Les Wallons, Belges du bout du monde...

Chronique de José Fontaine

Les Québécois ont choisi à un moment donné, de donner la priorité non à la défense de l'ensemble des Canadiens français, mais à celle du Québec et des Québécois. En estimant d'ailleurs que la meilleure manière de défendre la langue française au Canada était d'obtenir l'indépendance du Québec.
Un engagement wallon sur le modèle québécois
Tout mon engagement wallon, d'ailleurs sur le modèle du Québec, a consisté à obtenir que la Wallonie se distingue mêmement du reste de la Belgique francophone, c'est-à-dire de la minorité francophone en Flandre et des Bruxellois francophones. Distinguer n'est pas nécessairement nier l'autre ni le rejeter. J'ai été étonné de lire dans un travail de fins d'études d'un jeune étudiant en journalisme, que des chercheurs de l'Institut Vandervelde reconnaissent maintenant l'empathie qui existe entre régionalistes wallons et bruxellois qui, sans méconnaître la communauté de langue entre Bruxelles et la Wallonie, ne considèrent pas pour autant que cette communauté doit priver les deux Régions de la plénitude des compétences transférées de l'Etat fédéral aux entités fédérées, notamment en matière de politique de la culture et en matière de politique de l'enseignement dont la conduite directe échappe tant aux Bruxellois qu'aux Wallons.
La complexité belge c'est l'existence de deux sortes d'entités fédérées
Cela s'explique par le fait que lors de la première révision constitutionnelle en 1970, les parlementaires belges instituèrent deux types d'entités fédérées. D'une part les Régions à base territoriale et exerçant des compétences de nature matérielle (routes, ports, aéroports, économie, eaux et forêts, énergie, environnement, aménagement du territoire, agriculture, commerce des armes, commerce extérieur etc.). Et d'autre part des Communautés dont les compétences ont quelque chose d' immatériel et étant liées aux personnes (culture, enseignement, santé, famille, politique sociale etc.), impliquent, plus que les autres, l'usage d'une langue ou d'une autre.
Les Régions avaient été préférées par les Wallons et les Bruxellois. Les Communautés avaient été préférées par les Flamands, fondant leur projet national sur la langue qu'ils devaient défendre en Flandre même et surtout à Bruxelles, notamment, justement, dans les domaines où l'autorité publique a plus directement affaire à des personnes et à la langue de celles-ci. Il est facile de définir les Régions: ce sont les territoires qui y correspondent. Par contre les Communautés sont des communautés de langue, s'étendant pour la flamande en Flandre principalement et un peu à Bruxelles et pour la française en Wallonie (3,5 millions d'habitants (1)), et à Bruxelles (1 millions d'habitants dont le français est la lingua franca).
Le sens du compromis à la belge a fait que les Constituants de 1970 ont admis l'existence de deux sortes d'entités fédérées, ce qui a compliqué à plaisir le système belge (c'est même d'ailleurs son seul aspect véritablement complexe). Il y avait au départ une Région flamande distincte de la Communauté flamande, mais rapidement elles ont fusionné, d'autant plus facilement que les Flamands sont une minorité à Bruxelles de 100.000 personnes face à 6 millions de Flamands. Du côté wallon et bruxellois, la fusion n'a jamais été possible. D'une part parce que les 900.000 Bruxellois francophones ont le sentiment fondé d'être distincts des Wallons parce qu'ils n'ont pas la même histoire dans le domaine de la construction de l'autonomie. Aussi parce que Bruxelles doit même institutionnellement rester liée à la Flandre et à la Wallonie, notamment sur le plan de sa législation linguistique. Et d'autre part parce que l'entité qui aurait dû sortir de la fusion entre Communauté française et Région wallonne n'aurait pu s'appeler que Communauté française, le nom de la Wallonie étant voué à disparaître! Tandis que la Région bruxelloise comptant à la fois des francophones et des Flamands ou néerlandophones n'aurait pas pu être absorbée entièrement, ni dans la Communauté française, ni dans la Communauté flamande.
L'idée de la fusion a été abandonnée mais...
L'idée de fusion a été aujourd'hui abandonnée. Mais cela n'empêche que les partis politiques tant flamands que francophones se définissent par la Communauté à laquelle ils appartiennent. Lorsque l'on suit la politique belge, on peut avoir le sentiment d'un affrontement entre Belges francophones d'une part et Flamands d'autre part. Cependant les élections destinées à pourvoir en sièges les parlements des différentes entités se font, au contraire, sur une base territoriale, c'est-à-dire régionale.
Si, dans ce système, la Flandre s'identifie parfaitement, la Wallonie et Bruxelles apparaissent moins clairement, ce qui, on s'en doute, fait les délices des partisans attardés de la Belgique unitaire qui luttent contre leurs propres compatriotes wallons ou bruxellois pour que Bruxelles et la Wallonie ne s'affirment pas trop clairement. En Wallonie, particulièrement on a beau jeu d'opposer, à l'affirmation wallonne, l'existence d'une Belgique francophone compétente dans l'enseignement, la culture. Mais aussi les médias publics dont le cahier des charges mentionne d'abord et quasi exclusivement le fait qu'ils sont des chaînes de télévision ou de radios non de la Wallonie, mais de la Belgique francophone.
Une flagrante absurdité
