Cela fait plus de deux ans qu’on l’attend. Sitôt l’élection terminée, la rumeur avait couru que le nouveau président ferait un grand discours sur la laïcité. Sujet central s’il en est un et qui avait défrayé la chronique durant la campagne. C’était pour dans un mois, disait-on. Puis, le temps a passé. C’était pour dans deux mois, chuchotait à nouveau la rumeur. Les deux mois sont passés et rien n’est jamais venu.
Mais personne n’a oublié. Le président non plus d’ailleurs. Comment le pourrait-il ? La question est partout. Les Français tenteraient de détourner le regard que les quatre assassinats commis le mois dernier par un islamiste à la préfecture de Paris leur rafraîchiraient la mémoire. À moins que ce soit la controverse sur le port du voile par les parents accompagnateurs lors des sorties scolaires. Ou la tentative d’incendie d’une mosquée à Bayonne par un vieillard visiblement illuminé.
Deux ans après l’élection d’Emmanuel Macron, la société française a rarement été aussi polarisée. Un sondage publié le 27 octobre dernier révélait que 78 % des répondants considéraient que le modèle français issu de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État était « en danger ». 61 % jugent même l’islam « incompatible avec les valeurs de la société française ».
Presque toute la France est d’ailleurs convaincue que cette tension ne diminuera pas. C’est ce qu’explique depuis longtemps l’un des meilleurs politologues français, Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol. De toutes les démocraties, dit-il, la France est sans doute la plus exposée à une amplification du vote protestataire. Pour de plus en plus d’observateurs, ce pays est à deux doigts de rejoindre le vote qui s’exprime déjà au Royaume-Uni, en Italie, en Allemagne, en Pologne et en Hongrie.
À mi-chemin de son mandat, Emmanuel Macron ne peut plus feindre de l’ignorer. Alors que tout laisse croire qu’il affrontera à nouveau le Rassemblement national à la prochaine élection, il a donc décidé de prendre le taureau par les cornes. Après un court débat sur l’immigration et une tournée à Mayotte où le problème est devenu intenable, il a pris tout le monde par surprise en accordant cette semaine une longue entrevue à l’hebdomadaire de droite Valeurs actuelles.
Le président a toujours aimé balayer large dans le choix de ses interlocuteurs. Il y a un an, il n’avait pas hésité à répondre aux questions de Médiapart, un média qui est en quelque sorte le miroir inversé à gauche de Valeurs actuelles.
L’entretien n’est pas exempt de lucidité. Le président y reconnaît « l’échec » du modèle d’intégration français. « Vous avez des gens qui ne sont pas intégrés, qui sont en sécession de la République », dit-il. Selon lui, cet échec « se conjugue avec la crise que connaît l’islam », ce qui conduit, ajoute-t-il, « à des formes très dures d’islam politique ». On ne peut que se réjouir de découvrir un président qui reconnaît enfin que l’islamisme et ses déclinaisons les plus violentes ne viennent pas de nulle part, mais bien d’une religion qui est partout en crise.
Pourtant, à la lecture de cette entrevue, le malaise persiste. Comme tous ses prédécesseurs, l’ancien banquier d’affaires est convaincu qu’il n’y a pas de problème politique qui n’ait de solution économique. De là à croire que le communautarisme islamiste disparaîtra miraculeusement dès que diminueront la pauvreté et le chômage…
Selon lui, le surgissement d’une religion aussi totalisante que l’islam n’est pas un problème. « L’équilibre français n’a pas été bouleversé », dit-il. Ce qui est seul en cause, c’est « la fabrique de l’intégration par le modèle économique ». Et le président de se dire d’accord avec cette excuse souvent entendue dans les banlieues : « Mon père, vous l’avez mis au chômage, mes frères n’ont jamais eu de boulot. »
Cette analyse peine pourtant à expliquer pourquoi les milliards déversés sur les banlieues n’y ont rien fait. Ni pourquoi des pays aussi prospères que la Suède, le Danemark, l’Allemagne et l’Autriche connaissent les mêmes problèmes d’intégration que la France. On se rappellera à cet égard la citation prophétique de l’ancien roi du Maroc Hassan II pour qui les Marocains ne seraient « jamais intégrés [en France] […] L’exprimeront-ils qu’ils ne le pourront pas », disait-il. D’ailleurs, comment s’étonner de cet « islam qui veut faire sécession » alors que, selon L’Express, 70 % des imams qui exercent en France ne sont pas français.
Nul doute que, lorsqu’il affirmait à Mayotte que « le port du voile dans l’espace public n’est pas [son] affaire », Emmanuel Macron a creusé le fossé qui le séparait déjà de l’immense majorité des Français et même de certains de ses ministres. Rien ne semble pouvoir freiner l’affrontement qui se prépare. « Sur tous ces chantiers, l’exécutif s’est résigné au statu quo », affirmait récemment le quotidien L’Opinion. Un statu quo qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de ses prédécesseurs et qui risque donc de produire les mêmes résultats.
À une exception près : il faut reconnaître à Emmanuel Macron une habileté sans pareil à asphyxier la droite. Jusqu’à quand ?