Quand on a fait de l'intégrité et de la transparence son fonds de commerce politique, comme Stephen Harper, voir son nom associé, même de loin, à cette increvable affaire Airbus représente sans aucun doute le pire cauchemar.
Sauf que M. Harper ne rêve pas. Il est bien réveillé et son nom figure bel et bien en toutes lettres dans une déclaration sous serment de Karlheinz Schreiber, l'homme par qui le scandale est arrivé.
Évidemment, M. Harper n'a rien à se reprocher dans l'affaire comme telle ou dans les relations entre Brian Mulroney et l'homme d'affaire germano-canadien, il n'était même pas député en 1993, à la fin du règne de M. Mulroney.
Le problème, c'est que le premier ministre aurait reçu il y a sept mois une lettre de M. Schreiber l'avisant que l'entente de paiement de 300 000$ à M. Mulroney est survenue alors que celui-ci était premier ministre. Le bureau de Stephen Harper affirme que la lettre est arrivée au Conseil privé (le "ministère" du premier ministre), mais que le premier ministre Harper n'en a pas été informé. Fumeuse explication, affirme Stéphane Dion, qui a été lui-même président du Conseil privé pendant des années.
À voir le chef libéral, peu porté sur les attaques personnelles, s'empresser d'accuser le gouvernement Harper de camouflage, suivi par le NPD et le Bloc, on comprend que l'opposition a flairé l'aubaine politique. Enfin! Une tache sur la toge blanche de Stephen Harper!
Y a-t-il eu magouille ou transaction illicite dans l'affaire Airbus? Brian Mulroney avait-il raison de déclarer en 1997, après avoir reçu des excuses du gouvernement Chrétien et un dédommagement de 2,1 millions: "Ils (la GRC) peuvent faire enquête jusqu'à la nuit des temps. Ils ne trouveront rien" ? Ne comptez pas sur cette chronique pour dénouer ce sac de noeuds politico-juridiques sur fond d'expulsion prochaine du principal acteur. Les tribunaux et l'arbitre indépendant nommé par Ottawa arriveront peut-être un jour à faire toute la lumière sur cette nébuleuse affaire.
Dans l'immédiat, chose certaine, Stephen Harper se retrouve avec une belle grosse "patate chaude" dans les mains. Et il risque de se brûler. Qu'il y ait eu ou non camouflage par le bureau du premier ministre, le mal est fait. Quand on chasse le parti au pouvoir en dénonçant la corruption et le manque de transparence, on se doit d'être plus blanc que blanc. Question d'apparence, pas de responsabilité criminelle.
Entre l'affaire Airbus des conservateurs et les commandites des libéraux (une histoire qui est loin d'être finie, mais de ça, nous reparlerons une autre fois), le Bloc québécois sera tenté de ressortir son slogan "Un parti propre au Québec" pour la prochaine campagne.
Dans le reste du pays, les libéraux et les néo-démocrates ne se priveront pas de rappeler les liens entre MM. Mulroney et Harper. Rien pour convaincre les indécis de voter conservateur. L'opposition ne se privera certainement pas de rappeler aussi que le gouvernement Harper a eu récemment des relations d'affaires avec Fred Doucet, lobbyiste et ancien conseiller de Brian Mulroney mêlé à l'affaire Airbus.
Il y a deux semaines, M. Harper a envoyé paître l'opposition qui réclamait une enquête publique sur l'affaire Airbus. Vendredi dernier, changement de cap, il annonce qu'il nommera un arbitre pour tenter d'y voir clair. Que s'est-il passé entre les deux événements? M. Harper craint-il pour la réputation de son gouvernement? Savait-il que la lettre de M. Schreiber allait être rendue publique par le Globe and Mail?
Ce changement de cap aussi rare que spectaculaire de M. Harper, qui a convoqué en catastrophe les médias vendredi en fin d'après-midi, démontre que les conservateurs sentent la soupe chaude.
Il faut rappeler que M. Harper a refusé la demande d'enquête publique de l'opposition en affirmant que l'on ne déclenche pas à la légère des enquêtes publiques contre d'anciens premiers ministres et qu'il pourrait bien le faire aussi contre Jean Chrétien ou Paul Martin. Curieuse explication. Les anciens premiers ministres jouissent-ils, dans l'esprit de Stephen Harper, d'une immunité automatique?
La réaction de M. Harper en dit long sur le potentiel explosif de cette affaire qui ne veut pas mourir, bien sûr, mais elle est aussi représentative de la relation trouble entre Brian Mulroney et son parti politique.
Quiconque a fréquenté les conservateurs depuis 1993 sait à quel point l'ombre de l'ancien premier ministre pèse lourd sur ce parti, surtout dans le Canada anglais et surtout lors des campagnes électorales. Appelons cela le "malaise Mulroney".
En 1997, Jean Charest avait provoqué une tempête médiatique en révélant à Lysiane Gagnon qu'il avait presque une relation père-fils avec son ancien chef.
Stephen Harper, lui, a toujours été très discret sur ses rapports avec l'ancien premier ministre. Durant la dernière campagne, lors d'un arrêt à Toronto, la sénatrice Marjorie Le Breton, fidèle de Brian Mulroney et conseillère de Stephen Harper, m'avait expliqué en chuchotant, comme si elle avouait un crime grave, que M. Mulroney parlait régulièrement à Stephen Harper. "Mais il ne le conseille pas, il ne fait qu'appeler pour discuter", avait nuancé Mme Le Breton devant les collègues anglophones attirés par le nom de l'ancien chef conservateur.
Le malaise n'est pas dû qu'à l'affaire Airbus, bien sûr. Bien des anciens réformistes en veulent encore à M. Mulroney d'avoir flirté avec les souverainistes et d'avoir laissé le loup (Lucien Bouchard) entrer dans la bergerie canadienne. Et puis, il y a aussi cette vieille histoire du contrat d'entretien des F-18 accordé au Québec plutôt qu'au Manitoba
Pour les détracteurs de M. Mulroney au sein de son propre parti, Airbus, c'est la goutte de trop, un symbole et la preuve qu'il faille le tenir à distance.
Brian Mulroney croyait peut-être que la réhabilitation était toute proche en voyant les ministres conservateurs de M. Harper au lancement de sa biographie, en septembre, mais avec ce nouveau chapitre de l'affaire Airbus, les retrouvailles attendront encore.
Stephen Harper doit se féliciter d'avoir évité, contrairement à Jean Charest, de se présenter à Montréal pour le lancement de ces mémoires qui omettaient volontairement d'aborder l'affaire Airbus.
Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca
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