Comme la plupart des avocats au Québec, je connais personnellement plusieurs juges qui ont été nommés à la Cour du Québec de même que des avocats qui ne l’ont pas été.
Je peux témoigner de la qualité de personnes qui le sont devenues, en particulier celles avec qui j’ai travaillé alors que j’étais directeur de l’École du Barreau du Québec. Aucune parmi celles-ci ne méritait pas sa nomination, en particulier le juge Claude Leblond que j'estime beaucoup.
Par contre, je questionne des nominations comme celle de John Gomery et plus récemment celle de Michel Bastarache à la présidence de commissions d’enquête. Alors qu’un avocat désirant devenir juge de la Cour du Québec doit passer à travers un processus complexe garantissant son indépendance, un premier ministre pourrait nommer sans aucun garde-fou des personnes qui vont enquêter sur lui, son gouvernement et son parti. Cela n’a aucun bon sens!
Voici ce que j‘écrivais à ce sujet il y a deux ans dans une chronique intitulée, Trompeuses apparences : autopsie de la commission d’enquête sur les commandites.
« Je ne comprends toujours pas pourquoi Paul Martin, un avocat de formation, a personnellement nommé le juge à la tête de la commission d’enquête sur les commandites, un peu comme l’avait fait Tony Blair quelques années plus tôt lorsqu’il a désigné le juge qui aurait la responsabilité d’enquêter sur la « fabrication » du rapport qui avait conduit à l’engagement militaire de la Grande-Bretagne en Irak. La presse britannique avait été outrée d’apprendre que Tony Blair avait lui-même nommé le juge qui allait enquêter sur les agissements du bureau du premier ministre, y voyant une apparence de partialité. On connaît la suite des choses, ce juge a innocenté Tony Blair. Contrairement à la presse britannique, notre presse locale a été totalement muette sur le sujet. On se demande bien pourquoi ? S’il voulait vraiment prendre Jean Chrétien la main dans le sac, pourquoi Paul Martin a-t-il alors laissé l’impression d’une apparente partialité ?
La procédure la plus appropriée aurait consisté à confier au juge en chef de la cour supérieure le soin de désigner lui-même le juge responsable de présider la commission et de transmettre par son intermédiaire les termes du mandat dévolu. Le juge ainsi nommé aurait pu alors bénéficier de toute la distance nécessaire face au pouvoir exécutif ainsi que de l’autorité morale que lui aurait apportée une nomination effectuée en toute impartialité par le juge en chef.
S’il avait été nommé par le juge en chef et non directement par le bureau du premier ministre, nul doute que le juge Gomery aurait eu le loisir de recevoir les avertissements préalables et nécessaires de la part de son juge en chef au sujet des pièges qui accompagnent habituellement ce genre de mandat, en particulier lorsqu’il y a une présence constante des médias, et ce, même si John Gomery était alors considéré comme un juge expérimenté. La présence d’une autorité morale et totalement impartiale au-dessus du président de la commission, autre que le pouvoir politique du bureau du premier ministre, aurait été rassurante pour le public, les experts et le bon juge. Cependant, cela aurait-il été suffisant pour qu’il y ait totale apparence de justice ? suite... »
***
Parce qu’il a été nommé par le premier ministre du Québec pour enquêter sur son propre gouvernement, Michel Bastarache n’a tout simplement pas l’indépendance voulue pour présider cette inutile commission qui ne sert qu’à divertir les Québécois des véritables problèmes qui minent le gouvernement de Jean Charest.
Parce que sa nomination est fondamentalement viciée et que la légitimité du mandat qui en découle est compromise, Michel Bastarache devrait démissionner de la présidence de cette commission avant qu'il ne perde le peu de crédibilité qui lui reste encore, en ayant déjà beaucoup perdu au cours de ses nombreux échanges avec la presse.
