Les turbulents héritiers de Champlain

Samuel de Champlain, Père de la Nouvelle-France

« Certains historiens considèrent que Champlain fonde bel et bien le
Canada. Il suffit pour s’en convaincre d’aller voir la magnifique
exposition de cartes anciennes à la Bibliothèque nationale. Le mot Canada
est écrit partout ! »
[->mot438]Il aura fallu cette remarque du journaliste Michel C. Auger sur les ondes
de Radio-Canada pour nous sortir de nos gonds. Déjà depuis la déclaration
du Premier ministre flottaient des relents de révisionnisme historique.
Champlain aurait-il fondé le Canada ? La fondation de Québec aurait-elle
mené à la naissance du Canada ? À moins de considérer une gestation
particulièrement longue entre la conception et l’accouchement (de 1608 à
1867 tout de même), tout semblait indiquer que dans cette histoire le
Premier ministre Charest s’était simplement laissé porter par une envolée
fédéraliste bien inoffensive. Or voilà qu’un journaliste reprend la même
thèse mais en l’étayant et en invoquant un argument qui traduit ici une
grave ignorance de l’histoire. Disons d’abord que ça n’a rien à voir avec
ce que pensent « Certains historiens ». L’histoire n’est pas une question
d’opinions mais de faits. Suggérer un tel flou traduit surtout l’hésitation
de M. Auger à s’aventurer sur un terrain qu’il maîtrise mal. En fait il est
plutôt « certain » qu’aucun historien n’avancera que Champlain ait pu
fonder le Canada, pour la simple raison qu’il ne s’agit pas du même
Canada…
D’emblée la cause est entendue puisque c’est à Jacques Cartier qu’il
faudrait attribuer cette paternité, le mot Kanada désignant déjà dans son
récit de 1535 cette « grande rivière » qui deviendra le Saint-Laurent. En
1603, Champlain s’intéresse d’ailleurs à l’Acadie et non pas au « Canada »,
qui désigne en fait la Vallée du Saint-Laurent. Si M. Auger analyse les
cartes auxquelles il réfère, il verra que Canada s’y trouve bien mais en
tant que constituante de la Nouvelle-France, au même titre que l’Acadie, la
Louisiane, les Illinois et les Pays-d’en-Haut, et pour désigner la région
comprise en gros entre Montréal et Kamouraska. On est bien loin des Pères
de la Confédération comme on le voit. D’ailleurs le terme Canada connaît
une longue éclipse après la Conquête et ne réapparaît qu’en 1791, toujours
pour désigner les berges du Saint-Laurent, en « Haut » et en « Bas » des
rapides de Lachine. Demeurent les « Canadiens », seul « rameau » de la
Nouvelle-France à avoir résisté à la déportation et à l’acculturation. Au
moment donc d’inclure les provinces maritimes en 1867, le mot Canada
apparaît le moins pire candidat pour désigner la fédération des colonies
britanniques. On a même failli lui préférer le terme de Boréalie !
Le Canada que M. Auger a vu écrit sur ces cartes magnifiques du XVIIIe
siècle n’a rien à voir avec la construction politique qui reprend ce nom en
1867; de la même manière par exemple que la Province of Quebec de 1774 ne
doit pas être confondue avec la province actuelle. Champlain est le
fondateur de Québec et de la Nouvelle-France. Ce fait ne se prête même pas
à l’interprétation. À la rigueur on pourrait étendre la commémoration à «
l’Amérique francophone », puisque le fait français reste l’un des rares
héritages tangibles issus de cette époque. Pourquoi alors tout ce flou et
cette récupération de l’histoire par le politique ? La vérité est que ni
l’ex-Nouvelle-France, ni l’Amérique francophone ne participent au 400e de
Québec. Pour le meilleur et pour le pire les principaux bailleurs de fonds
sont une ville, une province et un gouvernement fédéral. Pas étonnant dès
lors que surgissent de tortueuses parentés avec le glorieux navigateur de
Brouage.
Gilles Laporte
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Gilles Laporte34 articles

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professeur d’histoire au cégep du Vieux Montréal.

