Le Canada est actuellement pris avec un principal partenaire commercial qui ne comprend plus rien au commerce. Manque de chance, son deuxième partenaire n’est pas plus commode.
Comme il n’est pas de bon ton, lorsqu’on est en visite, de dire à son hôte ses quatre vérités — particulièrement en diplomatie —, le Canada et la Chine l’ont fait cette semaine en se servant des journalistes. Cela a commencé dès le premier jour de la visite de Justin Trudeau chez le deuxième partenaire commercial du Canada (et du Québec). Alors que le premier ministre canadien et son homologue chinois foulaient le tapis rouge menant au palais de l’Assemblée du Peuple, la garde d’honneur s’en est prise aux photographes de presse et des diplomates des deux pays se sont crêpé le chignon à propos des mesures de contrôle des journalistes. Cela s’est poursuivi mercredi par une charge à fond de train du journal du Parti communiste chinois, Global Times, contre le sentiment « de supériorité et le narcissisme » de la presse canadienne et par sa défense, le lendemain, par Justin Trudeau, qui sans mentionner la situation en Chine a salué le « rôle essentiel » d’une presse libre et critique pour aider les gouvernements à faire du bon boulot en démocratie.
Le premier ministre a pris ensuite son vol de retour vers Ottawa, avec une annonce de lancement de négociation de libre-échange entre les deux pays non signée sous le bras, et, à quelques pas derrière, des gens d’affaires grommelant. Ces derniers ne faisaient pas tous porter la responsabilité de cet échec aux représentants canadiens, mais tous n’ont sans doute pas pu s’empêcher de se dire que les temps sont décidément difficiles pour leur pauvre pays, dont l’économie dépend tellement du commerce.
Les temps sont durs
On pense évidemment au premier chef à cette renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), où le Canada et le Mexique font face aux représentants d’un président américain, Donald Trump, qui ne croit tout simplement pas aux vertus du libre-échange et qui ne semble que chercher un prétexte pour sortir son pays du ménage à trois formé il y a 25 ans.
L’élection du président républicain a soudainement rendu beaucoup plus urgente la recherche perpétuelle du Canada d’autres débouchés commerciaux que son immense voisin américain qui accapare les trois quarts de ses échanges. Un nouveau traité de libre-échange avec l’Union européenne qualifié par les deux parties de progressiste vient heureusement d’entrer en vigueur. Son sort peut toutefois encore être compromis dans le processus de ratification par presque la trentaine de pays membres de l’Union. Mais l’on regarde aussi, et peut-être surtout, du côté de l’Asie, d’où le gros de la croissance économique mondiale devrait continuer de venir pendant des années encore.
Le Canada et dix autres pays d’Amérique et d’Asie essaient dans la région de ressusciter le projet de Partenariat transpacifique torpillé par Donald Trump dès son entrée à la Maison-Blanche. Plusieurs croyaient le mois dernier qu’une entente était dans la poche jusqu’à ce que le Canada joue apparemment les empêcheurs de danser en rond en ne se montrant soudainement pas pressé de conclure les négociations ainsi qu’en réclamant notamment qu’on intègre à l’accord des dispositions plus musclées en matière de protection de l’environnement, de défense des droits des travailleurs, de promotion de l’égalité des sexes et de reconnaissance des autochtones.
Un géant qui ne veut plus de leçon
Le Canada est arrivé, cette semaine, sensiblement avec le même genre de demandes à Pékin, et y a remporté le même succès.
Pas que la Chine ne soit pas prête à s’engager dans la lutte contre les changements climatiques ou en faveur de l’égalité des femmes, bien au contraire, disent des experts, mais il aurait été étonnant qu’un régime autoritaire ne tique pas à l’idée d’être obligé d’appliquer l’interdiction du travail forcé ou le droit à des syndicats indépendants.
Ce ne seraient pas les seules demandes canadiennes qui fâchent la Chine. Des consultations publiques réalisées ce printemps montrent que les entreprises canadiennes voudraient qu’elle leur assure aussi des règles du jeu plus stables, transparentes et impartiales. On se méfie également du poids et du rôle des nombreuses entreprises chinoises contrôlées par l’État.
Tous les gens d’affaires canadiens qui étaient en Chine cette semaine ne sont pas convaincus qu’il faut être prêt à renoncer à une entente au nom de la défense d’un commerce plus « progressiste ». On semble admettre quand même que des garde-fous supplémentaires sont nécessaires.
La visite de Justin Trudeau en Chine a permis, par exemple, de rappeler qu’un Canadien de la Colombie-Britannique croupit dans les prisons chinoises depuis un an et demi pour une simple affaire d’importation de vin de glace dont un concurrent chinois l’accuse d’avoir réduit artificiellement le prix pour payer moins de droits de douane.
Mais la Chine estime qu’on n’a pas à mêler le commerce à des enjeux politiques ou sociaux. Elle n’a jamais aimé de toute façon que les pays occidentaux lui fassent la leçon. Elle l’accepte d’autant moins aujourd’hui qu’à titre de deuxième puissance économique mondiale, elle pense avoir prouvé que son modèle de développement est aussi bon, sinon meilleur que le leur.
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