Au début de cette évolution, des décisions d'une absurdité totale ont failli être prises par les libéraux et les démocrates-chrétiens qui, en 1985, ont même voulu replacer la capitale de la Région wallonne (alors au centre de la Wallonie à Namur), et de la Communauté française exclusivement à Bruxelles. La Wallonie aurait ainsi eu sa capitale hors de son territoire. Et aurait même pu disparaître comme entité de droit public. La chose ne s'est pas faite mais il a fallu un fameux levier de boucliers pour l'empêcher. En 1993, une série de compétences communautaires ont été transférées aux Régions, à Bruxelles et à la Wallonie. Certains auraient même souhaité que toutes les compétences soient transférées aux Régions. Mais la politique de l'enseignement, des médias, de la culture est demeurée sous la houlette de la Communauté.
Pour se faire une idée des obstacles que cela peut représenter sur la voie de l'identification de la Wallonie à elle-même, mais aussi de ce que j'appelle une absurdité, il suffit de lire la réaction du directeur des programmes de la RTBF (radio-télévision belge francophone, pas wallonne évidemment), au deuxième manifeste wallon de 2003 : « La RTBF a une mission de service public de et dans la Communauté française. C'est notre cahier des charges. On a donc vocation à être la vitrine culturelle de cette Communauté et à en être proche. En tant qu'acteur déterminant de cette Communauté, la Wallonie doit donc avoir une place sur nos antennes... » (Télémoustique, 1er octobre 2003). Il est assez ahurissant de voir qu'un responsable important de la politique culturelle et de communication puisse s'exprimer comme cela, car les Wallons ont beau former la majorité écrasante de la Belgique francophone (80% de celle-ci), il reconnaissait seulement qu'ils avaient droit à «une place» dans leur propre télévision, un peu comme une minorité religieuse ou une subdivision territoriale lointaine et marginale. Les expatriés ont aussi «une place»... dans les programmes de la RTBF, une émission célèbre intitulée Les Belges du bout du monde, avec cet inconvénient cependant que les Wallons ne peuvent se définir par la seule Belgique puisqu'ils existaient bien avant celle-ci. Le manifeste de 2003 avait été d'ailleurs précédé d'un autre manifeste en 1983 faisant déjà valoir l'absurdité de cette disposition institutionnelle et sociologique dénoncée pourtant par mille gens lucides, dont le Professeur Jean Pirotte.
Il semble qu'aujourd'hui la situation tendrait à se débloquer. J'en veux pour preuve cette déclaration du député libéral de Mons, Richard Miller, s'exprimant dans le travail de fin d'études du journaliste que je citais pour commencer et qui met en cause le fait que ni Bruxelles, ni la Wallonie n'ont de compétences dans le domaine de l'enseignement, de la culture et des médias : «on a cassé toute possibilité d'un développement wallon puisque qu’il n’est pas possible d’avoir une région forte si elle n'a pas les outils intellectuels et culturels».
Toute entité politique doit disposer d'un large éventail de compétences
La plus petite commune dans le monde dispose d'un éventail de compétences qui, en plus petit bien sûr, est analogue aux compétences que possèdent les Etats fédérés ou les Etats souverains, à la fois dans le domaine des compétences matérielles et dans le domaine des compétences qu'on pourrait appeler immatérielles (la culture, l'enseignement, plus généralement la façon dont on se présente aux autres). Après trente ans de construction fédérale en Belgique, la Wallonie ne dispose pas du même éventail de compétences et c'est une autre entité, la Communauté française, une entité wallo-bruxelloise si l'on veut, qui les gère à part et, qui plus est, dans un gouvernement distinct! Les gens qui ne veulent pas de la Wallonie se délectent de ces complexités en espérant que la Wallonie ainsi rabaissée et brouillée diminue si peu que pas l'éclat majestueux du Royaume de Belgique. Ils sévissent malheureusement un peu partout. Mais c'est pathétique parce que leur combat, qui n'a aucune chance de réussir à protéger la Belgique (et son régime suranné), d'un progressif effacement, est bel et bien efficace dans sa nuisance pour le développement wallon, c'est-à-dire fondamentalement pour l'identification du peuple wallon à la Wallonie. Personne ne nie la nécessité d'une telle identification de la population d'une ville grande ou petite à cette ville, de la population d'une école à cette école, de tous les travailleurs d'une entreprise à celle-ci (1), et personne ne nie qu'une telle identification rend possible le travail de soi sur soi qui permet aux communautés humaines de se développer, de vivre, de créer. A fortiori s'il s'agit d'une communauté de destin comme l'est la Wallonie.
Les adversaires wallons d'une telle identification feraient bien de prendre conscience qu'ils risquent de perdre deux fois leur combat. Car, d'une part il ne sauvera pas la Belgique. Et d'autre part, il hypothèque le redressement économique wallon qui les concerne tout autant que les autres Wallons.
Comme professeur, j'ai parfois éprouvé le sentiment étrange d'une sorte non de colère, mais de désespoir (ou de pitié sans mépris), devant la façon dont certains étudiants trichent, mais tellement bêtement! C'est ce sentiment que j'éprouve devant les Wallons qui s'acharnent encore à défendre une Belgique qui n'éclatera pas du jour au lendemain, mais qui n'a aucune chance de redevenir une communauté de destin. Rien n'est plus pénible que de voir des êtres humains s'autodétruire.
(1), les Germanophones mis à part qui sont une communauté minoritaire en Wallonie de 70.000 personnes.
(2) Avec évidemment les réserves que l'on peut avoir dans ce cas concernant la sujétion des travailleurs à un projet qui peut ne pas être le leur..

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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