Il n’y a là, nous semble-t-il, rien d’exigu.
Sans la politique, le social, l’économique, le nationalisme laurentien n’aura pas de formule propre. Il ne sera qu’une façon d’instaurer une politique sociale conçue selon l’Église et la politique économique qui en découle, pour la fondation d’un État chrétien.
Accorder les vérités éternelles avec notre temps et notre espace du monde, voilà la tâche qui incombe à notre génération (comme du reste à toute génération).
Tout nous ramène donc à la même conclusion. Pour ce faire un travail préliminaire s’impose à tous: dégager les traits essentiels de l’homme du Pays. “Comme on ne commande à la nature qu’en lui obéissant, écrit Pierre-Henri .Simon, on ne s’impose à une nation qu’en observant les lois profondes de son histoire”.
Aussi lançons-nous le même appel qu’il y a trois ans (dans le manifeste de la jeune génération) et que nous n’avons cessé de répéter depuis, sous des formes diverses. Il faut que nous arrivions à être nous-mêmes, que nous sortions des pâles copies et des imitations formalistes; ce à quoi nous nous acheminerons d’abord par la connaissance. La proie s’annonce belle. À tous, elle est promise: ingénieurs comme légistes, travailleurs agricoles comme intellectuels, botanistes comme géologues doivent investiguer, inventorier dans un même sens.
Les artistes nous donneront un art laurentien ; il ne s’agit ni de folklore ni de “sujets laurentiens” ni d’une inspiration factice, par le dehors; mais d’une véritable fécondation, d’un souffle de l’âme infiniment plus intime. Que la source soit laurentienne et qu’ensuite on chante le Japon si l’on veut.
Les médecins, les hygiénistes, les gymnastes aideront à bâtir une race de beaux jeunes gens et de belles jeunes filles, forts et chastes, non pour montrer aux expositions internationales de curieux spécimens athlétiques: afin que l’âme habite un corps mieux développé.
Ainsi sustenté, nourri, notre nationalisme vivra riche, harmonieux et réfléchi.
Et ceux qui aimeront le mieux la Laurentie, ce seront les prêtres. Car tout cela, c’est de l’humain, des valeurs réelles, mais blessées – et ils les guériront. Ils panseront cette blessure. Sur ce pauvre monde édifié par nos mains, ils rendront plus libre le jeu de la Grâce. Ah ! nous ne serons pas en Paradis; le Paradis n’est pas sur terre, il est… en Paradis. Peut-être éprouvera-t-on davantage la nostalgie des choses supraterrestres dans un milieu où tout ne visera pas à nous les faire oublier.
Notre conception spiritualiste de la vie promet au pays qui réalisera un tel idéal une influence considérable sur le monde: il y projettera une grande clarté.
Ces rêves seraient fous dans une période de solidité bourgeoise, de stabilité. Dans une époque où sociétés et pays se dissolvent, où il est permis de discuter de tout parce qu’on a tout remis en question, où une civilisation se crée, en pleine bagarre, nos volontés et nos intelligences ont la promesse d’une extraordinaire influence; tout autorise les courageux espoirs.
Ce dont notre responsabilité s’accroît.
***
Oui, la tâche incombe à ma génération de créer aux Américains de langue française des conditions de vie. De vie et non de survie. Oui, il importe au salut de l’Amérique qu’il y ait une Laurentie. On ne peut parler du concert des nations américaines là où il n’y a que cacophonie, dérythmie. Mais on doit affirmer que dans ce chaos la nation laurentienne par ses traditions, par la civilisation qu’elle continue, ses virtualités, par tout son être où court la sève chrétienne, représente des valeurs qu’il importe au Continent de sauvegarder.
Précisément parce qu’il le faut; parce que jamais nous ne serons une tourbe communiste; parce que nous sommes un obstacle sur la route du Diable; précisément à cause de notre rôle, à cause de la réalité de notre rôle, nous subirons des assauts terribles.
Voilà pourquoi tout commande les courageux espoirs.
Laurentie, nous autres qui avons vingt-cinq ans, allons-nous voir ta maturité? Avant que nos yeux ne se ferment ici-bas, deviendras-tu une unité politique, un État ?
Cela ne dépend pas seulement de nous.