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7 commentaires

  • Rodrigue Guimont Répondre

    17 mai 2008

    En mars 1524 soit presque 10 ans avant Jacques Cartier, l’italien Verrazano au service du roi de France François 1er, nommait l’embouchure du St-Laurent : Nova Gallia >> Nouvelle-Gaule c’est-à-dire Nouvelle-France.
    C’est là le premier nom connu du Québec actuel.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mai 2008

    Monsieur Laporte,
    Félicitations pour cette mise au point!
    Il faut harceler sans arrêt ces funestes révisionnistes qui sévissent à Radio-Canada et qui sont payés avec les deniers publics de la nation québécoise. M. Auger est un valet fédéral et un fossoyeur de la nation québécoise que j'observe depuis longtemps avec une frustration sans borne.
    Il faut les harceler pour leur montrer que nous ne sommes pas dupes et que nous n'accepterons jamais qu'ils monologuent dans les médias pour rendre la nation amnésique et la faire disparaitre à petit feu.
    Il faut les harceler pour donner le signal à nos compatriotes qu'ils n'ont pas à se taire et à courber l'échine. En prenant la parole, nous pouvons grandement changer le cours de l'histoire. J'en suis convaincu. Nos compatriotes attendent le signal pour se révolter et enfin fonder leur pays.
    Pour affaiblir encore un peu plus les colonnes du temple, je vous invite donc à vous servir de votre article ci-dessus pour porter plainte auprès de l'ombudsman de Radio-Canada ainsi que du Conseil de presse du Québec. Devant des plaintes étayées par de solides arguments, à laquelle ils sont obligés de répondre, nos adversaires sont forcément affaiblis psychologiquement. Et, si jamais, par bonheur, le CPQ vous donnait raison, vous disposeriez d'une tribune pour étaler sur la place publique la fourberie de M. Auger et de ses parrains.
    Bravo encore!

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mai 2008

    Bravo M. Laporte !
    Envoyez votre article à M. Pratte de La Presse aussi. Le "donneur de leçon" qu'est M. Pratte (voir son article : Leçon d'histoire) aurait franchement besoin de vous lire.
    Il est inadmissible qu'un journal aussi important que La Presse fasse tant de désinformation révisionniste historique. M. Pratte fait dans l'obscurantisme dangereux quand il nargue les souverainistes à propos de la conquête-dont-il-ne-faudrait-pas-parler tout en participant récemment à l'essai "Reconquête du Canada" et en taisant le changement de nom du Canada pour celui du Québec vers 1763-74 !
    Continuez M. Laporte
    sebastien_harvey1@hotmail.com

