Lettre à M. Normand Lester, restée sans réponse…

Livres-revues-arts 2011

Le 9 mai dernier, j’ai envoyé par courriel la lettre qui suit à M. Normand Lester. Un mois s’est passé depuis. Aucune réponse, ni même accusé de réception de la part du destinataire, mutisme qui me paraît témoigner d’un embarras profond chez ce « journaliste-enquêteur » si prompt, d’habitude, à se manifester.
C. M.

Monsieur Lester,
Vous avez récemment recyclé, dans un recueil intitulé Point à la ligne, plusieurs de vos chroniques déjà publiées ici et là.
Une d’elles, du 5 avril 2006, porte sur mon livre L’Affaire Morin : légendes, sottises et calomnies, paru au même moment. Elle répète les questions hypothétiques, les insinuations malveillantes et les suppositions hasardeuses de la version originale. Détail capital cependant, il lui manque un morceau, et pas n’importe lequel. L’avertissement introductif a disparu : « Je n’ai pas lu au complet le dernier livre de Claude Morin. Je l’ai feuilleté pendant une heure ou deux. […] Voici donc mes premiers commentaires, quitte à y revenir dans un article plus long ou un livre, une fois que [j’en] aurai fait une lecture approfondie. »
Ainsi, vous rééditez votre brouillon d’il y a cinq ans, mais vous effacez, mine de rien, les précautions oratoires qui en relativisaient alors singulièrement la portée ! Cette amputation rétroactive vise-t-elle à conférer par la bande un caractère définitif à un texte que vous estimiez vous-même si provisoire à l’époque que vous songiez y revenir dans un article plus long ou un livre (effort dont, soit dit en passant, vous vous êtes abstenu) ?
Votre opération de chirurgie littéraire a peut-être été inspirée par ce qui suit.
En 1998, dans votre livre Enquêtes sur les services secrets, vous m’avez faussement accusé d’un délit politique gravissime (citation plus bas), Vous avez commis là une faute professionnelle dont vous êtes depuis longtemps conscient et qui entache votre curriculum de « journaliste-enquêteur ». Remords ou souci de sauvegarder votre aura médiatique, vous voulez maintenant persuader vos lecteurs que, malgré cette embardée, ils doivent comprendre que vous demeurez au moins excusable de maintenir le doute sur ma réputation et sur l’orientation de ma carrière. Comment ? En essayant d’ancrer chez eux la conviction que votre ébauche de 2006 relevait tant de faits restés d’après vous obscurs, qu’elle méritait d’être ressuscitée pour l’édification du public. Transfigurée via une mutation connue de vous seul, elle aurait désormais acquis la glorieuse stature de document historique, fondé et pertinent.
Hélas, la réimpression de cette ébauche tronquée ne l’a pas rendue plus glorieuse, plus historique, plus fondée ou plus pertinente qu’elle ne l’était au départ. Car la lecture approfondie de mon livre L’Affaire Morin aurait, dès 2006, répondu à vos interrogations et calmé vos angoisses. Vous auriez du coup jugé votre texte inopportun et caduc. Et, hormis mauvaise foi, vous ne l’exhiberiez pas de nouveau aujourd’hui en faisant comme si je n’avais pas déjà clarifié les points que vous souleviez. Mais, c’est vrai, mon livre vous ne l’avez que feuilleté…
C’est votre méthode de travail, désinvolte et superficielle, jointe en l’occurrence à une observance cavalière des règles de l’éthique journalistique, qui m’a rappelé vos Enquêtes sur les services secrets. D’autant, qu’à propos de ce livre vous avouez : « Je n’ai jamais affirmé connaître le fin fond de l’histoire […]. Je rapporte ce qu’on m’a dit, ce que j’ai pu confirmer, et ce que je n’ai jamais pu démêler. Je n’ai pas la clé de l’énigme Claude Morin. »
Difficile de mieux se tirer dans le pied ! En effet, sans connaître le fin fond de l’histoire, vous appuyant sur ce que vous n’avez jamais pu démêler, privé de la clé de l’énigme – bref, sans savoir de qui et de quoi vous parliez – , vous avez avancé sur moi, dans ce livre de 1998, quantité d’affirmations erronées, certaines à vrai dire flyées. Sur cette pente, de glissements en dérapages, vous en êtes venu à une gigantesque accusation à la page 203 (mes italiques) : « Morin a été l'œil d'Ottawa au sein du gouvernement du Québec. Il a tenu le fédéral au courant de tous les détails de la diplomatie secrète Québec-Paris qui s'est développée à la suite de la visite du général de Gaulle en 1967. »
