[Patrick Bourgeois->119], fondateur du journal indépendantiste Le Québécois, est un ardent militant souverainiste. Dans les six derniers mois, en plus de rédiger plusieurs textes pour son journal et pour son site Internet, il a publié deux essais-chocs. We Are Québécois when ça nous arrange se voulait une charge à fond de train contre certains Québécois bilingues et biculturels (Justin Trudeau, Ben Mulroney, Yann Martel, Jean Charest, Paul Martin, Alain Dubuc) qui collaborent avec «l'ennemi» en s'adonnant à la propagande fédéraliste.
Plus substantiel, Nos ennemis, les médias proposait une petite enquête maison sur le biais fédéraliste des grands quotidiens québécois. À partir d'une analyse, intéressante mais pas tout à fait rigoureuse, des textes publiés dans quelques-uns de ces journaux pendant la campagne référendaire de 1995, Bourgeois concluait à la «désinformation canadienne». Le caractère fédéraliste des journaux du groupe Gesca, écrivait-il, ne fait pas de doute, les quotidiens du groupe Quebecor ne sont obsédés que par la rentabilité et Le Devoir, qui offre une couverture équilibrée de la question nationale, ne serait plus vraiment indépendantiste. Aussi, compte tenu «de l'impact politique qu'ont les médias [...] sur le combat pour la liberté que nous menons, nous les indépendantistes», écrit Bourgeois, il faut donc conclure à un déficit démocratique.
Le Manifeste lucide pour la fin de l'hégémonie fédéraliste sur l'information, que publient maintenant les Éditions du Québécois, reprend pour l'essentiel cette thèse. Rédigé par Bourgeois et son collègue Pierre-Luc Bégin, et cosigné, entre autres, par des militants indépendantistes bien connus -- Victor-Lévy Beaulieu, Pierre Falardeau, Andrée Ferretti, Claude Jasmin, Jean-Marc Léger, Yves Michaud et Yves Rocheleau, pour n'en nommer que quelques-uns --, ce manifeste s'en prend à la concentration de la presse, essentiellement entre des mains fédéralistes, et en appelle à trois solutions : la mise sur pied, par le mouvement indépendantiste, d'une Commission sur la concentration de la presse, la création d'un Observatoire des médias et la transformation de Télé-Québec «en véritable entreprise d'information qui informerait honnêtement les Québécois».
Dans un avant-propos qui ne fait pas dans la dentelle, Bourgeois réitère que «l'organisation du Québécois est plus fermement que jamais engagée dans un processus d'opposition musclée avec les médias du Québec», que «tous nos médias ne sont qu'autant d'organes de propagande» et qu'il est temps d'en finir avec cette «censure».
Peut-on vraiment donner raison à Bourgeois et à ses camarades de combat quand ils affirment que «le mouvement indépendantiste est bafoué dans ses droits par les principales entreprises de presse du Québec» ? Au sujet du problème de la concentration de la presse au Québec, difficile de les contredire. La mainmise du groupe fédéraliste Gesca sur sept des dix quotidiens francophones du Québec engendre en effet un sérieux problème démocratique. C'est d'ailleurs ce groupe qui constitue la cible principale de Bourgeois et compagnie. Cela, pour autant, ne justifie pas toutes les outrances accusatrices du militant.
Opinion et information
On souhaiterait, par exemple, que ses analyses distinguent ce qui relève de l'information de ce qui relève de l'opinion. Que la ligne éditoriale du groupe Gesca soit fédéraliste, cela est bien connu. Peut-on pour autant en tirer la conclusion que l'information offerte par les quotidiens de ce groupe relève de la propagande ? Dans le cas de La Presse, en tout cas, et pour parler de ce que l'on connaît, l'accusation semble un peu grosse et par trop générale. Au passage, d'ailleurs, et pour revenir dans le domaine de l'opinion, Bourgeois oublie de mentionner que Pierre Foglia et Réjean Tremblay ont souvent pris position en faveur de la souveraineté. Cela, bien sûr, ne suffit pas à rétablir l'équilibre éditorial, mais il faut au moins le souligner.
En ce qui concerne Le Journal de Montréal, on peut, évidemment, déplorer son approche principalement commerciale, mais on ne peut faire abstraction du fait qu'il donne aussi à lire, ce que Bourgeois reconnaît, les chroniques de Franco Nuovo et de Lise Payette, deux souverainistes affichés, et celles de Joseph Facal, dont le militant ne parle pas. Sheila Copps, Yves Séguin (plutôt modéré, tout de même) et Nathalie Elgrably y figurent aussi, bien sûr, mais la présence des premiers nous empêche de conclure au caractère propagandiste fédéraliste de ce quotidien.
Les souverainistes les plus pressés aimeraient bien que Le Devoir privilégie une ligne éditoriale plus radicale, mais ils doivent reconnaître que ce quotidien indépendant, sur la question nationale, n'a pas démérité. En 1995, il a clairement pris position en faveur du OUI et, lors de toutes les élections subséquentes, il a appuyé le Parti québécois ou le Bloc québécois. Deux de ses chroniqueurs-vedettes, Michel Venne et Christian Rioux, sont ouvertement souverainistes et cette chronique, à l'occasion, ne se prive pas non plus de s'exprimer en ce sens.
Le cas de Radio-Canada est, quant à lui, moins évident. Les affaires Lester (aujourd'hui à TQS) et Parenteau ne plaident pas en sa faveur, mais il faudrait être prudent avant d'accuser cette institution, dans sa version québécoise, de tous les torts. Présente-t-elle des points de vue équilibrés sur la question nationale ? Une analyse rigoureuse pourrait nous le dire, mais on ne peut nier le fait que, à la radio surtout, elle donne souvent la parole à des souverainistes (de même qu'à des fédéralistes, bien entendu).
Bourgeois, d'ailleurs, n'aide pas sa cause quand il formule des exagérations comme celle qui veut que Pierre Falardeau ait «toutes les difficultés du monde à percer le filtre médiatique». Récemment, on a vu ce dernier, deux fois plutôt qu'une, sur le plateau de Tout le monde en parle, aux Franc-tireurs à Télé-Québec et, à quelques reprises, aux débats du Grand Journal à TQS. On l'a entendu, à la radio de Radio-Canada, en virile discussion avec Pierre Foglia. Il y a quelques années, la Chaîne culturelle de Radio-Canada a même mis en ondes une de ses dramatiques dans laquelle il s'en prenait avec hargne aux fonctionnaires de Téléfilm Canada.
Bourgeois, donc, beurre épais, et cela ne sert pas toujours bien sa thèse. Même le critique de L'Action nationale (février 2006) soulignait que ces exagérations nuisent à un propos qui, par ailleurs, soulève souvent de réels problèmes démocratiques, particulièrement, répétons-le, celui de la concentration de la presse, qui constitue l'enjeu principal de ce débat.
louiscornellier@parroinfo.net
Nos ennemis, les médias
Petit guide pour comprendre la désinformation canadienne
Patrick Bourgeois
Manifeste lucide pour la fin de l'hégémonie fédéraliste sur l'information
Patrick Bourgeois et Pierre-Luc Bégin
Les Éditions du Québécois
Québec, respectivement 2005 et 2006,
216 et 104 pages
Essais québécois
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