(Québec) La photo de Jean Garon sur la page couverture de son livre Pour tout vous dire - qui sera en librairie mercredi - donne une impression de tristesse. Le bouquin de 536 pages relate un parcours de plus de 50 ans, sur sa vie de militant pour l'indépendance du Québec dans les années 60, la période où il a été ministre de l'Agriculture, sur celle où il a été député de l'opposition, ministre de l'Éducation et puis maire de Lévis. La préface a été rédigée par Jacques Parizeau.
«Je suis triste parce qu'on n'a pas fait l'indépendance du Québec. Je ne suis pas amer. La photo montre aussi que je suis toujours déterminé à ce qu'on fasse l'indépendance. J'ai vieilli beaucoup aussi», a dit, au cours d'une entrevue au Soleil, l'homme aujourd'hui âgé de 74 ans et qui est un des fondateurs du Parti québécois.
Quand il était ministre de l'Agriculture et qu'il prônait l'autosuffisance alimentaire au Québec - ce qu'il a grandement réussi -, certains le surnommaient le smiling minister ou le ministre souriant. Lors de l'entrevue, il pouvait avoir autant le sourire quand il se rappelait des bons souvenirs et être triste en se remémorant les moments de grande déception qu'ont été les deux échecs référendaires en 1980 et 1995.
Sans détour, il attribue les défaites du Oui au réflexe de peur de bien des Québécois et non à une adhésion au fédéralisme canadien. «Le peuple québécois est un peuple peureux. Il ne faut pas se compter d'histoire. On est des pissous. On a même peur de dire que ça se passe en français au Québec. On donne l'impression d'avoir peur de notre ombrage. On est tellement identifié à avoir peur», a affirmé celui qui se décrit comme un populiste avec un côté pitbull.
Il n'en veut toutefois pas aux Canadiens des autres provinces. «Je n'haïs pas les Anglais. La moitié de ma famille est d'origine allemande, irlandaise. Ma femme est américaine. Les Canadiens anglais défendent leurs intérêts. On a qu'à défendre les nôtres. On est peureux de s'assumer», a avancé l'ex-ministre dans les cabinets de René Lévesque et de Jacques Parizeau.
Malgré tout, il ne désespère pas de voir le Québec devenu souverain un jour. «Quand le monde va enclencher, la souveraineté, ça va être plus fort que jamais. Tous les peuples qui méritent de vivre ont droit à la souveraineté.»
Pauline Marois
Dans son livre, il voit l'arrivée de Pauline Marois à la tête du gouvernement québécois comme une bouffée d'air frais, mais il reste sceptique pour la suite des événements. Il reconnaît que la présence d'un gouvernement minoritaire limite son ex-collègue.
«Je l'ai connue jeune attachée politique, jeune députée et jeune ministre et, dans ces années d'apprentissage, elle m'a plus impressionnée par sa fougue et son audace que par son jugement et son sens politique. J'ai vu Pauline Marois changer d'idée très souvent, aussi souvent qu'elle changeait de ministère et, depuis son élection comme première ministre, elle ne m'a pas donné l'impression d'avoir beaucoup changé sur cet aspect», peut-on lire à la page 509 de son livre.
«C'est une façon de faire de la politique qui n'est pas la mienne, mais, dans les circonstances du gouvernement minoritaire, cette souplesse est sans doute nécessaire», a-t-il poursuivi.
Il semble toutefois d'accord avec la première ministre sur la pertinence de la gouvernance souverainiste. «C'est moi qui a parlé de ça à la campagne à la chefferie en 1985. Il y a des territoires qu'on pourrait occuper et qu'on n'occupe pas», a-t-il indiqué au cours de l'entrevue.
Jean Garon doute que Mme Marois soit celle qui réussira à unifier les forces souverainistes, ce qui est à son point de vue, une condition essentielle pour obtenir un appui majoritaire des Québécois. «Je sais le prix à payer pour le confort d'une petite «niche politique». Ce prix, c'est l'impuissance», a-t-il écrit.
LUCIEN BOUCHARD ÉCORCHÉ
Dans ses mémoires, l'ex-député de Lévis écorche Lucien Bouchard, qui l'a mis à la porte du Conseil des ministres. Dans un style lapidaire, il estime que l'ancien chef du Bloc québécois n'est pas un souverainiste et qu'il aurait dû fonder la Coalition avenir Québec au lieu de devenir chef du Parti québécois.
«Lucien Bouchard a toujours été un nationaliste profondément conservateur, ancré dans le passé religieux du Québec, et jamais un souverainiste social-démocrate. Il en a parfaitement le droit, mais pourquoi avoir voulu être chef d'un parti dont la raison d'être est justement la souveraineté et dont, dans le fond, il rejetait la philosophie sociale-démocrate», lit-on à la page 467.
Jean Garon n'est pas plus tendre à l'endroit de François Legault et de la Coalition avenir Québec. «Les gars à Bouchard [dont François Legault] sont des opportunistes», a-t-il lancé.
Parti de «carriéristes»
Par ailleurs, il déplore que le Parti québécois soit devenu un parti de «carriéristes». «On ne fait pas la distinction entre les indépendantistes qui y croient vraiment et ceux qui n'y croient pas.»
Quant à son flirt avec l'Action démocratique du Québec, il a révélé que Mario Dumont lui avait offert d'être candidat pour sa formation politique, mais qu'il avait refusé. «Mon idée était de ramener [Mario] Dumont à la souveraineté. J'ai été voir et j'ai constaté qu'ils n'étaient pas orientés vers la souveraineté. Dumont m'a appelé plusieurs fois pour que je sois candidat. Il m'a offert tous les meilleurs comtés pour être candidat. Je voulais vérifier avant s'il était indépendantiste. J'ai vu qu'il n'embarquerait pas», a-t-il raconté lors de l'entrevue.
BRAVO AUX ÉTUDIANTS
L'ex-ministre de l'Éducation réitère sa position en faveur du gel des droits de scolarité et son appui aux étudiants. Jean Garon dit même qu'il aurait été capable d'éliminer les droits de scolarité s'il était demeuré ministre de l'Éducation en réduisant les dépenses dans les années 90. Il a occupé ce poste pendant 16 mois avant que Lucien Bouchard ne lui retire ces fonctions.
«Les vieux qui sont contre les étudiants, tantôt qu'ils fassent attention. Les étudiants vont dire qu'ils ne veulent plus payer pour eux autres [les vieux]. Il y a un pendant à la santé gratuite, et c'est l'éducation gratuite. J'entends des raisonnements insignifiants de gens en politique qui disent que ça ne les dérage pas parce qu'ils ne sont jamais malades. Ça ne me fait rien de payer toute ma vie pour quelqu'un qui est malade et que ce ne soit pas moi.»
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