  • Archives de Vigile Répondre

    11 mai 2008

    Champlain est bel et bien le fondateur du Québec, celui que nous connaissons. Cela me semble indéniable sur le plan historique, légal, politique, territorial et même culturel. Si je me trompe, ce qui est possible, j'aimerais que M. Laporte m'explique pourquoi.
    Voici ce que je crois savoir :
    D'abord, le Canada de Champlain, devenu la Province of Quebec tronquée de 1763 et redevenu à peu près ce qu'il était sur le plan territorial en 1774, est bel et bien le Québec d'aujourd'hui car seules la forme de gouvernement et les limites territoriales ont changés.
    Or, il n'y a rien de plus conventionnel pour un pays que d'étendre son territoire ou d'en perdre des bouts, d'être annexé à un Empire ou de participer, de gré ou de force, à une union avec d'autres pays. La France n'est plus le Royaume de France, mais la République française. Personne ne remet en question la filiation entre les deux entités même si la cassure est gigantesque. Il faut dire que la France a conservé son nom, alors il n'y a pas vraiment de confusion possible.
    De notre côté aussi il y a une continuité bien visible dans les institutions provinciales, le code civil, qui ont façonné sur le plan culturel une population, parlant la même langue, pratiquant la même religion et occupant le même territoire depuis 400 ans. Et c'est la capitale de ce pays que Champlain a fondé.
    Mais il y a quelques importants changements au territoire.
    Les États-Unis gardent le sud des Grands Lacs après 1783. Cette région a été administrée comme une dépendance canadienne il est vrai, mais aussi comme une partie de la Louisiane à partir de 1717 (la Haute-Louisiane, ou le Pays des Illinois). Ça avait toujours été pas mal loin de Montréal, beaucoup de portage en canot... ;-)
    En 1791, Westminster crée une nouvelle province, le Haut-Canada, sur une partie du territoire de la Province of Quebec de 1774, partie qui, du temps de la Nouvelle-France était une dépendance territoriale riche en fourrure rattachée au gouvernement du district de Montréal, les fameux Pays d'en Hauts. (D'ailleurs, les Britanniques ne changeront rien, à ma connaissance, à cette organisation primitive de 1760 jusqu'à la naissance du Haut-Canada, conséquence des revendications des Loyalistes arrivés vers 1785 sur le territoire.)
    Un des premiers actes législatifs du parlement du Haut-Canada fut d'abolir l'application du code civil québécois sur son territoire.
    Ce territoire était-il une partie intégrante du Canada colonisé par la France? Je ne le crois pas. Les Pays d'en Hauts étaient des pays amérindiens avec quelques postes de traite et des forts français. Ce n'est pas comme si on avait séparé le Québec en deux à la hauteur des Trois-Rivières. Là on aurait entamé le Canada de Champlain et pas à peu près.
    Le Bas-Canada perd son autonomie parlementaire de 1841 à 1867 et la regagne ensuite au sein d'une union fédérale de quatre provinces britanniques. Pour la première fois de leur histoire, les Québécois ont un gouvernement responsable devant leurs élus, mais ces élus ne peuvent légiférer qu'à l'intérieure d'une juridiction restreinte. La double-conquête de 1760 et 1840 se poursuit.
    Le territoire québécois prendre de l'expansion vers le Nord en 1898 et en 1912.
    En 1931, Westminster disparaît officiellement du décors. En 1949, Le Labrador est donné à Terre-Neuve.
    Sans doute la province française qu'était la Nouvelle-France à partir de 1663 ne peux pas être le Québec, car le Québec n'a jamais été toute la Nouvelle-France, seulement une de ses parties.
    Cependant, et c'est la réalité du point de vue des anglophones, le Canada est ce qui succède à l'entité nouvelle-française à travers les représentants de la couronne britannique (il y a eu, suivant la logique monarchiste, succession des couronnes avec la cession de 1763).
    Bref, si les Canadians sont satisfaits d'une continuité monarchique tordue pour expliquer leur histoire, pourquoi avons-nous tant de mal à reconnaître la continuité historique québécoise, tellement plus évidente sous tous les rapports?
    Est-ce uniquement à cause des nombreux changements de nom qui brouillent les cartes?

