On dit parfois de l’histoire qu’elle bégaie. Et si ce handicap qu’on lui attribue n’était pas tant celui de l’histoire que celui de ceux qui tentent de la faire ? C’est certainement l’impression que j’ai eue en voyant le camp fédéraliste se frotter les mains d’aise et se réjouir à la perspective de voir Thomas Mulcair prendre les commandes du NPD.
Le célèbre joueur puis entraîneur de baseball Yogi Berra, qui avait un sens aigu de la formule tarabiscotée, avait un jour pondu ce petit chef d’œuvre d’imagerie langagière, « It’s « déjà vu » all over again! », en parlant de la répétition d’un événement exceptionnel.
Car c’est bien d’une répétition qu’il s’agit, à quelques détails près. En effet, les fédéralistes vivent depuis « les trois colombes » (Trudeau, Marchand, Pelletier) dans l’illusion que ce sont les personnages politiques qui font l’histoire, au lieu d’être tout simplement les figures de proue d’une dynamique sur laquelle ils ont bien peu d’emprise.
À leurs yeux, il suffit d’avoir sous la main un messie charismatique pour remporter la mise. Trudeau a joué ce rôle, et il lui convenait si bien qu’il a fini par y croire. Il n’a donc pas vu à quel point il avait étiré son propre crédit et la légitimité politique du Canada avec le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982. Ce n’est pas un hasard si le camp souverainiste est venu à un cheveu de l’emporter en 1995.
En propulsant Jean Charest sur la scène politique québécoise en 1998 en remplacement du fade Daniel Johnson fils, les fédéralistes (Paul Desmarais en tête) ont cru que l’agressivité et la flamboyance de leur poulain pourraient convaincre les Québécois de se résoudre une bonne fois pour toutes à accepter leur statut de Canadiens.
Et pendant un certain temps, ils ont pu croire que leur stratégie avait réussi. En vérité, comme le reste du monde, les Québécois vivaient dans l’illusion que la financiarisation de l’économie et la mondialisation allaient leur garantir un avenir économique brillant, et ils ne voyaient pas ce qu’ils auraient à gagner en s’inscrivant contre ce courant. C’est la crise financière de 2007 qui a changé la donne, et cette réalité n’a commencé à devenir apparente que dans les premiers mois de 2010.
À cet élément de conjoncture internationale sont venus se greffer des éléments particuliers au Canada et au Québec, comme la montée en puissance des Conservateurs à Ottawa, la promotion par ceux-ci d’un agenda politique invendable au Québec, et la découverte de la généralisation de la corruption dans la politique et l’économie québécoise, et non seulement dans l’industrie de la construction, comme on voudrait bien nous le faire croire.
C’est le cumul de tous ces éléments qui nous donne l’impression de vivre dans une pétaudière depuis deux ans. Et il faut comprendre comment ils se trouvent à miner la légitimité du régime fédéral au point où il est redevenu possible d’envisager en toute vraisemblance la possibilité pour le Québec de faire son indépendance.
En effet, le régime fédéral va d’abord pâtir de sa forte association avec Jean Charest sur le plan de l’image. Les fédéralistes n’ont-ils pas fait de lui leur « Capitaine Canada ». Si le Capitaine se plante, il risque d’entraîner à sa suite dans la déconfiture toute la nuée de troufions, profiteurs et autres parasites qui se nourrissent sur la bête.
Le régime fédéral va ensuite se ressentir des tensions très vives que le gouvernement conservateur actuel entretient entre les Canadiens avec ses politiques et ses choix controversés dans presque tous les domaines d’activité du gouvernement fédéral.
Et enfin, en raison de l’évolution prévisible de la conjoncture économique au cours des prochaines années, le régime fédéral ne parviendra plus à jouer son rôle traditionnel en matière de redistribution de la richesse. Tôt ou tard, le Canada subira le contrecoup des chocs qui s’abattent déjà, et qui vont continuer de s’abattre, sur les États-Unis.
Ainsi, il est très facile de prévoir quelles seraient les conséquences d’un effondrement de la demande de pétrole aux États-Unis advenant un fort ralentissement économique. On se souviendra qu’au creux de la crise financière en 2008, le prix du pétrole avait chuté à 30,28 $ US le baril. Et ce n’est pas parce que les autorités s’emploient à prétendre que le pire ne peut pas se produire qu’il ne surviendra pas.
À partir du moment où la prospérité du Canada repose sur le pétrole comme c’est désormais le cas, il devient possible de mesurer toute la fragilité de la branche sur laquelle nous sommes assis. Avec l’effondrement de la base manufacturière ontarienne, l’économie canadienne est devenue une économie de casino, et comme au casino, on peut perdre sa chemise en une soirée.
Viendra bientôt un moment où les Ontariens comprendront comment ils ont été les victimes du redressement des finances publiques fédérales entrepris par Paul Martin. Plus la situation se redressait, plus le dollar augmentait. Et plus le dollar augmentait, moins l’Ontario exportait. Moins elle exportait, plus son secteur manufacturier se ratatinait. Et plus c’était le cas, plus l’Ontario s’appauvrissait, au point que son déficit 2011-2012 annoncé dans le budget d’hier atteindra les 15,3 milliards $ pour une population de 13,5 millions d’habitants, alors que celui du Québec pour le même exercice est de 2,5 milliards $ pour une population de 8 millions.
On notera d’ailleurs avec amusement « l’astuce » du gouvernement libéral ontarien qui a choisi de déposer son budget 2012-2013 la veille du dépôt du budget fédéral pour faire oublier le plus rapidement possible toutes les mauvaises nouvelles qu’il contient.
