« C’est pour un rêve qu’on se lève », chante Richard Séguin. Or, il n’y a pas si longtemps, ici comme ailleurs, des foules immenses se sont levées… Se peut-il que ces nombreux réveils populaires dont le monde a été témoin aient engendré une onde de choc dont nous ressentons encore les effets ? Peut-être. Car leurs paroles percutantes et persistantes nous poussent à aller plus loin afin de comprendre plus justement les interpellations qui s’y logent pour le présent et l’avenir.
Il y a quelques jours encore, les échos des actes et des paroles du pape François au Brésil ont provoqué eux aussi une forte agitation. Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour savoir si elle aura des chances de se transformer en une « secousse » suffisamment puissante pour provoquer les changements en profondeur dont l’institution ecclésiale a tellement besoin. À tout le moins, ce qui s’est passé a conduit le chroniqueur du Devoir Jean-Claude Leclerc à intituler son article du 29 juillet : Vers une nouvelle théologie de la libération ?.
De même, le vaticaniste Giacomo Galeazzi, cité dans Le Devoir des 3 et 4 août, rappelait que « Bergoglio a mis au premier plan les thèmes sociaux, comme la redistribution de la richesse, l’équité sociale et le travail ». Nous retrouvons là, à n’en pas douter, l’insistance d’un discours qui marque une volonté de connecter avec les réalités vécues par les peuples du monde et l’urgence d’établir un dialogue au coeur des problèmes et des enjeux de notre temps. Chose certaine, quelle que soit leur origine, ces différents « réveils » mènent aux constats suivants.
Un mal social commun
En donnant corps à un ensemble de contestations citoyennes sur la gestion et les orientations de nos gouvernements, ces événements pointent clairement les inégalités systémiques, les blocages dangereux sur le plan social et l’exploitation éhontée de l’environnement. Plus globalement ils révèlent les conséquences néfastes d’une idéologie qu’ils remettent en cause, à savoir celle du néolibéralisme économique, cette « tyrannie invisible », selon les mots de François, qui envahit tous les domaines de nos existences et transforme le bien commun en marchandise. En évoquant le mouvement étudiant du Québec, le journal britannique The Guardian ne l’a-t-il pas considéré comme « le symbole de la plus puissante remise en question du néolibéralisme en Amérique du Nord » ?
En effet, beaucoup plus qu’un ras-le-bol total, ces réveils expriment de manière singulière un mal-être social vivement ressenti. Un « mal commun » en progression qui ne touche pas seulement nos biens, mais nous blesse profondément dans notre identité personnelle et collective. Il n’est donc pas étonnant que l’inquiétude se soit installée : qu’est-ce qui nous arrive ? N’y a-t-il pas menace pour l’humain et pour l’humanité ? Que deviennent nos rapports entre nous et avec l’environnement ? Rien d’étonnant non plus à ce que l’indignation monte et se traduise vigoureusement : ASSEZ, C’EST ASSEZ !
La conviction d’un « autre possible »
Ce refus catégorique d’une logique mortifère de déshumanisation, ce non au fatalisme et à l’immobilisme n’est-il pas lui-même révélateur d’une conviction forte bien présente au coeur de ces rebondissements ? La conviction qu’une logique différente demeure possible : une logique au service des personnes, dans une société humainement et écologiquement solidaire, où tous les gens peuvent prendre place à la table du bien commun afin d’y partager les richesses, la parole et la prise de décision démocratiques.
À Wall Street, une pancarte portée par un indigné disait : « Je me soucie de vous », ce qui est le contrepied du néolibéralisme. Voilà globalement, nous semble-t-il, ce qu’ils annoncent. N’est-ce pas d’ailleurs en cela même que le rêve des jeunes, du mouvement altermondialiste et des réveils populaires rejoint celui des moins jeunes et des aînés ? On dirait une sorte d’horizon dont nous percevons maintenant des signes que cette nouveauté, ou cette« bonne nouvelle », est déjà à l’oeuvre.
Le tandem colère/espoir comme force de transformation sociale
L’utopie active (rêve) et l’indignation sont intimement liées. Faut-il insister, c’est dans ce que ces événements annoncent que nous saisissons la portée de leur refus, l’ampleur de la transformation à opérer et l’appel à la mobilisation citoyenne qu’ils nous lancent. En nous référant aux expériences de celles et ceux dont les pratiques s’inscrivent déjà dans un tel mouvement, nous pourrons nous approprier davantage cette problématique en l’intégrant à notre réflexion et à nos interventions. Car c’est dans l’action que la colère et l’espoir se fécondent mutuellement par un dynamisme tenace qui, en nous situant sur la trajectoire de l’horizon espéré, nourrit, relance et fait durer l’engagement.
Bien ancrés dans les lieux où se décident le présent et l’avenir de l’humanité, nous devons approfondir la signification et les retombées de tous ces « réveils » chez nous et ailleurs. Nous devons également chercher comment garder vivante cette créativité, alimenter le souffle de nos pratiques et trouver des voies possibles vers un changement en profondeur. Vouloir ainsi assurer des suites concrètes à toute cette mouvance, n’est-ce pas la reconnaître véritablement comme un signe de notre temps ?
En empruntant les chemins de nos concitoyennes et de nos concitoyens, peut-être saurons-nous répondre d’une façon neuve à l’invitation radicalement libératrice du Nazaréen, invitation que le bibliste Roger Parmentier appelle la « merveilleuse proposition globale du “monde renversé” ».
Yvonne Bergeron - Théologienne
Libre opinion - Refuser la déshumanisation, le fatalisme et l’immobilisme
Yvonne Bergeron
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