  • Archives de Vigile Répondre

    11 mai 2008

    Surtout après 1783, l'expression British North America devient courante pour désigner l'ensemble des Provinces demeurées britanniques suite à l'indépendance des États-unis. Elle est traduite en français par l'« Amérique septentrionale britannique » ou « Amérique du Nord britannique ».
    Le Canada, décrit par Gilles Laporte, n'a jamais existé pour les anglophones de l'Amérique septentrionale britannique. Qu'il y ait eu un peuple « canadien » dans un Canada francophone est une idée rejetée et même combattue pour des raisons essentiellement politiques, mais aussi historiques.
    D'abord, les Canadiens anglophones parlent généralement de la Conquête et de la Cession de la Nouvelle-France, même si le mot « Nouvelle-France » est introuvable dans le Traité de Paris de 1763. C'est bien le Canada « avec toutes ses dépendances, ainsi que l'Ile du Cap-Breton et toutes les autres Îles et Côtes, dans le Golf et Fleuve St-Laurent et généralement tout ce qui dépend des dits Pays, Terres, Îles et Côtes » qui est cédé.
    Ainsi, mis à part chez quelques anglophones francophiles, le Conquérant ne semble jamais découvrir la distinction culturelle entre les Canadiens et les Français. D'ailleurs, nous nommer Canadians, en reviendrait à reconnaître notre ascendance et nos droits de peuple sur le territoire qu'il vient de prendre : ça n'a pas de sens. On ne fait pas la conquête d'un pays pour le redonner à ses premiers habitants.
    Le nom du Canada devient synonyme de Quebec avec la proclamation royale de 1763. Ainsi, nos ancêtres sont devenus des Québécois il y a très longtemps, mais un peuple ne se laisse pas renommer aussi facilement... ;-)
    Le mot du Canada devient particulièrement ambiguë avec la loi constitutionnelle de 1791 qui donne naissance à deux Canadas là où il y en avait un seul, renommé la Province of Quebec. Durant toute la période de 1791 à 1837, plusieurs sens contradictoires coexistent dans les écrits anglais (et français aussi) :
    - Un seul Canada, divisé en deux provinces
    - Deux Canadas distincts, l'un anglais, l'autre mixte
    Il y a deux peuples, un vieux dans le Bas-Canada, et un très jeune dans le Haut-Canada, qui se désignent tous deux comme «Canadiens » (en réalité Canadians dans le Haut évidemment)
    La loi constitutionnelle de 1840 met fin aux deux Canadas, mais la division entre le Haut et le Bas subsiste dans le système judiciaire, le code civil distinct du Bas-Canada et dans le principe de la double-majorité. On peut dire qu'une certaine dualité canadienne se maintient, mais on est très loin de l'égalité théorique qui existait quand il y avait deux Canadas.
    La soit-disant confédération vient ajouter à l'ambiguïté du mot Canada, surtout en français car il y a un peuple qui se souvient...
    En 1867, l'entité géopolitique nommée British North America, avec son Governor General civil, son Commander-in-Chief militaire, prend la forme politique d'une union fédérale, et le nom Canada prend un nouveau sens. Les anglophones oublient assez vite les sens précédents et pour eux 1867 est le véritable point de départ de leur existe nationale. L'histoire du Canada est divisée en deux parties: Pre-Confederation History et l'époque contemporaine.
    Voilà ce qu'est le Canada pour la majorité des citoyens de l'Amérique septentrionale britannique, qui sont aussi sujets de la Reine du Canada.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 mai 2008

    400e : L’Habitation de Québec ou ma cabane au Canada ?
    Jean-Claude Pomerleau
    Tribune libre de Vigile
    mercredi 7 mai 2008 65 visites
    Pour se faire une idée du sens de cette fête du 400e, il faut se demander ce qui s’est passé en 1608 et qui soit en lien avec 2008. Simple, il ne s’est rien passé d’autre en 1608 que le fait que M Samuel de Champlain a érigé l’Abitation de Québec. De quoi s’agit-il ? Et en quoi sommes-nous en continuité avec cet ACTE fondateur ?
    L’Abitation de Québec.
    « Comme noyau du peuplement, habitation sera la résidence de celui qui y commande et de tous ceux qui y travailleront… » (1). Il s’agit donc d’une place (forte) ou siège le pouvoir avec mandat et capacités logistiques et techniques de faire l’occupation et la mise en exploitation du territoire. En terme géopolitique il s’agit d’un ÉTAT !
    M Samuel de Champlain a donc fondé l’État du Québec. Et le fil conducteur de ces 400 ans d’histoire c’est l’édification de cet État du Québec. Le seul état où nous sommes majoritaires et sur les assises duquel nous pouvons assurer notre pérennité comme peuple français en Amérique.
    Voilà ce que veulent nous faire oublier ceux qui participent au détournement de la Fête du 400e : le pouvoir de l’état canadien qui nous a annexés, allié avec ces petits marchands et notables d’une ville garnison, qui font leur pain et leur beurre avec les forces d’occupation. Ils veulent nous faire passer l’Habitation de Québec pour ma cabane au Canada !
    Jean Claude Pomerleau
    Montréal
    — Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) —

  • Archives de Vigile Répondre

    10 mai 2008

    Merci, J'apprécie beaucoup cette clarification. Je ne crois paws que notre tapis national, l’essuie-pieds bilingue de service que nous avons pour nous représenter à Québec soit intéressé à connaître ça. Son rôle est d'arraisonner le Québec au profit d'Ottawa et de ses p'tits zamis financiers. En ça, il réussit très bien, il va sans doute recevoir une petite image sainte collée dans son cahier pour sa réussite dans la classe d'assimilation de ses maîtres d'Ottawa.
    Bravo encore pour cette clarté (heureusement pas à la Dion)
    Ivan Parent parivan07@videotron.ca