Tout juge sait d’expérience qu’il n’y a aucun déshonneur à se récuser pour de bonnes raisons qui ne peuvent être contestées, prévoyant, qu’à l’inverse, s'il ne le fait pas, il risque de compromettre d’emblée l’impartialité des décisions qu’il rendra en cours d'enquête ou à la fin de ses délibérations. Dans l’esprit de nombreux Québécois il est déjà clair que justice ne sera pas rendu parce que, déjà, il n’y a pas apparence de justice. C’est mon cas.
Avis aux journalistes : paradoxalement, l’os à gruger dans la présente histoire n’est pas la nomination des juges à la Cour du Québec sur lequel vous vous acharnez depuis plusieurs jours, c’est la nomination de Michel Bastarache à la tête de cette controversée commission sur la nomination des juges. Comment ne pas constater qu’elle enfreint toutes les règles que s’imposent le ministère de la Justice et le gouvernement lorsqu’il s’agit de nommer des juges indépendants à la Cour du Québec, un processus qu’on qualifie d’exemplaire? Pourquoi Jean Charest voudrait-il d'un commissaire partial à la tête d'une inutile commission, sinon pour qu'elle se termine comme la commission Gomery, en queue de poisson?
On se demande bien au nom de quelle logique un ancien juge de la Cour Suprême du Canada est embarqué dans une semblable galère. A-t-il pris soin de bien juger la situation avant d'accepter ce mandat, et si oui, pourquoi l'a-t-il accepté?
Commission d'enquête sur la nomination des juges
Michel Bastarache devrait démissionner!
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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9 commentaires
Archives de Vigile Répondre
29 avril 2010M. Lapointe, vous avez raison c'est au juge en chef de faire ça. Et le premier ministre, pas plus d'ailleurs que son ministre de la justice, n'ont à se mêler de la nomination des juges. On voit ce que le copinage fait à Ottawa et à Québec.
(A) Le MODE DE FORMATION ET DE NOMINATION DES JUGES : Ici d'importants changements s'imposent pour éviter toute suspicion qui puisse entacher la crédibilité du système de justice. L'importance de la fonction de juge requiert une formation spécifique qui le dissocie de la profession d'avocat. Dans la santé, se sont développées des professions complémentaires et indépendantes; médecine, pharmacie, dentisterie, optométrie, toutes enseignées dans des facultés distinctes.
(B) DIVISER LE BARREAU EN 2 ENTITÉS DISTINCTES : Une chargée de la protection du public et l'autre de la promotion de la profession d'avocat. Le problème de l'autorégulation des professionnels» par leur corporation est patent. La «suspicion» de conflit d'intérêt persistera aussi longtemps qu'il n'y sera pas remédié. Au Québec, ce départage de responsabilité fut réussi en pharmacie il y a plus de 40 ans.
Frs Beauchemin.
Archives de Vigile Répondre
24 avril 2010M. Lapointe,
Je comprends aisément que vos fonctions antérieures vous aient mis en contact avec un grand nombre d’acteurs de premier plan sur la scène judiciaire de cette province mais il importe de rectifier vos propos au sujet de Claude Leblond. À mon humble avis, Claude Leblond exerce le rôle d’homme de paille de JJ Charest qui l’a nommé directement sans processus de sélection pour accomplir le travail de sape au sein de l’appareil judiciaire. Il faut savoir que ces deux comparses sont de vielles connaissances, Leblond ayant dirigé à une autre époque le stage au barreau du PM. D’ailleurs, l’annonce de cette nomination peu orthodoxe en janvier 2005 avait fait bondir hors de ses gonds le député Stéphane Bédard à l’Assemblée Nationale : «En janvier dernier, on apprenait, dans le journal La Tribune, que l'avocat Claude Leblond fut informé de sa nomination comme juge à la Cour du Québec de la bouche même du premier ministre. Ce coup de téléphone assez surprenant contrevient à la procédure de nomination qui veut que ce soit le ministre de la Justice qui fasse une telle annonce, l'objectif étant, M. le Président, de mettre à l'abri ce processus de toute coloration politique. » Et comme d’habitude, le ministre de la justice Yvon Marcoux s’était réfugié derrière la langue de bois pour éviter de répondre à la question.
