Commission Bouchard-Taylor sur les pratiques d'accommodement

Les limites de la tolérance

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

On a dit de la tolérance «qu'elle était la vilaine désignation d'une belle chose». Ne pourrait-on pas avancer la même remarque à propos de l'expression «accommodements raisonnables»? En effet, les deux expressions renvoient à des récits de tensions entre les humains et symbolisent en même temps un désir de dialogue, d'intercompréhension, de rapprochement.

Discours de rapprochement mais aussi discours de polémique, de distance, car aucune des deux expressions ne suscite l'adhésion totale. Expressions heureuses pour les uns, expressions malheureuses à bannir du lexique de l'altérité pour les autres. Un immigrant qui tentait récemment de définir l'expression «accommodement raisonnable» indiquait qu'elle évoquait chez lui le mot «accommodation», ce synonyme désuet du mot «dépanneur», qui désigne cette épicerie du coin où on se rend pour acheter ce qui peut «contenter, suffire passagèrement» lorsqu'on est pris au dépourvu.
Pour lui, l'accommodation nous permet de «faire avec» ce qui est disponible. Ce n'est pas l'idéal. Cet immigrant voit ainsi la pratique des accommodements raisonnables comme ancrée dans un discours de dépannage. Mais le dépannage peut-il être la base d'une politique qui bâtit un projet inclusif de société?
Les mots «tolérance» et «accommodements raisonnables» ne partagent pas la même mémoire sémantique. Le premier inscrit principalement sa genèse dans le champ référentiel du religieux alors que le deuxième puise dans le juridique. Aujourd'hui cependant, les deux expressions partagent le même champ référentiel, car toutes les deux construisent, dans le débat qui nous interpelle, leur saillance cognitive à partir du religieux.
De plus, les deux expressions semblent mener aux mêmes récits ou aux mêmes lieux argumentatifs. En effet, le débat sur les accommodements raisonnables n'est pas un débat sur l'intolérance: le Québec est incontestablement un pays tolérant. Rien dans les propos de Mario Dumont, chef de l'Action démocratique du Québec (ADQ), rien dans les propos du maire d'Hérouxville ne peut conduire à affirmer qu'ils sont intolérants. Le débat qui nous intéresse porte sur la tolérance, sur les formes de la tolérance et surtout, «et surtout», sur les limites de la tolérance.
Réfléchir à la tolérance
Il s'agit d'un débat sur la configuration de l'espace de tolérance au Québec. Je préfère, tout en étant vigilant, lire les propos alarmistes qui ont mené à la création de la création de la commission Bouchard-Taylor comme une demande de réflexion sur la tolérance plutôt que comme un discours qui promeut l'exclusion.
On retrouve, dans le questionnement sur les accommodements raisonnables, les mêmes arguments que ceux avancés lors des débats et séminaires qui ont marqué l'Année internationale sur la tolérance. On a employé les expressions de tolérance molle, de tolérance passive, de tolérance excessive, de tolérance forte et de limites de la tolérance pour distinguer nos différentes pratiques de la tolérance ainsi que leurs effets sur la cohésion ou l'incohésion sociales. Jusqu'où tolérer? est le titre fort éloquent d'un ouvrage issu de ces débats, ouvrage publié chez Le Monde Éditions et qui réunit les contributions d'éminents intellectuels.
Le débat actuel sur les accommodements raisonnables nous convie, tous ensemble, à bien situer les interrogations là où se cristallise principalement l'intertexte scientifique contemporain de la réflexion sur la tolérance (j'avoue que le terme même de tolérance pose problème, mais il faut reconnaître que l'idée de tolérance persiste et semble s'imposer comme un incontournable des cultures: aucune culture ne se réclame ouvertement de l'intolérance).
Cet espace de cristallisation porte sur la définition des limites, la définition de ce que je théorise sous le terme de «frontière de l'autre». Ce que M. Dumont a réussi (je précise que je n'ai rien à voir avec l'ADQ), ce que la municipalité d'Hérouxville a réussi (peut-être maladroitement), ce que les médias et d'autres ont réussi (parfois dans l'exagération), c'est d'avoir posé les termes d'un débat qui ose affronter des questions de fond, des questions qui dérangent.
Il n y a pas de tolérance là où on occulte, là où on évite, à n'importe quel prix, la confrontation. Hérouxville, Dumont et d'autres, c'est une convocation à la tolérance, mais pas à n'importe quelle tolérance. La tolérance aujourd'hui demande de s'armer d'une éthique de responsabilité, cette éthique qui nous impose d'affronter toutes les questions et d'évaluer les conséquences aujourd'hui et demain de ce que nous faisons et de ce que nous acceptons.
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Khadiyatoulah Fall, Professeur titulaire de la Chaire d'enseignement et de recherche interethniques et interculturels à l'Université du Québec à Chicoutimi

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