Mes cinq questions à Jack Layton

Élection fédérale du 2 mai 2011 - au Québec : une « insurrection électorale »


Jack Layton s’y connaît en culture québécoise. En culture politique québécoise. Il affirme vouloir réunir les “conditions gagnantes” pour accueillir enfin le Québec dans le giron constitutionnel canadien, dont il fut exclu il y a 30 ans.

Il a déclaré ce mardi que le Canada a “un problème historique car nous avons le quart de notre population, le peuple du Québec, qui n’a jamais signé la constitution”.
Je n’ai pas l’occasion de le voir en face à face ces jours-ci, mais si vous le voyez, merci de poser les questions suivantes pour moi:
* * *

Question No 1: La nation

M. Layton, vous avez déclaré, ce mardi à Montréal, qu’il fallait résoudre le “problème historique” de la non adhésion du Québec à la constitution. Vous répétez que votre parti fut le premier à reconnaître que le Québec formait “une nation” au sein du Canada. Et vous avez voté en faveur de la résolution de la Chambre des Communes reconnaissant ce statut.
Alors, M. Layton, d’abord une question sur votre conviction profonde : êtes-vous personnellement favorable à ce que le Québec soit reconnu comme une nation dans la constitution canadienne ?
Pensez-vous qu’il est envisageable d’obtenir cette reconnaissance, si vous devenez premier ministre, au cours des quatre prochaines années?
Comme vous le savez aussi, le consensus québécois est assez large pour rejeter, au Québec, le principe de multiculturalisme qui préside à la politique identitaire fédérale.

En juin 2008, le Bloc Québécois a déposé en Chambre un projet de loi visant à exempter le Québec de l’application de ce principe. L’avocat Julius Grey, qui appuie le NPD, a invité les parlementaires à soutenir ce projet.
Or vos députés ont tous voté contre. Pourquoi ? N’aurait-il pas été tout simple de voter oui et d’exprimer ainsi votre reconnaissance concrète de la différence québécoise?

Question No 2: Les conditions gagnantes

M. Layton, vous avez déclaré lors du débat des chefs en français et depuis que «vous n’entrez pas dans des discussions constitutionnelles avant d’avoir des chances de succès». Comme vous le savez, un sondage indiquait il y a 10 jours montre que, parmi ceux qui ont une opinion, deux Québécois sur trois souhaitent la réouverture de négociations, alors que plus des deux-tiers des autres Canadiens s’y refusent.
Selon vous, le risque d’échec de ces négociations pendant votre premier mandat serait-il de plus de 50%, de plus de 65% ou de plus de 80% ?
Si vous avez dit plus de 50%, dites-nous pourquoi vous prendriez le très grave risque politique de réouvrir ces négociations ?
Si vous avez dit moins de 50%, c’est donc une question de leadership, prenez vous l’engagement solennel de convoquer une négociation constitutionnelle pendant la première moitié de votre mandat ? Les trois premières années ? La dernière année ? Le deuxième mandat ? Le troisième mandat ?
Question No 3: Les pouvoirs
Comme vous le savez, M. Layton, une des revendications historiques du Québec, y compris du gouvernement de Jean Charest, est que chacun soit responsable de ses propres pouvoirs: Ottawa des pouvoirs fédéraux et le Québec des pouvoirs provinciaux. Le Québec réclame donc la fin, ou du moins l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser, de façon à ce que le Québec reçoive une juste compensation, sans condition, pour les programmes fédéraux qui empiètent sur ses pouvoirs. M. Harper avait promis d’agir en ce sens, mais n’a rien fait.
Un gouvernement Layton pourrait décider, sans changer la constitution, d’accorder au Québec ce droit de retrait pour les programmes fédéraux actuels et à venir. Êtes-vous prêts à vous engager à le faire ?
Si oui, pouvez-vous nous expliquer pourquoi, il y a à peine six mois, tous les députés de votre parti ont voté contre une motion du Bloc québécois qui affirmait justement ce principe, sans même tenter de l’amender ? Et pourquoi vous vous êtes personnellement absenté au moment de ce vote ? (voir le libellé plus bas)
Question No 4: La langue
M. Layton, vous n’êtes pas sans savoir que les questions de la langue et de la culture sont au coeur de l’identité québécoise. Vous savez qu’aucune entente constitutionnelle n’est possible si le Québec n’obtient pas la “souveraineté culturelle”, c’est-à-dire la capacité de décider de l’usage des fonds fédéraux en matière culturelle au Québec.
Sans s’engager sur les détails, un gouvernement Layton serait-il prêt à accepter le principe que le Québec aurait davantage d’autonomie culturelle que les autres provinces, ce qui signifierait une plus petite présence d’Ottawa en ces matières au Québec ?