Ce singulier coup de téléphone prend tout son sens dans le contexte actuel. Pour sa part, Benoît Corbeil nous informait au printemps 2005 durant l’enquête Gomery que les accointances politiques ont préséance sur tout autre considération lors du processus de sélection des juges, propos corroborés encore récemment par Jean-Claude Hébert à l’émission « Tout le monde en parle ».
Or, souvenons nous que le juge Claude Leblond, en charge du procès pénal de Vincent Lacroix, a refusé tous ses moyens de défense, laissant dans l’ombre les ramifications politiques de cette vaste fraude qui n’auraient jamais fait la manchette sans la nécessaire complicité de l'AMF, de la SGF et la Caisse de Dépôt et de Placement où Lacroix avait fait ses classes. Après avoir été victimes de gestionnaires corrompus, les 9200 petits investisseurs floués dans l'AFFAIRE NORBOURG méritaient d’être informés des raisons qui ont rendu possible un tel scandale financier.
Au tournant de l'année 2005-06, dans un procès éminemment politique, l’« AFFAIRE CAMILLE », le juge Leblond a profondément déshonoré sa profession et trahi son serment d’office. Leblond a fermé les yeux devant la preuve de l’arrestation illégale du militant de Fathers-4-Justice traduit devant son prétoire. Il n’a pas sourcillé non plus devant le parjure effronté du policier ayant procédé à l’arrestation sans mandat. Après avoir prononcé un verdict d’acquittement relatif aux allégations mensongères verbalisées par les agents de police du SPVM pour tenter de justifier les mesures arbitraires, Leblond a expédié ce père de famille plus d’un an derrière les barreaux en sus des 3 mois déjà passés en détention préventive et ce malgré l’absence totale de preuve disponible pour accréditer la thèse de bris de conditions avancée par la couronne. Est-ce bien ainsi que la justice doit être administrée ?
Évidemment, la magistrature supporte mal la critique. 5 ans avant l’heure, les militants de F4J dénonçaient déjà par leurs gestes d’éclat la corruption judiciaire et réclamait une commission d’enquête au sujet de l’administration de la justice au Québec. Les révélations récentes verbalisées par l’ancien ministre de la justice Marc Bellemare, propos confirmés par Guy Bisson, un juge à la retraite et l’avocat Franco Fava, tous deux prolifiques collecteurs de fonds au profit de la nébuleuse libérale, démontrent le bien fondé de cette demande.
« La force sans la justice est tyrannique » disait Pascal. Non seulement le juge Leblond ne mérite pas vos louanges, mais en raison de ce simulacre de justice, Leblond devrait répondre de ses actes devant un jury de citoyens afin de rétablir la confiance vacillante du public envers l’institution de la justice et enfin nettoyer une fois pour toute les écuries d’Augias !
Archives de Vigile Répondre
23 avril 2010En effet Bastarache doit débarasser, il n'aurait jamais dû être nommé pour présider cette commission à cause de ses trop nombreuses accointances avec les libéraux. Cela prête flanc à un biais d'impartialité dans le verdict final à la faveur de la famille politique libérale pour ne pas dire la clique.
Jacques L. (Trois-Rivières)
Archives de Vigile Répondre
22 avril 2010@ André Meloche
Monsieur Meloche, j'ai bien aimé votre commentaire qui était très pertinent. Nous vivons comme vous dites, un totalitarisme derrière lequel ça respire de plus en plus "THE FEDERAL GOVERNMENT OF CANADA". Les collabos de ce système remplissent très bien leur mission d'hommes de service. Nous avons toujours été vendus par des politiciens québécois; vous n'avez qu'à penser à Trudeau, Dion, Charest, Bernier (les p'tits gâteaux Vachon) et d'autres dont la liste serait trop longue à énumérer. Il m'a fait plaisir.
