Quand j'ai vu le sublime témoignage du cardinal Ouellet devant la commission Bouchard-Taylor, je me suis frotté les yeux comme après un mauvais rêve. Je me retrouvais à l'école Sainte-Bernadette en 1950. Les mêmes clichés, la même foi aveugle, les mêmes admonestations. À cette époque, je croyais vraiment que les mécréants dont j'étais, ceux qui trichaient au carême, avaient de mauvaises pensées et regardaient les filles d'un air concupiscent étaient voués aux supplices éternels. Je fis mille cauchemars car la vie ne cessait de me proposer l'enfer et rarement le paradis. Je regardais le cardinal à la télé et je voyais mon ancien curé qui venait faire l'examen de catéchisme, entendant les mêmes paroles suaves, les mêmes menaces, le même constat de dépravation de la société moderne. À cette époque, je ne savais pas que je vivais dans une société moderne, mais le curé le savait, lui, et il semblait que le modernisme, notamment la télévision qui apparut trois ans plus tard, menaçait la fibre solide du peuple québécois. Voilà, je faisais un mauvais rêve.
Je me suis dit en regardant le triste cardinal que son intervention serait accueillie avec quelques froncements de sourcils, des commentaires polis et un silence total, car cet homme m'apparaissait comme un Martien, et on ne commente pas les propos des extraterrestres ou des marginaux illuminés. On les rapporte, sans plus.
J'attendais le désintéressement, ce fut le tollé et le olé. Nous voilà repartis comme en 1960 au sujet de la place de l'Église dans la société, comme dans les années 80 à propos de l'enseignement de la religion à l'école. Le Québec et surtout ses intellectuels adorent reprendre des débats passés pour se prouver qu'ils sont enfin modernes, comme si nous n'en étions jamais certains. La sortie du pilier conservateur de l'Église ne méritait qu'un respect poli et un profond silence. Je me disais: «Je n'écrirai pas sur un mauvais rêve, sur un cardinal de 2007 qui me fait penser à mon curé de 1950.»
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Mais le cardinal est «sur une mission», comme on dit en anglais. Quelques jours plus tard, il publie une fascinante lettre d'excuses pour les péchés passés de l'Église, et si mon catéchisme dit vrai, selon cette lettre, l'Église devrait se retrouver en enfer. Ce ne fut pas sa conclusion. L'Église demande pardon et, bien sûr, son Dieu l'entend et lui évite l'enfer. Maintenant, on ne parle que du cardinal Ouellet.
Si les Québécois ne pratiquent plus même s'ils croient majoritairement en Dieu, c'est que, comme moi, ils ont trop connu de cardinaux Ouellet, ces prédicateurs intégristes d'un dogme et de règles qui n'ont aucun rapport avec les livres saints mais seulement avec la volonté de l'Église d'enrégimenter la vie des humains sans égard à leur bonté ou à leur conduite exemplaire. Je connais une femme qui fut excommuniée à Saint-Jean parce qu'elle était tombée amoureuse d'un soldat noir américain divorcé et souhaitait l'épouser. Ils étaient amoureux, se marièrent aux États-Unis, eurent plusieurs enfants, et ils s'aiment encore. C'est bien ce que souhaite l'Église, celle du cardinal: un couple heureux qui fait des enfants, mais elle a interdit ce couple coupable, condamné à l'enfer pour l'éternité.
M. le cardinal, les Québécois vous ont quitté parce que vous ne vivez pas, parce que vous n'êtes pas marié, parce que vous ne connaissez pas le doute et l'adultère, la tentation de l'autre, parce que vous ignorez la violence des hommes que vous avez toujours protégés et excusés, à cause du «devoir conjugal», parce que les femmes sont pour vous des sacristaines et des porteuses de burettes, parce que le condom qui empêche le sida est un péché. Les Québécois vous ont quitté parce que vous ne vivez pas avec eux, vous vivez avec le Vatican, cette incroyable bureaucratie de la foi, ce club de vieillards frileux qui pensent posséder en propre la pensée de Dieu. Dieu, s'il existe, est sûrement plus généreux, plus souple et plus intelligent que vous. Sinon, il ne serait pas Dieu.
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Il existe dans le discours du cardinal une trame fascinante qui n'a pas été relevée, sauf récemment dans mon journal. C'est le discours des intégristes musulmans, celui des intégristes américains et, bien sûr, celui des intégristes catholiques comme le cardinal Ouellet. Ce discours se résume ainsi: la Terre va mal, les conflits se multiplient, les hommes violent des femmes, la violence augmente, les sociétés sont désorganisées et sans repères, les jeunes consomment de la drogue. Et tout cela est dû à une crise de spiritualité que le retour de la religion pourrait résoudre. Le cardinal, comme tous les intégristes, confond spiritualité et code religieux. La spiritualité n'a aucun rapport avec les dogmes et les commandements de Dieu, au contraire. Ce que le cardinal nous propose comme spiritualité, c'est la prison du dogme du Vatican. Il ne nous propose pas une morale, une éthique, un dépassement de soi, une adhésion à des projets collectifs; il nous propose un catéchisme, un code de conduite, comme un code de la route.
Notre société est effectivement en crise, mais il ne faut pas exagérer. Ce dont elle manque, ce ne sont pas des règles idiotes décrétées par des vieillards peureux réunis en conclave mais des engagements collectifs, des choix sociétaux qui privilégient le partage. Ce qui nous manque, ce n'est pas le catéchisme, c'est la solidarité, ce sentiment selon lequel nous possédons en commun ce monde et cette société et que nous sommes les seuls à pouvoir les sauver. Et que ferons-nous avec la religion, M. le cardinal? Nous ferons comme les intégristes américains: nous l'enseignerons à la maison et à l'église. Pour vous qui nous avez prêché le sacrifice et l'abnégation durant si longtemps, cela ne constitue certainement pas un trop grand effort de mortification. À moins que vous ne croyiez que vos troupes soient incapables de le faire. Et quand j'y pense, je me dis que c'est probablement la véritable raison de votre triste appel au secours.
Mon vieux curé
Notre société est effectivement en crise, mais il ne faut pas exagérer. Ce dont elle manque, ce ne sont pas des règles idiotes décrétées par des vieillards peureux réunis en conclave mais des engagements collectifs, des choix sociétaux qui privilégient le partage.
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