On l’a vu lors de la commission Gomery à Ottawa sur le scandale des commandites et on le voit encore aujourd’hui avec la commission Charbonneau sur la corruption dans l’industrie de la construction au Québec : savoir qu’il y a du patronage dans l’attribution des contrats publics en retour de contributions à la caisse électorale est une chose ; le démontrer et, surtout, casser les réseaux qui en sont responsables en est une autre.
À mon arrivée à l’Agriculture à la fin de 1976, il était de notoriété publique que la magouille existait depuis longtemps dans ce vieux ministère encore hanté par les fantômes de Maurice Duplessis, d’Adélard Godbout et d’Irénée Vautrin. Oui, mais où, qui, comment ? Les personnes en place, au premier chef le sous-ministre adjoint Camille Julien et son adjoint, Guy Jacob (futur sous-ministre sous les libéraux), défendaient bec et ongles les programmes existants, surtout les travaux mécanisés, le drainage souterrain et le creusage des cours d’eau municipaux.
Il ne fallait toucher à rien, sans quoi les méchants agriculteurs abuseraient de nous et auraient tôt fait de vider la caisse. Cela m’a pris un peu de temps, mais j’ai fini par voir clair dans leur jeu. La caisse au coeur de l’affaire n’était pas celle du ministère, mais bien la caisse électorale du Parti libéral, et il n’était pas question de la vider, bien au contraire ! Dans le cas des travaux mécanisés, les fameuses « heures de boul », voici comment cela fonctionnait. Les entrepreneurs amis du parti, entendons ceux qui contribuaient à sa caisse, se voyaient attribuer un quota d’heures, 5000, 6000 ou 10 000 heures, à partir du bassin d’heures prévues au budget annuel. Officiellement, les entrepreneurs qui obtenaient des heures devaient avoir été accrédités par le bureau régional du ministère, histoire d’être assurés de leur compétence et de la qualité de leur machinerie, mais dans les faits, c’était le parti qui décidait, l’Union nationale ou les libéraux, selon le cas.
Une fois accrédité et doté d’un quota d’heures, l’entrepreneur avait tout loisir de faire des travaux chez qui il voulait, quand il le voulait et avec la machinerie qu’il voulait. Le système prévoyait un maximum de 40 heures par ferme, quels que soient les besoins de l’agriculteur. Celui-ci n’avait rien à dire même s’il payait 50 % de la facture. C’était humiliant. Lors d’un changement de gouvernement, celui qui venait de perdre vendait tout simplement ses machines au protégé du nouveau pouvoir. C’est le même « maudit p’tit boul » qui faisait les travaux, mais il était maintenant rouge au lieu d’être bleu.
Comment se faisait le lien avec la caisse électorale ? J’ai déjà indiqué que c’est le député de Beauce-Sud, Fabien Roy, qui m’a ouvert les yeux lors de l’étude des crédits du ministère pour l’année 1977-1978. C’était simple : pour avoir ses heures, l’entrepreneur devait verser 1 $ de l’heure à la caisse électorale du parti au pouvoir : 1000 heures, 1000 $ ; 2 000 heures, 2000 $ ; 10 000 heures, 10 000 $ et ainsi de suite, a expliqué Fabien Roy devant la commission.
Série de mesures
La solution était tout aussi simple : dès mars 1977, j’ai pris la décision d’abolir les quotas d’heures et de laisser à l’agriculteur le libre choix de l’entrepreneur qui réaliserait les travaux sur sa ferme. Le pouvoir venait d’être donné aux clients, les producteurs agricoles. Nous avons immédiatement fait passer le maximum par ferme de 40 à 60 heures.
La réforme a été complétée l’année suivante par l’abolition pure et simple de ce maximum. Si un agriculteur voulait améliorer ses terres, pourquoi le limiter par une telle norme ? Il pourrait faire autant de travaux qu’il le voulait, à la condition de payer son 50 %. De plus, nous avons décidé de verser la subvention directement à l’agriculteur plutôt qu’à l’entrepreneur pour assurer que ce soit lui qui ait le gros bout du bâton.
Enfin, nous avons introduit une vraie certification de la machinerie par le ministère. Fini, le « maudit p’tit boul qui vire dessous » !
Culture généralisée
Nous avions démontré aux libéraux comment doit fonctionner l’entreprise privée dans un régime d’économie libérale où le parti au pouvoir ne cherche pas à remplir sa caisse électorale. C’était le régime du parti de Robert Bourassa que nous mettions de côté, un régime de corruption qui déshonore l’économie dite libérale. Un autre programme important, l’aide à l’achat et à l’épandage de pierre à chaux, a subi le même traitement. Encore là, les agriculteurs n’avaient pas le choix de la carrière d’où provenait leur pierre à chaux, un produit qui sert à contrôler l’acidité des sols. Il y avait des monopoles régionaux, source de magouilles et de la piètre qualité du service aux agriculteurs.
C’était vraiment une culture généralisée au ministère, et je crois que, de toutes les mesures que j’ai fait adopter pour l’agriculture, la fin de ce paternalisme méprisant et véreux est l’une de celles que les producteurs ont le plus appréciées. Mais pourquoi continuent-ils à voter pour ce Parti libéral champion de la corruption ?
Mémoires de Jean Garon - Briser les réseaux de la corruption
Dans son livre, l’ancien ministre raconte comment il a contré la «magouille»
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