Les non-francophones atteints de Québécitude!

Indépendance - le peuple québécois s'approche toujours davantage du but!


C’est un responsable publicitaire qui me l’avait dit, lorsque j’étais au cabinet Parizeau. “Si vous mettez le mot Québec dans une publicité destinée aux anglophones, le taux de lecture baisse”. Il y a, comme ça, des irréductibles de la non-québécitude.
Ils ne sont pas près de disparaître. Directement interrogés, les anglos sont encore 10% à se dire “pas du tout attachés” au Québec. Un sentiment partagé par seulement 2,5% des allophones et… 1% des francophones! À contrario, le “très fort” attachement des anglos au Canada est net: 65%. Contre 41% chez les allophones et 24% chez les francophones. Même topo lorsqu’on teste leur auto-identification. Les angloquébécois sont 18% à se dire “Canadiens seulement”, contre 13% des allophones et 1% des francophones.
Mais attendez ! Je viens d’écrire que les anglosquébécois sont 18% à se dire “Canadiens seulement” ? C’est dire que tous les autres, soit 80%, affichent une part d’identité québécoise ?
Si vous voulez mon avis, c’est énorme. C’est aussi l’avis de Jack Jedwab, le directeur de l’Association des études canadiennes qui a commandé ce sondage de Léger en décembre dernier et a partagé ses données avec moi. La marge d’erreur pour ces sous-groupes (anglos et allos) est de 8%, mais, vous verrez, toutes les réponses convergent.
Les angloquébécois, une société distincte
Pour Jack, le caractère distinct de la minorité anglophone québécoise apparaît clairement lorsqu’on la compare aux anglophones des autres provinces canadiennes. Ces derniers sont nettement plus nombreux à se dire “Canadiens seulement” (32,4%) et moins nombreux à s’identifier comme “Ontariens”‘ ou “Albertains” d’abord, comme on le voit sur ce tableau:




C’est encore pire lorsqu’on compare les angloquébécois aux anglo-ontariens qui, eux, vivant au coeur du pays, s’identifient à 49% comme “Canadiens seulement” (+31 points) ! Quant aux Américains, leur identification première à leur pays est de 44% (+26 points).
C’est dire que la québécitude est contagieuse auprès de notre minorité historique.
Revoyons maintenant le niveau d’attachement au Québec exprimé par les anglos et les allophones québécois (allophones étant les personnes parlant une autre langue que le français ou l’anglais à la maison).

Franchement, c’est plutôt le niveau d’attachement qui étonne. Ces gens-là ne doivent pas lire la Gazette tous les jours !
En fait, lorsqu’on fait la hiérarchie de l’attachement (très + assez) des anglos, le Canada l’emporte massivement, mais on a des surprises.Voyez plutôt.


Leur attitude face aux nouveaux immigrants
Si seulement on pouvait pousser plus loin. Introduire le mot “Québec” dans des questions plus engageantes. L’identification tiendrait-elle ? La réponse est oui.
L’étude Jedwab/Léger a aussi testé les opinions au sujet de l’intégration des nouveaux immigrants. Les réponses des allos et des anglos mesurent leur convergence frappante avec les sentiments exprimés par la majorité francophone sauf, pour les allos, dans un cas.




Il n’existe malheureusement pas de comparatif historique. Mais que 71% des angloquébécois affirment qu’il existe des “valeurs québécoises communes” est à des années lumières de l’opinion que leurs parents ou grands parents auraient exprimée. (Les échantillons sont trop petits pour s’attarder sur les groupes d’âge.)
Une condition gagnante de la québécitude
Ces éléments de réponse ne doivent pas nous porter à exagérer le niveau d’intégration à la réalité québécoise de nos concitoyens anglophones. Voici ce que m’écrivait cette semaine un professeur, fédéraliste francophone, ayant enseigné à McGill:

C’est bien de parler le français, mais si l’on s’en tient à une conception purement véhiculaire ou fonctionnelle de l’apprentissage d’une langue (plutôt que culturelle), on va produire des individus qui maîtrisent le français, mais qui n’ont souvent aucune idée de la culture qui s’y rattache – et pas seulement la québécoise… J’ai constaté quand j’enseignais à McGill combien de jeunes gens anglos ou allophones qui parlaient très bien le français n’avaient aucune culture française. A peu près comme si des apprenants en espagnol ignoraient tout de Garcia Marquez, Vargas Lllosa, Garcia Lorca, Fuentes, voire Cervantes. Or, dans un contexte nord-américain de domination anglaise, on peut présumer que les référents culturels anglo-américains, eux, n’auront aucune difficulté à s’imposer…

C’est indubitable et cela signifie qu’il faut se pencher sur le contenu de “culture québécoise” au sein des écoles secondaires anglophones. Et pourquoi pas un cours de culture québécoise dans les futurs Cégeps unifiés francophones que j’appelle de mes voeux. Tiens, en voilà, une idée, qu’elle est bonne !
Mais
il y existe un phénomène de diffusion de la québécitude qui se met en place à la fin des études et au début de l’âge adulte: les couples mixtes anglos-francos. Phénomène anecdotique ? Détrompez-vous.


Entre 1971 et 2006, la proportion de couples anglais-français parmi l’ensemble des couples composés d’un conjoint de langue maternelle anglaise est passée au Québec de 25 % à 46 %. C’est dire que presque un anglo sur deux a un conjoint francophone. Énorme. L’inverse est évidemment vrai: la part des couples dont les deux conjoints ont l’anglais comme langue maternelle a substantiellement diminué, passant de 70 % en 1971 à 41 % en 2006.
Selon un rapport récent de Statistique Canada (et à moins que notre ami Charles Castonguay ne corrige les biais cachés qui s’insèrent souvent dans ces données), en 1971, ces couples mixtes transmettaient l’anglais à leurs enfants de moins de 18 ans dans la moitié (51%) des cas. Ce n’est plus que 34% des cas en 2006, 10% acquérant les deux langues. Bref, dorénavant, ces couples mixtes transmettent majoritairement — dans 56% des cas, 66% en comptant les bilingues — le français à leurs enfants.
Ce qui est une indication qu’il doit être question, à table, de Céline Dion, Grégory Charles et des accommodements raisonnables. Et ce qui explique probablement les taux de réponses et d’attachement au Québec notés plus haut.
Quel impact sur la langue et la souveraineté ?
Cela signifie-t-il que les angloquébécois sont davantage susceptibles, au prochain référendum, de voter Oui ? Absolument pas. Leur identité canadienne est, disons, nettement prédominante. C’est elle qui jouera.
On peut cependant estimer que la volonté des anglos de quitter un Québec souverain sera beaucoup plus faible que dans le passé. On peut aussi estimer que les niveaux de résistance aux législations linguistiques — toujours très élevés chez les anglos — resteront la norme. Mais l’intensité de cette résistance ne sera pas aussi forte. La loi 101 ? Ils sont contre (généralement à 80%). Mais un peu comme nous sommes contre la monarchie. Nous ne sommes pas assez fâchés pour aller occuper le consulat britannique.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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