Vous avez plusieurs fois indiqué que vous étiez favorable au “fédéralisme asymétrique”. Et vous avez déclaré ce mardi, selon une dépêche de presse, que ça n’a pas de sens que des salariés dans une banque réglementée par le Québec aient leurs droits linguistiques protégés mais que ceux qui travaillent de l’autre côté de la rue dans une banque réglementée par Ottawa n’ait pas les mêmes droits.
Pourtant, vous refusez de permettre l’application de la loi 101 aux quelque 100 000 salariés québécois d’entreprises privées, sous juridiction fédérale, qui ne sont pas protégées par les mécanismes de la loi 101. Pourquoi refusez vous d’appliquer, sur ce point crucial de la langue, le fédéralisme asymétrique dont vous vous réclamez?
Si vous répondez, comme d’habitude, que vous souhaitez mettre dans la loi fédérale le droit des salariés québécois de travailler en français, pourquoi ne pas donner à ces salariés l’égalité de traitement avec les autres Québécois et la protection des mécanismes de la loi 101 qui ont fait leurs preuves, soit les comités de francisation, le rôle de l’Office de la langue, les amendes et le reste ? La loi 101 est-elle contradictoire avec les valeurs des lois canadiennes ?
En fait, le NPD avait voté pour un projet en ce sens, du Bloc Québécois, en juin 2009. (Vos députés ont voté pour mais vous étiez absent.) Mais il semble y avoir eu blocage, car vous refusez maintenant d’adopter une application aussi conséquente du fédéralisme asymétrique. Pourquoi ce recul ?
Question No5: Le référendum

M. Layton, on sait que vous souhaitez que le Canada reste uni, mais compte tenu de l’échéancier électoral au Québec, il n’est pas impossible que le Parti québécois prenne le pouvoir pendant votre premier mandat, si vous êtes Premier ministre.
Arrêtons-nous un instant sur votre position sur la loi sur la Clarté, de Stéphane Dion et Jean Chrétien. Cette loi qui donne au Parlement fédéral, puis à toutes les provinces, le droit de refuser au Québec sa souveraineté en cas de victoire du Oui à un référendum.
Votre position a varié dans le temps. D’abord, en 2004, vous avez déclaré que vous alliez abroger cette loi qui “accentuait la division dans le pays”. Puis, en 2005, vous avez déclaré avoir mieux compris la loi et l’appuyer car “elle a été largement acceptée à travers le spectre politique” (sic). Puis, en 2006, vous avez signé une “déclaration de Sherbrooke” où vous reconnaissez la règle du 50% +1 pour la victoire du Oui lors d’un référendum, mais où vous ajoutez qu’en réponse au vote québécois, “il appartiendrait au gouvernement fédéral de déterminer son propre processus, dans l’esprit de l’Avis de la Cour suprême et du droit international”. Ce qui, sauf pour le 50%, n’enlève en rien au Parlement fédéral et aux autres provinces le droit de nier au Québec son droit à la souveraineté.
D’ailleurs, ce mardi, votre directeur de campagne, Brad Lavigne, a indiqué à la Presse Canadienne que la déclaration de Sherbrooke était entièrement compatible avec la loi Dion-Chrétien:
“As a federalist party, we recognize the Clarity Act and we recognize that the rules have been established by the Supreme Court of Canada over 12 years ago,” Lavigne said. “Now is not the time to squabble over the rules,” he added.
(Traduction: En tant que parti fédéraliste, nous reconnaissons la Loi sur la clarté et nous reconnaissons les règles qui ont été établies par la Cour suprême du Canada il y a 12 ans, a dit Lavigne. Ce n’est pas le temps, maintenant, de pinailler sur les règles, a-t-il ajouté.)

Ma question, au-delà de ces détails, est la suivante. Si, pendant votre mandat de Premier ministre, le Oui l’emporte avec plus de 50% des voix, reconnaîtrez-vous la décision des Québécois ? Ou allez vous affirmer que le Québec ne peut devenir souverain sans l’approbation de la Chambre des communes et des autres provinces ?
Question bonus
Vous avez déclaré à Montréal ce mardi que “le gouvernement Harper est arrivé avec toutes ses grandes promesses au Québec… mais finalement ce n’étaient que des paroles vides de sens”.
En quoi avez vous fait la démonstration que vous étiez différent ?
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Le libellé de la motion sur le Pouvoir fédéral de dépenser, rejeté par le NPD le 26 octobre 2010

« Que, de l’avis de la Chambre, le gouvernement devrait, tel que le propose le Bloc Québécois depuis longtemps et maintenant le député de Beauce, mettre fin au soi-disant pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence du Québec et des provinces, éliminer les programmes fédéraux qui violent la division des pouvoirs et transférer des points d’impôt aux provinces et ce, de la façon suivant: a) en éliminant toutes les dépenses effectuées par le gouvernement fédéral dans un champ de compétence du Québec et des provinces, à moins d’une autorisation expresse du Québec ou de la province; b) en prévoyant un droit de retrait systématique avec pleine compensation financière et sans condition, pour tous les programmes existants ou non, cofinancés ou non, qui empiètent dans les champs de compétence du Québec et des provinces; c) en transférant, à la demande du Québec ou d’une province, un espace fiscal sous la forme de points d’impôt et/ou de TPS afin de remplacer les sommes que cette province aurait autrement reçues en vertu du transfert canadien en santé, des programmes fédéraux dans ses champs de compétence, de même qu’en vertu du transfert pour les programmes sociaux et l’éducation postsecondaire au niveau indexé de 1994-1995 ».

NPD a voté CONTRE : Layton s’est absenté pour ce vote.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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