droguaient les populations chinoises pour contraindre la Chine, à vocation naguère autarcique, à s’ouvrir au commerce international. La Chine d’aujourd’hui drogue l’Occident avec une surconsommation de produits manufacturés chez elle. Elle est devenue le dealer et nous le junkie. On fait quoi, pour changer la donne ?