Pour les gens de mon âge (un peu moins de 40 ans), Marcel Tessier est essentiellement cet historien-conteur très énergique qui a dynamisé les matins de TVA jusqu'à la fin des années 1990. Auteur, récemment, de deux livres de chroniques d'histoire, Tessier incarne, dans l'opinion populaire, la figure de l'historien sympathique et engagé. Les spécialistes de cette discipline, parfois, s'en désolent, et on les comprend un peu. Le communicateur, en effet, avoue puiser son inspiration surtout chez Groulx et Rumilly, deux historiens talentueux mais dépassés. Il n'empêche que, grâce à ses louables efforts de vulgarisation, le vigoureux personnage a contribué à maintenir notre histoire dans l'espace public. Cela n'est pas rien.
L'homme, cela dit, ne se résume pas à cette fonction et, dans Je me souviens... , un recueil de chroniques biographiques, il raconte avec sa verve habituelle les hauts et les bas de sa propre existence, levant ainsi le voile sur un parcours bien rempli et méconnu.
Né en 1934 dans le quartier Saint-Henri à Montréal, Marcel Tessier a donc 72 ans. À cet âge, il arrive souvent que la nostalgie nous guette, et le chroniqueur n'y échappe pas. Penché sur sa jeunesse avec attendrissement, il nous sert donc le refrain sur les enfants de son temps qui jouaient dehors, sur ce temps béni d'avant la télévision (l'homme, plus tard, en fera pourtant son profit), sur le scoutisme qui n'est plus ce qu'il était depuis que les gars et les filles peuvent le pratiquer ensemble, sur la qualité de la formation dans les écoles normales qui était supérieure à celle du bac actuel en éducation, sur les tristes enfants-rois d'aujourd'hui et sur leurs parents «immatures» qui négligent la pédagogie de l'effort. Tout ça, convenons-en, est plutôt gratuit et nous renseigne plus sur les états d'âme de l'homme que sur la valeur de cette évolution.
L'essentiel, d'ailleurs, dans cet ouvrage, n'est pas là, mais plutôt dans le récit intime parsemé de confidences que nous livre Tessier. Ce boute-en-train, en effet, fut un homme brisé par l'échec de son rêve. Entouré de chanteurs, amateurs mais de qualité, pendant son enfance, il sera déchiré, des années durant, entre son désir de mener une vie de pédagogue rangé et son rêve de devenir chanteur professionnel.
En 1957, alors qu'il enseigne au primaire et suit en parallèle des cours de chant avec Albert Cornellier, ex-chanteur à l'Opéra-Comique à Paris, Tessier remporte le concours La Couronne d'or, organisé par la télévision de Radio-Canada, en interprétant un air de Bizet. La machine, ensuite, s'emballe. Il continue d'enseigner, mais enregistre aussi des disques, chante au «canal 7» et au «canal 10», anime une émission sur la musique à Radio-Canada et, en 1964, joue même le rôle de Morales, de l'opéra Carmen de Bizet, à la Place des Arts, sous la direction de Zubin Mehta.
Marié et père de famille, Tessier est tenté par la vie d'artiste, mais il constate que l'incertitude qui l'accompagne n'est pas vraiment compatible avec son état. Son couple, d'ailleurs, ne va pas très bien. En 1967-68, il décide néanmoins de risquer le tout pour le tout. Avec un soi-disant agent qui lui fait miroiter une possible carrière américaine, il se rend par deux fois à San Francisco dans l'espoir de décrocher de gros contrats. Ce sera un échec total. Tessier, par la suite, chantera encore, mais en dilettante.
La non-aventure américaine l'a brisé. Il noie sa peine dans le cognac, retourne tristement à l'enseignement et finit pas se taper une dépression d'alcoolique. En 1975, aidé par de nombreux amis, dont Pierre Péladeau, il décide d'arrêter de boire. La suite ne sera pas qu'heureuse, mais le fond du baril est derrière lui.
En 1968, à la faveur d'un modeste job d'enseignant à Sainte-Agathe, Tessier avait renoué avec sa passion de l'histoire du Québec. Cette redécouverte marquera son parcours subséquent, à la fois comme pédagogue, militant et communicateur. Il sera, notamment, orateur invité par le Parti québécois à plusieurs reprises et sera même candidat pressenti pour ce parti en vue des élections de 1989. Cet épisode le laissera meurtri puisqu'une série de tractations politiciennes l'empêcheront de réaliser cet objectif. Son militantisme, croit-il aussi, sera à l'origine du non-renouvellement de son contrat à TVA en 1999.
Dans un registre encore plus intime, Tessier parle beaucoup de sa mère et se sert de cette figure maternelle pour traiter d'un certain passé québécois. Sa mère, donc, écrit-il dans un portrait peu flatteur, «était une personne ambitieuse, orgueilleuse, ultra-catholique», une colonisée qui rêvait de vivre à Westmount et d'imiter les Anglais, une femme qui «faisait preuve d'une soumission totale» devant les prêtres, une manipulatrice qui s'adonnait au chantage émotif pour mieux dominer son entourage (comme plusieurs femmes d'aujourd'hui, ajoute le chroniqueur). Faisant un doc Mailloux de lui-même, Tessier parle du «régime matriarcal qui dominait dans la société canadienne-française des années cinquante». En toute incohérence, il qualifiera sa mère de «femme avant-gardiste» au moment de sa mort.
Sur la religion de son enfance, Tessier a aussi des mots très durs. Il parle d'une religion étouffante qui instillait la peur dans la tête de ses ouailles. À 12 ans, le jeune homme est victime d'un religieux pédophile. Sa mère l'accuse de fabuler et son père se tait. «Malgré le rigorisme qui a marqué notre histoire et notre peuple, précise toutefois Tessier pour nuancer, il existait parmi les prêtres des hommes individuellement extraordinaires.» Il rend hommage à plusieurs d'entre eux.
Excellent raconteur et, dit-on, pédagogue chéri par ses élèves, Tessier ne brille toutefois pas par sa lucidité sociologique. Au début et à la fin de son ouvrage, il souligne que l'existence des écoles privées constitue une injustice parce que ces dernières sont tellement supérieures au «système pourri des polyvalentes» et que tous n'y ont pas accès. Contre l'évidence, donc, Tessier affirme que ce sont les bonnes écoles privées qui font les bons élèves et non les bons élèves qui font les bonnes écoles privées. En guise de solution, il suggère d'étendre l'esprit du privé aux écoles publiques, un désolant raisonnement qui conforte une perverse idée reçue.
Bon bougre, le «p'tit gars de Saint-Henri» séduit quand il conte, mais fait grincer des dents quand il raisonne.
louiscornellier@ipcommunications.ca
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Je me souviens...
Chroniques biographiques
Marcel Tessier
Éditions de l'Homme
Montréal, 2006, 304 pages
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