Mai 2017. Gilles Duceppe propose à Martine Ouellet, qui lui a succédé à la tête du Bloc québécois, de valider les prises de position du parti avant qu’elle les envoie aux médias. « Tu n’as qu’à m’envoyer tes communiqués de presse avant ! » lui aurait-il dit. Dans sa biographie publiée mardi, l’ex-politicienne qualifie l’attitude de son prédécesseur de paternaliste. Une accusation que rejette M. Duceppe.
« Aucun chef n’accepterait un tel affront ! Imaginez un instant Pauline [Marois] qui demande à PKP de lui faire parvenir ses communiqués pour qu’elle les révise avant publication. […] Pensez-vous vraiment qu’il aurait eu le culot de faire une telle proposition à un homme ? Je ne crois pas. »
Tout au long de sa carrière politique, Martine Ouellet affirme avoir fait face à des vents contraires qu’elle attribue aujourd’hui au paternalisme et au sexisme. Deux attitudes qu’elle dit n’avoir jamais senties durant ses études en ingénierie et ses années comme gestionnaire chez Hydro-Québec.
« De l’ouvrier au cadre supérieur, la conversation se faisait d’égale à égal », souligne-t-elle.
Elle raconte que l’attitude de certains membres de son personnel était tout autre lorsqu’elle était ministre des Ressources naturelles dans le gouvernement de Pauline Marois.
Par exemple, son chef de cabinet s’était abstenu de procéder aux embauches nécessaires après sa nomination. Elle a dû s’en occuper toute seule.
« J’ai toujours senti qu’il ne m’a jamais respectée, qu’il faisait le strict minimum, ne m’écoutait pas, faisait de l’obstruction […]. Je mettrais ma main au feu que jamais il n’aurait agi de la même façon avec un homme comme patron. »
Je ne fais pas les choses à moitié, je m’enflamme comme l’amadou pour les causes qui me tiennent à cœur
Intitulée Oser déranger, cette biographie est écrite au « je » sous la plume parfois teintée d’humour de Nathaly Dufour, l’attachée politique de Mme Ouellet, que celle-ci décrit comme sa « jumelle cosmique ».
Le livre s’appuie sur une série de discussions que les deux femmes ont eues dans un chalet de l’île d’Orléans il y a moins d’un an.
Souvent qualifiée d’intransigeante par ses adversaires, Martine Ouellet reconnaît qu’elle a pu déranger comme militante, comme ministre et comme cheffe du Bloc québécois.
Elle décrit un Gilles Duceppe « obnubilé par la conviction que le Bloc québécois lui appartient », une première ministre Pauline Marois « fragilisée » et influençable après l’attentat au Métropolis, des députés bloquistes frondeurs, absents et fréquemment en retard… Elle jette un regard incisif sur les moments — bons ou mauvais — qui ont ponctué sa carrière et met cartes sur table.
« Je ne fais pas les choses à moitié, je m’enflamme comme l’amadou pour les causes qui me tiennent à coeur. Et lorsque les enjeux sont majeurs, la tiédeur n’est pas ma température préférée », reconnaît-elle dès le premier paragraphe.
Dénégation de Duceppe
Joint par Le Devoir, Gilles Duceppe a nié avoir demandé à Martine Ouellet de lui soumettre les prises de position du Bloc québécois. « Voyons donc, c’est de la foutaise, ça, s’est-il exclamé. Je n’ai jamais demandé de lire les communiqués. »
« Je lui ai dit que, ça, c’était une erreur », mentionne-t-il cependant à propos de la prise de position de la cheffe lors du 50e anniversaire de l’occupation des Territoires palestiniens, qui avait semé la controverse à l’époque. Elle s’éloignait de la neutralité que le parti avait traditionnellement adoptée dans ce conflit.
Le communiqué laissait planer un doute, selon M. Duceppe, sur la légitimité de l’existence d’Israël et la position du parti pour une solution à deux États. Il faisait référence à un État palestinien occupé depuis 1948, soit l’année de proclamation de l’indépendance de l’État d’Israël, et non aux frontières de 1967, année du début de l’occupation.
Martine Ouellet avait été couronnée cheffe du Bloc québécois deux mois plus tôt, au grand dam de Gilles Duceppe qui était en désaccord avec son idée de cumuler le rôle de députée à l’Assemblée nationale de Québec et celui de cheffe de parti, à Ottawa.
Environ un an plus tard, elle démissionnait après avoir obtenu 32 % d’appui des militants bloquistes lors d’un vote de confiance. Le parti était déchiré depuis des mois. Sept de ses dix députés avaient claqué la porte et exigeaient la démission de leur cheffe.
Le député Mario Beaulieu, qui avait ouvert la porte du Bloc québécois à Martine Ouellet, s’était aussi retourné contre elle.
« C’est la trahison qui m’a le plus blessée », confie-t-elle dans le livre.