Le cardinal, l'État, l'école

La Lettre du cardinal Marc Ouellet


Un jour, des sociologues analyseront pourquoi et comment une commission sur les accommodements raisonnables a créé une macédoine dans laquelle on retrouve 10 fois plus de craintes déraisonnables des catholiques majoritaires que de demandes raisonnables des minorités. Mais pour le moment, il y a plus urgent.

Comme la place de la religion à l'école, une question que l'on croyait réglée il y a déjà 10 ans par l'amendement constitutionnel ouvrant la porte aux commissions scolaires linguistiques.
Apparemment, ce n'est pas réglé. À l'approche de la disparition complète de l'enseignement religieux à l'école, en septembre 2008, le clergé québécois, sous la plume du cardinal Marc Ouellet, relance une fois de plus le débat.
Profitant du «malaise» identitaire exacerbé par les jeux politiques des trois partis à l'Assemblée nationale et par la commission Bouchard-Taylor, Monseigneur plaide pour la préservation de la religion dans les salles de classe. C'était prévisible. N'est-ce pas le commissaire Gérard Bouchard lui-même qui disait, avant même d'avoir entendu un seul témoin, que les Québécois avaient perdu leurs repères en balançant la religion catholique?
Que Son Éminence prêche pour sa paroisse, cela ne surprendra personne. Mais ce n'est pas le clergé qui décide, c'est le gouvernement. Et dans un contexte de gouvernement minoritaire, c'est même le Parlement qui décide, donc, les électeurs.
L'Ontario vient tout juste de passer par là. La dernière campagne électorale de nos voisins a tourné presque exclusivement autour de la proposition controversée du chef conservateur John Tory de subventionner les écoles confessionnelles à condition qu'elles suivent un tronc commun dans les autres matières (actuellement, l'Ontario subventionne, pour des raisons historiques, les écoles catholiques). Les Ontariens ont tranché le mois dernier: l'État et la religion font deux, et les conservateurs ont subi une raclée électorale.
Ici, tous les éléments semblent réunis pour que la religion s'invite dans la prochaine campagne électorale au Québec, sur fond de débat sur la place de l'enseignement religieux à l'école.
Cette prochaine campagne risque fort de se dérouler sous le signe du Nous. Elle arrivera, en 2008 ou en 2009, peu après le dépôt du rapport de la commission Bouchard-Taylor et un peu avant ou tout de suite après la fin de l'enseignement religieux à l'école. D'où l'importance de savoir où logent exactement les libéraux, les adéquistes et les péquistes sur la question AVANT la prochaine campagne.
En ce sens, il serait sans doute utile de passer au vote une résolution enjoignant à l'Assemblée nationale de confirmer l'engagement du Québec à laïciser les écoles. On verrait ainsi si la question est vraiment réglée, du moins au Parlement. Parce que de report en report, il faut admettre, 10 ans après l'amendement constitutionnel en faveur de la déconfessionnalisation, qu'il est plus facile de sortir les crucifix que la religion des écoles du Québec.
La question est d'actualité pour les trois chefs, mais surtout pour Pauline Marois, la mère de l'amendement sur la laïcité, dont un des principaux conseillers, Jean-François Lisée, est ouvertement en faveur du maintien de l'enseignement religieux à l'école.
Dans son dernier livre, assez pompeusement intitulé Nous, M. Lisée affirme que les parents québécois se rebifferont quand ils réaliseront vraiment que l'enseignement religieux disparaîtra de nos écoles en septembre 2008. Il ajoute: « () Je prévois que la disparition de la pastorale à l'école est la prochaine tempête à frapper les assemblées de parents, les commissions scolaires et les tribunes téléphoniques.»
Selon Jean-François Lisée, aucune école confessionnelle ne devrait être subventionnée par Québec, mais les parents devraient avoir le choix de payer un supplément pour que leurs enfants reçoivent un enseignement religieux à l'école (l'auteur suggère même une heure et demie le vendredi matin). Autrement dit, la religion sort des écoles par la porte d'en avant pour y pénétrer de nouveau ipso facto par la porte de derrière.
«Le fait que, traditionnellement, pour la majorité catholique () le lieu scolaire a été celui de la transmission de la foi n'est pas à dédaigner. Il y a une pratique, une histoire, un patrimoine qu'on peut adapter, moduler, transformer, mais pas évacuer», écrit M. Lisée.
Qu'en pense la chef du PQ?
Les parents veulent, en majorité, que l'école préserve ce rôle pour leur progéniture, poursuit M. Lisée. Après avoir fait les premiers sacrements, si l'enfant devenu ado veut balancer la religion, eh bien soit, écrit-il encore, il fera comme ses parents avant lui. Ces mêmes parents qui veulent que l'école enseigne la religion? Pas très cohérent, tout ça. Mais là encore, qu'en pense Mme Marois? Se laissera-t-elle convaincre aussi facilement que pour son controversé projet de loi sur l'identité?
Quant à Mario Dumont, on ne retrouve pas un seul mot sur l'enseignement religieux dans le programme de son parti, mais on se rappelle qu'il avait présenté et défendu en mars 2005 une pétition de 60 000 noms exigeant le maintien de l'enseignement religieux à l'école. Défendra-t-il maintenant la fin de cet enseignement en septembre prochain?
Chez les libéraux de Jean Charest, la question de la laïcisation a longtemps fait des vagues, mais il semble que le gouvernement soit résolu, cette fois, à remplacer définitivement les cours de religion par un programme d'éthique et de culture religieuse. À moins que l'air du temps ne les incite à reconduire la dérogation permettant le maintien de l'enseignement religieux, question de ne pas avoir cet épineux dossier sur les bras en campagne électorale.
Chose certaine, Jean Charest doit prier (façon de parler) pour que la commission Bouchard-Taylor ne recommande pas le printemps prochain de garder l'enseignement religieux, ne serait-ce qu'en partie, à l'école.
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