Si l’on s’imagine avoir connu de fortes tensions constitutionnelles au Canada, on n’a encore rien vu.
Ce qui nous ramène à Thomas Mulcair. Aussi talentueux, aussi énergique, aussi combatif soit-il - et il possède toutes ces qualités - il ne fera tout simplement pas le poids devant la force des vents contraires qu’il aura à affronter.
Cela dit, comme cette partie va se jouer sur quelques années, il faut s’attendre à le voir tenter toutes sortes de manoeuvres pour se positionner en force, et la plus évidente sera sans doute la fusion prévisible du NPD avec le PLC qui permettra aux fédéralistes de s’illusionner un moment sur les chances de survie de leur option.
Nostalgie, quand tu nous tiens…
MISSION (VRAIMENT) IMPOSSIBLE !
Mulcair, le nouveau champion des fédéralistes
It’s « déjà vu » all over again!
Chronique de Richard Le Hir
Richard Le Hir673 articles
Avocat et conseiller en gestion, ministre délégué à la Restructuration dans le cabinet Parizeau (1994-95)
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6 commentaires
Archives de Vigile Répondre
21 avril 2012Je vois énormément de publicité avec Mulcair à la télévision, aurait-il gagné le gros lot? Ce n'est pas donné la publicité à la télévision, où prend-il cet argent? Serait-il devenu le nouveau favori des banquiers? Je pense que oui.
Je veux bien faire confiance à des irlandais, mais avec Mulroney qui se disait contre le libre-échange avant d'être élu, Flayerty, le lèche-bottines des banquiers, nous sommes vraiment pas chanceux. Pourrait-il faire comme Mulroney, trahir sa parole en nous vendant aux banquiers ou à la finance? Sans une loi du Recall comme en Californie, sur n,importe quel sujet, tout politicien peut renier sa parole sans problème. Une fois élu, ils ont carte blanche pour nous vendre au plus offrant. Et c'est légal. Immoral, mais légal quand même.
Je veux plus que des belles paroles, je veux des engagements précis. En aurons-nous? On verra bien.
Archives de Vigile Répondre
1 avril 2012Thomas Mulcair n'est qu'un autre pantin en titre... Le nouveau chef du NPD a toujours été à la défense de l'anglais au Québec, donc contre la loi 101, notre culture et le fait français. Que dire de plus ! [voir ici] Et Charest qui renoue maintenant d'amitié avec lui... OUF, la soupe est chaude !
Normand Paiement Répondre
30 mars 2012Dire que certains prétendent encore que nous avons de la chance de vivre au Canada: http://www.cyberpresse.ca/debats/opinions/201203/29/01-4510751-un-pays-chanceux.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B9_debats_1242600_accueil_POS1!
Illusion, quand tu nous tiens...
Lâchez pas, Monsieur Le Hir, vous n'êtes pas au bout de vos peines. Continuez à marteler votre message, car certains comprennent moins vite que d'autres!
Cordialement,
Normand PAIEMENT
Archives de Vigile Répondre
29 mars 2012"en raison de l’évolution prévisible de la conjoncture économique au cours des prochaines années, le régime fédéral ne parviendra plus à jouer son rôle traditionnel en matière de redistribution de la richesse."
Monsieur Le Hir,
C'est déjà commencé depuis un bout de temps. Je me souviens de la conjoncture économique dans ma région de la Mauricie au début des années 1990 alors que les usines de pâtes et papier fermaient les unes après les autres. Et ça a continué jusqu'à ces dernières années.
Finalement, depuis plus de vingt ans, il n'y a jamais eu d'embelli au point de vue économique. La bourse qui monte ne veut rien dire d'autre que les riches, eux, continuent à faire de l'argent parce qu'ils ont déménagé les usines dans les pays où la main-d'oeuvre est à bon marché.
Pendant ce temps-là, les citoyens du Québec et du Canada qui ont perdu des emplois ont bien de la difficulté à en trouver d'autres aussi bien rémunérés.
Alors, parce qu'il y a manque à gagner au gouvernement, on fait des budgets qui coupent davantage d'emplois dans la fonction publique et on impose l'austérité à ceux qui sont déjà mal pris.
SVP, dites-moi quand ce cauchemar va prendre fin. Il me semble réentendre encore et toujours Paul Martin, quand il était ministre des finances au milieu des années 1990, dire que notre train de vie ne pouvait plus durer.
Et vous savez où il a coupé en premier lieu: l'assurance-emploi. Ceux-là n'étaient pourtant pas ceux qui menaient le plus gros train de vie à ce moment-là.
Archives de Vigile Répondre
29 mars 2012Puissante analyse M. Le Hir.
Dans la forêt sombre de la désinformation et de la propagande fédéraliste, vos lumières jettent un éclairage sur avenir plus radieux que prévu pour nous, les indépendantistes!
Merci mille fois.
André L.
Archives de Vigile Répondre
29 mars 2012Monsieur Le Hir
Le Canada, pour moi, c'est un pays étranger comme le Zimbabwe et je me demande tout simplement; quand est-ce, allons-nous fermer les livres, définitivement, avec ces colonisateurs? Ça saute tellement aux yeux que nous, Québécois, n'avons plus rien à foutre dans ce pays qu'il me semble que ça ne vaut même plus la peine de s'éterniser à parler de Harper, de Rae, de Mulcair ou de stratégies à formuler pour quoi???
Sortons-en une fois pour toute de ce merdier "canadian" et prenons-nous en main, en réalisant l'indépendance du Québec. Ne trouvez-vous pas que nous avons assez perdu de temps et d'énergie avec cette confusion identitaire? Je suis Québécois point à la lettre!
André Gignac 29/3/12