Le journaliste Michael Duffy avait annoncé le décès de Lucien Bouchard, l’ancien politicien qu’il détestait et qui est toujours bien vivant. Devenu sénateur pour l’Île-du-Prince-Édouard, il s’accroche aujourd’hui à son poste, même politiquement mort. Ayant tout fait pour échapper au spectre de ses dépenses fictives, une affaire qui vient d’emporter le chef de cabinet de Stephen Harper, il ne pourra plus empêcher l’éthique d’entrer au Parlement une faux à la main.
Là où des vérificateurs externes ne trouvaient pas d’infraction flagrante, la Gendarmerie royale étudie les informations, une commissaire à l’éthique scrute les événements, un comité sénatorial rouvre le dossier. Si rien ni personne ne semblait d’abord ébranler le sénateur vedette, il a depuis - les révélations des médias aidant - quitté le caucus conservateur. Mais, a-t-il laconiquement expliqué, c’est pour ne pas causer de « distraction » à ses collègues.
Ce prestidigitateur, en tout cas, ne manquait pas de génie. Il tenait résidence à Cavendish sur mer alors qu’on le voyait depuis toujours à Ottawa. Il se reposait en Floride tout en oeuvrant dans la capitale. Récompensé d’une indemnité quotidienne pour son labeur autour de la colline, il réclamait des frais pour ses apparitions aux cocktails-bénéfices des réunions conservatrices. Et sommé de restituer les deniers controversés, le sénateur désargenté vit apparaître un chèque signé de la main du bras droit du premier ministre.
Espèces sonnante, dira-t-on, n’est pas toujours trébuchante, encore que nul ne doit abuser du pain bénit, fût-il membre de la Chambre haute. Après la grande « commandite » qui mit fin au règne libéral, comment un ex-journaliste politique pouvait-il s’adonner à de petites commandites pour sauteries populaires au profit du parti au pouvoir ? Mais surtout, pour enterrer l’affaire, on aura violé la frontière entre les pouvoirs politiques.
Peu de citoyens croiront que c’est par amitié ou générosité que Nigel Wright, l’alter ego de Stephen Harper, a donné plus de 90 000 $ au sénateur Duffy en règlement d’une dette en souffrance. À vrai dire, cet avocat d’affaires millionnaire, venu du géant Onex Corporation, pouvait aisément se priver d’une telle somme. Son erreur - étonnante de la part d’un juriste - fut de couper court à une enquête, en faveur d’un sénateur devenu indéfendable.
Harper lui-même ne voyait rien de mal chez son sénateur. L’ayant nommé, il ne pouvait le blâmer sans mettre en doute son propre jugement, voire son respect de l’intégrité. L’ex- journaliste Duffy fait partie de ces sénateurs qui ont été recrutés non pour quelque aptitude à enrichir la vie du pays, à réformer les institutions ou à corriger les lois, mais en raison de leur forte visibilité médiatique. Le chef conservateur aura été justement puni par où il a, lui aussi, fauté.
La question éthique se pose toutefois pour la gent journalistique aussi. Certes, des politiciens furent journalistes, à commencer par les célèbres Henri Bourassa et Wilfrid Laurier. Et des journalistes plongèrent dans l’action politique, comme René Lévesque ou Claude Ryan. Mais ils n’empruntaient pas cette voie pour aider à récolter des votes ou remplir la caisse. De nos jours, on courtise des vedettes du petit écran pour redorer, trop souvent, l’image de l’organisation.
La question est particulièrement délicate s’il s’agit d’une nomination au Sénat. Ce poste d’influence, l’heureuse recrue ne le tient pas d’un vote du peuple, mais de la seule discrétion d’un chef de parti. D’où qu’il provienne, il est vrai, un sénateur peut faire oeuvre utile, autant sinon plus qu’un député. Mais dans le cas d’un correspondant parlementaire, d’aucuns se demanderont s’il s’agit d’une récompense pour service inavouable ou d’une retraite dorée pour commentateur trop critique.
Le journal The Guardian de Charlottetown a interviewé des voisins de cottage du sénateur et d’autres résidents de Cavendish. Personne n’a montré de sympathie pour « Mike » Duffy ni pour ses problèmes. On ne le tient pas non plus pour un authentique résident de l’Île-du-Prince-Édouard. L’opinion locale ne laisse guère de doute. « Il devrait perdre son siège au Sénat », dit l’un. « Une fois renvoyé, dit un autre, je veux le voir essayer d’aller à l’assurance-emploi. »
Stephen Harper, il est vrai, a déjà incité les bénéficiaires d’assurance-emploi en Atlantique à se mettre au travail. Il avait aussi promis de ramener l’intégrité en haut lieu, et de garder au cachot les délinquants du pays. Aujourd’hui, l’occasion lui est donnée d’y restaurer la splendeur royale qui lui est chère, en commençant, bien sûr, par les parlementaires tendant à confondre, comme hier à Westminster, résidence de fonction et maison personnelle, voire dépenses privées et fonds publics.
Quoi qu’il en soit, on ne peut guère attendre des moyens de surveillance en place qu’ils fassent la lumière sur les dépenses indues ou sur les activités lucratives parallèles des sénateurs en cause. Même des conservateurs sont outrés des abus et des manoeuvres pour les minimiser. Le gouvernement n’en sortira pas indemne sans une enquête publique indépendante.
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