La véritable transaction a eu lieu en 1999, alors que les Bourses de Montréal (présidée par Luc Bertrand) et de Toronto se sont divisé le marché canadien: le marché des actions à Toronto, et le marché des dérivés à Montréal. (Archives La Presse)
La fusion de la Bourse de Montréal (MX) et de la Bourse de Toronto (TSX) dans une nouvelle entité appelée Groupe TMX a réveillé de vieux démons. Montréal se fait-elle avoir par cette transaction, qui fait disparaître un nom fortement associé à l'histoire de Montréal comme place d'affaires? Malheureusement, en s'orientant vers les aspects symboliques de la fusion, le débat public risque de faire trop peu de cas des véritables enjeux associés à cette transaction.
La véritable transaction
Il y a neuf ans, la Bourse de Montréal et la Bourse de Toronto se sont divisées pour une période de 10 ans le marché canadien: à Toronto le marché des actions, à Montréal le marché des dérivés. La transaction était significative quant au rôle de Montréal comme place d'affaires. En effet, le Québec reconnaissait par le fait même le rôle prépondérant de Toronto comme centre financier, et plus spécifiquement dans la levée du capital des entreprises. Sur le plan économique, la transaction de 2008 n'a pas du tout l'envergure de celle de 1999.
Le gouvernement du Québec et la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ), aujourd'hui devenue l'Autorité des marchés financiers (AMF), ont entériné cette entente de spécialisation négociée par les deux Bourses en 1999. Or, l'entente s'est avérée gagnante pour tous, c'est-à-dire pour les deux Bourses, leurs actionnaires, les entreprises cotées et le public investisseur.
Toronto, comme partenaire
Le contexte d'affaires des Bourses a évolué significativement depuis 1999, avec un important mouvement de consolidation de la propriété des places boursières et l'émergence de holdings boursiers internationaux présents autant dans les marchés d'actions que dans les produits dérivés. Ces transformations majeures constituent aussi une réponse stratégique à la mise sur pied de plusieurs nouvelles plateformes de transactions visant les gros investisseurs. La recherche d'efficacité transactionnelle pour diminuer les coûts des transactions explique donc les mutations de l'industrie.
Les Bourses de Montréal et de Toronto ne sont pas à l'abri de ces tendances. Il était devenu inévitable que la Bourse de Montréal, une petite bourse sur l'échiquier mondial, devait incessamment s'intégrer à un autre groupe, soit une Bourse étrangère spécialisée dans les produits dérivés ou une bourse traditionnelle avec une offre complémentaire, telle la Bourse de Toronto. Cette dernière faisait d'ailleurs face aux mêmes choix.
Une fusion avec une Bourse complémentaire permet à Montréal de protéger sa plateforme dans les produits dérivés, ce qu'elle n'aurait probablement pas pu faire en fusionnant avec une Bourse étrangère active dans les produits dérivés. Il était possible, et ce fut fait, pour la Bourse de Toronto et la Bourse de Montréal de négocier une entente de complémentarité crédible, permettant de maintenir la spécialisation des deux parquets. L'entente, décrite de façon détaillée dans la circulaire de la Bourse de Montréal, maintient à perpétuité la complémentarité des activités des deux Bourses, garantissant à Montréal le maintien des activités sur les produits dérivés. Si la Bourse de Montréal avait fusionné avec une Bourse spécialisée dans les dérivés, une telle assurance aurait été difficile à obtenir et si obtenue, aurait été très fragile, car les synergies d'intégration auraient inévitablement commandé à un moment donné une rationalisation. Or, tous les autres partenaires possibles pour une fusion avec la Bourse de Montréal étaient des bourses spécialisées en dérivés.
La compétitivité
La Bourse de Montréal demeure une Bourse spécialisée de petite envergure, face à ses concurrents. En fait, sur le plan économique, la Bourse de Montréal est une société de taille moyenne avec quelques centaines d'employés et des revenus de moins de 100 millions. Il y a des centaines d'entreprises plus importantes économiquement à Montréal. La Bourse offre un service financier très spécialisé. La majorité de ses principaux clients ne sont pas établis à Montréal et transigent électroniquement, à distance. C'est le mythe de la Bourse du siècle dernier, beaucoup plus que la réalité économique de la Bourse d'aujourd'hui, qui soulève la tempête médiatique des derniers mois.
Il faut comprendre aussi que la question du contrôle est, à plusieurs égards, secondaire. En fait, la localisation à Montréal d'un parquet boursier dépendra uniquement de sa capacité à demeurer concurrentielle. C'est d'ailleurs ce qui amène la Bourse de Montréal à fusionner. Car il est inévitable que de nouveaux concurrents s'attaqueront à son lucratif marché des dérivés sur taux d'intérêt canadien, un marché que la Bourse de Montréal domine (qui représente les deux tiers de ses revenus et d'où elle tire vraisemblablement la quasi-totalité de ses profits). La Bourse ne pourra y maintenir sa dominance face à l'entrée de nouveaux acteurs que si elle joue bien ses cartes. (…)
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Marcel Côté
L'auteur est associé de Secor.
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Les règles du jeu
Marcel Côté
(…) En 2001, la CVMQ a accepté que la Bourse de Montréal devienne une société publique, détenue par des investisseurs, à qui on reconnaît le droit de maximiser la valeur de leur placement. L'AMF, successeur de la CVMQ, non seulement est tenue de respecter cette décision, mais elle doit veiller à ce que les intérêts des actionnaires de la Bourse de Montréal soient protégés dans cette transaction. L'AMF n'est pas une agence de développement économique et n'a pas à recevoir des conseils de la classe politique à cet effet. Son rôle est de protéger l'intérêt des actionnaires et de s'assurer que les marchés financiers sont efficaces.
Il s'agit par ailleurs d'un dossier hautement visible pour l'AMF, particulièrement auprès des grands investisseurs qui transigent sur les marchés de dérivés de la Bourse de Montréal. Dans ce contexte, le meilleur service que l'AMF peut probablement rendre à l'économie de Montréal, est de démontrer que le marché québécois est bien régi, dans le meilleur intérêt des investisseurs, et que la Bourse de Montréal sera une plateforme compétitive pour transiger des produits dérivés. Car la confiance dans l'intégrité d'une Bourse et la mise en place d'un environnement d'affaires concurrentiel sont des conditions essentielles à sont attrait et à son succès.
En fait, l'AMF est probablement l'un des grands gagnants dans cette transaction. D'une part, elle obtient un droit de veto sur toute transaction impliquant la vente de la nouvelle Bourse, ce qui inclut l'actuel TSX, une hypothèse qui aurait été considérée comme totalement irréaliste il y a même quelque mois. D'autre part, l'AMF se voit reconnaitre le rôle effectif de régulateur national des produits dérivés, car c'est le MX de Montréal, un marché qu'elle règlemente, qui gèrera le marché des dérivés de la nouvelle entité. Ces nouvelles responsabilités réglementaires sont d'ailleurs loin de plaire à tous dans l'industrie, qui rêvent d'un seul régulateur national pour tous les marchés boursiers.
L'AMF sera en quelque sorte sur la sellette lors des audiences publiques qu'elle tiendra sur la transaction. Elle est appelée à jauger dans cette transaction les intérêts des actionnaires de la Bourse de Montréal, son premier devoir, et le maintien de l'intégrité des marchés financiers qu'elle règlemente. D'aucuns souhaitent qu'elle élargisse de façon très ad hoc sa mission et qu'elle multiplie les exigences de toutes sortes. Aller dans cette dernière direction serait tomber dans un piège et ne pourrait que nuire aux activités boursières qui sont conduites au Québec.
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