Mais il dépend de nous que tu vives, que tu possèdes la grande unité des vivants : il dépend de nous que tu libères son âme. Déjà le passé, complice de notre ambition, t’a doté d’une âme. Positivement, tu es une âme et non cette irréelle abstraction à laquelle les hommes de 67 t’avaient sacrifiée. Tu donnes la vie à des corps dissemblables : Franco-ontariens, Acadiens, ceux du vieux Québec, ceux de la Nouvelle-Angleterre. – Seulement, l’âme est à demi-étranglée.
Là, un jour, un Pays naîtra. Il est né dans nos coeurs. Nous concevons un très grand pays. Il faudra que ces tronçons se lient car autrement il manquera toujours quelque chose.
Ici, la place est marquée pour un grand Pays. Quand les États-Unis (est-ce demain? ou dans un siècle?) ploieront sous le choc d’influences contradictoires: Nord, Sud; quand, travaillés par des forces qu’ils n’ont pas su mettre en faisceau et des faiblesses qui vont s’aggravant : ces Races et ces Nations dans l’État (Noirs, Jaunes, Allemands, Italiens, Juifs, Irlandais, Français, etc., etc.) et ces cancers (irréligion, matérialisme pratique de la masse et ses conséquences : divorce, dislocation de la famille, primauté de l’argent ou plutôt du crédit, etc., etc.)., les États-Unis se désagrégeront (car ces gens-là n’ont point d’âme, et sans âme on ne vit pas longtemps) – alors, ce pays désiré, cette puissance dont nous poursuivons l’élaboration surgira du monde des désirs. C’est-à-dire qu’on verra ce qui, présentement, commence d’être.
Au surplus si l’on voit qu’à force de cohabiter les Étatsuniens finiront par se donner une âme, ou que leur corps est bâti pour durer : la Laurentie ne dépend pas d’un cataclysme. Il faudra cesser de vous attendre, Franco-américains. On se dira bonjour pardessus la frontière.
***
Vieux Québec, tu auras eu beaucoup d’honneur car c’est toi le foyer de la Patrie qui s’instaure. Vieux Québec qui as laissé partir tes fils, tu les retrouveras un jour lorsque, faisant éclater tes frontières, tu commenceras de respirer à l’aise. Ohé! l’Acadie, là-bas, ohé! Frères d’ailleurs, Laurentiens, hommes nouveaux de la nouvelle chrétienté, on va se retrouver pour vrai.
***
Tout cela, jeunesse, s’inaugure dans le bouillonnement de ton coeur. Et, plus sûrement, dans l’austérité de ton obscur labeur. Parce que tu auras fait ta version grecque bellement, sous le regard de Dieu, et parce que tu auras courageusement accepté les disciplines fastidieuses : tu feras bellement ta vie.
Je romprai l’écorce du formalisme qui m’empêche de prier l’âme allège et fervente. Je sortirai à coups de bâton le “patriotisme” officiel des mots creux. Je ne scandaliserai pas à plaisir; cependant, quand il le faudra, je scandaliserai. Je pars victorieux. Le monde attend que je le possède, et je le posséderai si je possède mon âme.
La Laurentie régnera en moi. Pas comme un tyran dont je serais l’esclave! comme un idéal librement élu et passionnément servi.
***
Certaines hésitations t’arrêtent ? Si elles ne viennent pas de toi, d’autres te les suggèrent ? Tu dis que nos sentiments sont vrais, mais que nos aspirations n’ont pas cessé de balbutier? Alors, épouse nos sentiments et ne nous crois pas sur parole. Obéis à ta propre inquiétude.
Fais ton inventaire à toi. Cherche. Nous craignons l’immobilité : pas la liberté.
***
Cette définition du nationalisme laurentien n’est pas complète. Elle exprime une aspiration qui ne se connaît pas suffisamment voudrait avant tout éveiller chez nous le besoin d’un grand idéal collectif.
La difficulté est de se maintenir entre le terre à terre et l’utopique. Il faudra désormais, sans diminuer en rien la hauteur de nos conceptions, en déduire des conséquences pratiques, un programme immédiat.
Sans quoi nous aurions simplement ranimé une caricature du patriotisme.
Mettons-nous sur l’heure à pied d’oeuvre. Que chacun de nous se révèle une force positive.
André Laurendeau
(Notre Nationalisme, Tracts Jeune-Canada no 5. Publié dans l’Action Universitaire, décembre 1935, Vol.2, numéro 1).
Nationalisme
« La nationalisme est une attitude de défense, rendue nécessaire par la faiblesse de l’État. » Jacques Bainville (1879-1936), historien et homme politique français. Photo : © Histoire-Du-Quebec.ca