André Gignac le 22avril 2010
Archives de Vigile Répondre
22 avril 2010Monsieur Lapointe,
Je suis d'accord avec monsieur Pierre Desfossés : il faut absolument que votre texte soit dans les journaux. Que la population soit alertée et que les journalistes cessent de louanger ce juge et cesse de nous tromper. Basta ! Bastarache ! Tu commences à avoir l'air d'un idiot !
Ravie de vous re-lire,
Hélèna.
Archives de Vigile Répondre
22 avril 2010Monsieur Lapointe,
Vous savez très bien que cette enquête est une farce et que nous vivons dans un état qui prend des allures totalitaires où ce qui est « normal » ne fait pas la norme. Charest parle de normalité en ce qui concerne la nomination des juges. Je parle d'arnaque et de coup d'état! Car les coups d'état ne sont pas que l'apanage des autres pays! Et il ne s'agit que d'une petite province! Heureusement, le Québécois moyen (moyen en tout, même en intelligence) se laissera toujours berner en accordant plus d'attention au sport qu'à sa propre conscience politique. Du pain et des jeux!
Au moment de la décadence de l'Empire romain, l'armée devenait privée, les citoyens étaient instrumentalisés pour ne pas dire infantilisés (ce que recherche la majorité, incapable de penser par elle-même), le peuple perdait tout pouvoir et les tyrans régnaient! Voilà ce qu'est Charest! Un minable petit despote provincial qui se croit intelligent (il pue l'ignorance ignare!). Et pour leur parler, il faut donner dans l'insulte subtile, car ces cons enflent, mais ils enflent! Et ils éclatent et éclaboussent tout autour d'eux! Charest, le terroriste de l'intelligence, une ceinture de stupidités à la taille!
Quant à l'extrême indigence intellectuelle des Québécois qui ne savent rien, entraînés qu'ils sont dans des spécialités qui les isolent, ils devront souffrir pour passer par le chas de la conscience. Les commissions d'enquête, mais pourquoi? Passons immédiatement une loi martiale et ne perdons plus de temps avec le totalitarisme masqué! Au moins, le fait de connaître l'ennemi (ceux qui se « pensent » intelligents!) indiquera qu'il ne faudra plus lui tourner le dos! Qu'il nous poignarde en face! S'il ose!
L'État est une tare que nous devrons supporter longtemps!
J'abonde tout de même dans le même sens que vous! Le loup (Bastarache) dans la bergerie comme gardien des moutons! C'est trop hilarant...
André Meloche
Archives de Vigile Répondre
22 avril 2010Monsieur Lapointe
Charest en qui plus personne n'a confiance a trouvé le moyen de créer cette enquête bidon dont les contribuables auront à débourser les frais encourus comme toujours. Durant ce temps, ce même gouvernement coupe dans les budgets des cours de francisation des immigrants, c'est vraiment insensé! Québécois, vous dormez au gaz, réveillez-vous!
André Gignac le 22 avril 2010
Archives de Vigile Répondre
22 avril 2010S'il avait du jugement, un jugement très sûr, dit-on, il n'aurait pas accepté cette mission. Il aurait compris le piège de Charest dans cette affaire. Mais il est vrai qu'il a été choisi par ce dernier. (rire jaune)
En effet qu'il démissionne ! Cela aura le mérite d'économiser des frais aux contribuables qui n'en apprendront pas plus de toute façon. Le rapport est déjà rédigé.
Et merci M. Bastarache pour « votre beau programme » !
Archives de Vigile Répondre
22 avril 2010Monsieur Lapointe,
permettez-moi une suggestion. La justesse et la pertinence de votre propos me semble telles que votre texte ou un semblable devrait être envoyé à nos grands quotidiens. Peut-être est-ce déjà fait. Cela pourrait être l'amorce d'un mouvement d'opinion plus vaste contre cette Commission-écran qui cherche à nous détouner de l'essentiel à savoir le trafic d'influence au sein du Parti Libéral et du Gouvernement Charest.
Pierre Desfossés