Pour la gauche inclusive, qui ne doute pas un instant d’incarner la Vertu avec une majuscule, mais dont le poids médiatique est inversement proportionnel au poids électoral, la chose est entendue : Lisée est le nouveau Drainville. C’est-à-dire que Jean-François Lisée est l’homme à abattre, celui contre qui tout est permis, qu’on peut accuser de racisme gratuitement, histoire de le marquer publiquement d’un signe d’infamie, et si possible, de l’ostraciser médiatiquement. Son crime ? Avoir construit une partie de sa campagne à la chefferie du PQ autour de la question identitaire. La gauche inclusive était persuadée qu’avec la défaite du PQ en avril 2014, elle en avait fini avec la question identitaire, qu’elle pourrait à nouveau la censurer, en répétant de manière presque obsessionnelle que le Québec se serait égaré dans le triste-épisode-de-la-Charte-des-valeurs (il faut répéter cette formule à la manière d’une incantation, et laisser comprendre que le peuple québécois, en se laissant tenter par la Charte, aurait péché contre la diversité). Mais Lisée, qui est bon stratège, a compris que la question identitaire était porteuse au Québec, parce qu’elle témoigne de préoccupations très légitimes, et il s’en est emparé. Il y a probablement dans son choix un mélange de sincérité et de calcul. Cela va de soi. Mais c’est normal : qu’on me présente un seul politique qui ne calcule pas, qui est absolument étranger à toute forme de stratégie. Qu’on me présente un politicien qui dédaignerait un créneau à la fois légitime et gagnant, en plus d’être en accord avec ses convictions.
Mais j’y reviens : aujourd’hui, on a voulu le tuer politiquement. Les adversaires idéologiques de Lisée ont été plus loin que jamais. D’abord en déformant ses propos à propos de l’immigration. Puis en en déformant le sens. Je résume: Lisée rappelait que les vertus économiques de l’immigration sont moins grandes qu’on ne le croit. Ce n’est pas la solution miracle à la croissance économique. Il rappelait aussi que l’intégration culturelle et linguistique est un élément important de l’intégration économique. La gauche inclusive a sauté sur l’occasion : Lisée, en fait, voudrait une immigration blanche. C’est aussi débile que farfelu. A-t-il dit cela? Non. A-t-il laissé entendre cela d’une manière ou d’une autre? Non plus. Aurait-il pu avoir laissé entendre cela, même sans s’en rendre compte? Pas davantage. Mais à défaut d’avoir la preuve qui vous manque, n’hésitez pas à l’inventer! Certaines figures associées à la gauche inclusive a fabriqué une liste des immigrés dont Lisée ne voudrait pas, en l’imaginant faire un tri entre les bons et les mauvais immigrants, selon des critères à faire peur. Mais ce n’est pas grave. La gauche inclusive n’a manifestement jamais cru que la bonne foi avait quelque valeur que ce soit dans le débat politique : elle est très douée pour prêter à ceux qu’elle désigne à la vindicte publique des arrières pensées, dont elle fera ensuite le procès. Il suffit de lire le verbatim du point de presse de Liséee pour voir à quel point ces accusations sont non seulement grossières : elles sont mensongères, ordurières et minables. Allons plus loin : elles témoignent en fait de la racialisation des rapports sociaux par la gauche inclusive.
Ne nous trompons pas: la gauche inclusive veut tuer politiquement Lisée pour faire un exemple. Ce qui s’est passé aujourd’hui est très important. Elle veut que tous comprennent que le multiculturalisme est un dogme religieux et la critique des seuils d’immigration, un crime moral très sévèrement punissable. Il n’est pas permis de souhaiter diminuer les seuils d’immigration, est-ce compris? Il n’est même pas permis de poser la question. Si vous vous entêtez à le faire, on vous collera le badge du racisme et on vous transformera en clone local de Donald Trump. On vous accusera de trier les Québécois selon des critères raciaux. Le véritable enjeu, ici, c’est de rendre la question identitaire si radioactive qu’aucun homme politique ne voudra s’en approcher puisqu’il sera accusé de pratiquer un populisme xénophobe qui nous ferait régresser vers une politique d’exclusion digne des pires souvenirs du dernier siècle. Qui a vraiment envie de subir de tels crachats? Tuer politiquement Lisée, c’est faire comprendre à chacun qu’une petite bande médiatique d’idéologues fanatisés qui n’hésite jamais à manipuler les faits et les déclarations des uns et des autres est capable de faire régner sa loi dans l’espace public. On le sait, Lisée est en ce moment sur une lancée : nos petits censeurs veulent le jeter dans le ravin au dernier moment et se présenter ensuite comme les gardiens des droits des minorités contre un scélérat ayant le culot de parler de l’identité du peuple dont il veut l’indépendance.
On peut penser du bien de chacun des candidats à la course à la direction. On peut trouver à chacun de véritables vertus politiques. Autrement dit, dans la perspective d’un militant souverainiste, il y a de bonnes raisons de soutenir chacun d’entre eux, qu’il s’agisse d’Alexandre Cloutier, de Martine Ouellet, de Jean-François Lisée ou de Paul Saint-Pierre Plamondon. Mais ce que la gauche inclusive souhaite en ce moment, c’est faire du vote pour Jean-François Lisée un vote honteux. S’il gagne, elle veut dire qu’il a triomphé en jouant des plus basses passions des souverainistes : le souverainisme se condamnerait moralement en portant à la tête du PQ le vilain démagogue identitaire. S’il perd, nos petits flics veulent dire qu’enfin, les souverainistes, malgré les tentatives de séduction d’un candidat démagogue, ont repoussé l’affreuse tentation identitaire. Mais on aurait envie de leur répondre : c’est peine perdue. Si Lisée a percé, ces derniers temps, c’est en partie (pas seulement, mais en partie) parce qu’il a assumé l’héritage identitaire du PQ alors que plusieurs voulaient le répudier. En un mot, il a rappelé qu’il s’agissait d’un thème porteur, et qu’il ne s’agit pas d’un thème honteux. Peu importe le résultat de sa campagne, Lisée a réhabilité la question identitaire dans les rangs souverainistes.
Voyons cela plus largement. Un jour, il faudra se libérer mentalement et moralement de l’emprise des gardiens de la rectitude politique sur le discours médiatique. Ne plus accepter les interdits qu’ils posent dans l’espace public. Ne plus se soumettre aux tabous diversitaires qu’ils gardent religieusement. Ne plus utiliser leur vocabulaire, non plus. Ne plus leur donner le droit de décider qui est respectable et qui ne l’est pas, qui mérite les bons mots de la semaine et qui doit être mis en punition. Car ces brutes idéologiques d’une inculture terrifiante qui ont besoin de leur crise d’indignation quotidienne pour épingler le salaud du jour font dérailler le débat démocratique en interdisant l’examen rationnel de questions importantes pour la collectivité dans son ensemble. Et pourquoi ne pas commencer maintenant? La gauche inclusive ne mérite pas de s’autoproclamer inclusive. Nous sommes devant une bande idéologique fanatisée, qui croit avoir le monopole de la vertu et qui n’hésite pas à lancer les pires calomnies à ceux qu’elle veut évacuer de la place publique. Chose certaine, défendre Lisée, aujourd’hui, ce n’était pas une question de parti : c’était une question de décence.
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