Recherche bâclée ? Absence consternante de rigueur? Propension irrépressible à vous réfugier dans des fantasmes quand l’évidence détruit vos thèses complotistes ? Toujours est-il qu’il vous fallait un toupet surprenant pour prétendre que, chargé des relations internationales du Québec, je me serais comporté en traître envers mon gouvernement ! Qu’à en croire votre « intuition » et les extrapolations dont vous dites être le messager, j’aurais sciemment nui aux rapports France-Québec que j’avais la responsabilité de promouvoir ! Que je me serais évertué, conspirant avec Ottawa, à torpiller l’ouverture du Québec au monde, progrès dont je m’honore aujourd’hui d’avoir été un des artisans !
Où aviez-vous la tête quand votre irréflexion vous a conduit à soutenir une telle absurdité ?
Négligence supplémentaire, insoupçonnée de vos lecteurs : non seulement vous avez proféré cette calomnie sans préciser vos « sources », mais vous n’avez même pas eu la décence élémentaire de vérifier les faits auprès de moi, ni pris le moindre soin de vous en informer auprès de mes anciens collaborateurs et conseillers.
Votre mise en cause de ma loyauté envers le Québec est démentie par toute mon action des années durant, comme sous-ministre, homme politique et militant. En fait, votre accusation était tellement dénuée de bases dès le moment où vous l’avez imprudemment lancée, elle était si invraisemblable, que vous n’avez jamais pu la prouver et que vous n’y parviendrez jamais. Il en serait ainsi même si vous présidiez une Commission d’enquête extraordinaire, dotée de tous les pouvoirs, d’un généreux budget et d’experts renommés ayant accès à tous les témoins et à toutes les archives imaginables, y compris les miennes. À votre grande honte, l’examen poussé de la réalité contredirait vos raisonnements obliques et vous rendrait ridicule, odieux même, d’avoir exploité vos approximations contre moi.
Des auteurs, sérieux ceux-là, ont déjà fait cet examen de la réalité. C’est pourquoi vous auriez intérêt à consulter, par exemple, un ouvrage paru en 2005, Dans l’œil du sphinx : Claude Morin et les relations internationales du Québec, de Jean Décary, historien. Et celui d’un ancien ambassadeur canadien, Gilles Duguay, publié à l’automne 2010 : Le triangle Québec-Ottawa-Paris. Je me permets de mentionner aussi mon propre livre, L’Art de l’impossible, (1987) qui porte sur les péripéties de l’émergence internationale du Québec et dont vous n’avez pas l’air de connaître le contenu. Ces lectures vous aideraient à mesurer encore davantage jusqu’à quel point vous vous êtes fourvoyé à mon sujet.
Je reviens là-dessus aujourd’hui parce que votre récent recueil de chroniques m’en donne l’occasion que j’attendais et, notamment, parce que le 12 janvier 2006, quatre mois avant la publication de mon livre L’Affaire Morin, vous avez fièrement déclaré ceci (italiques de moi) au journal Voir : « Je revendique le droit d'analyser les faits et de présenter les choses comme je les vois. Mais si un jour je me trompe, je saurai reconnaître mes torts. Ceci étant, ce n'est pas encore arrivé ! »
Eh bien, justement, c’est arrivé. Vous n’oseriez pas aujourd’hui répéter votre accusation de 1998, si fausse et si terriblement injuste pour moi.
Votre engagement à reconnaître vos torts vous a rattrapé. Quand donc, pour respecter votre parole, comptez-vous admettre que vous vous êtes trompé ?
Claude Morin

P.S. Si besoin était, une autre chronique de votre recueil confirme la qualité de vos informations, la justesse de vos analyses et la puissance de vos conclusions. Il s’agit de celle du 13 septembre 2010, intitulée Où se cache Ben Laden ? En deux courtes pages, vous établissez par A + B que cet être maléfique se terrait à La Mecque, Arabie saoudite, et non au Pakistan comme la propagande américaine tendait à nous le faire croire. Il va de soi que cette chronique particulière – annoncée, telle une primeur, sur la couverture du recueil, tant vous la considérez digne d’intérêt – m’a aussi rappelé vos Enquêtes sur les services secrets...


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