Notre déchéance linguistique

Par Raymond Savard

Tribune libre

(lettre publiée en partie dans Le Devoir du 16 juillet 2006)
Madame, Monsieur,

J'ai lu avec beaucoup de tristesse le texte de Jules Tessier, fondateur de la revue Francophonies d'Amérique, paru dans [Le Devoir->1178] du mercredi 12 juillet. Monsieur Tessier le sait, il n'est pas le premier à tirer la sonnette d'alarme au sujet de la déchéance de la langue française que nous connaissons actuellement dans notre belle métropole. Le grand journaliste Jean-Marc Léger l'a fait avant lui à plusieurs reprises, sans compter les innombrables articles de journaux et de revues, les essais ou autres opuscules qu'on a écrits depuis quelque trente ans sur les hauts et les bas de notre situation linguistique. Il y aurait lieu, comme l'a fait Charles Péguy pour déplorer la ruine des églises de France, de parler de la grande pitié de la langue française au Québec.

Depuis 1977, nous sommes bien assis sur la loi 101, du moins sur ses reliquats qu'on n'applique plus que mollement, et nous nous en satisfaisons, en bons provinciaux asservis que nous sommes. Le Québec, en général, est assez peu touché par le drame montréalais où le français se retrouvera dans moins de dix ans dans une situation pire qu'avant 1977. Tout, absolument tout nous y conduit, y compris la décision aberrante et parfaitement conforme à notre statut de nation annexée, de faire commencer, dès la première année du primaire, l'enseignement de l'anglais et ce, en septembre prochain. Cette mesure qui n'a cours dans aucun pays du monde, met en lumière notre agenouillement devant l'impérialisme anglo-saxon et sonne le glas de la langue française au Québec. On sait qu'elle n'a suscité aucune manifestation massive dans nos rues. J'y vois là un signe de notre incroyable lâcheté et de notre désir peut-être inconscient de nous assimiler.

Autre indice : l'état de notre langue écrite et parlée est loin d'être un jardin de roses. Ainsi que le dit Gaston Miron dans l'un de ses poèmes les plus célèbres, nous avons laissé la lumière du verbe s'avilir. En effet, l'ignorance crasse des règles les plus élémentaires de la grammaire s'étale impunément au Parlement, dans la rue, à l'école, dans la publicité, à la radio, à la télévision, bref partout. Il y a lieu, certes, de parler ici d'avilissement.

Selon l'historien Maurice Séguin, ce grand visionnaire hélas ! bien oublié aujourd'hui, un peuple qui se complaît dans l' annexion depuis trop longtemps ouvre la voie à son assimilation. Je suis convaincu que c'est ce qui se passe actuellement et les observations de monsieur Tessier m'en fournissent la preuve. Bien sûr, il existera encore des îlots de résistance, mais l'Histoire se jouera sans nous, j'en ai bien peur, à moins d'un sursaut national qui, les choses étant ce qu'elles sont, me semble assez improbable.

Voilà donc où nous ont conduit notre manque de courage, notre incapacité de dire oui à la liberté, notre manie funeste de quémander notre place au soleil. Triste fin. Vauvenargues a tout à fait raison d'affirmer que la servitude abaisse les hommes jusqu'à s'en faire aimer.


Raymond Savard, Gatineau


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