Les Italiens sont appelés aux urnes dimanche, le 4 mars, pour choisir un nouveau gouvernement. Notre collaborateur fait le point dans une série de trois textes dont voici le deuxième.
« C’est quoi, le populisme ? Si c’est être populaire, alors oui, nous sommes un parti populiste et nous en sommes fiers ! » Dans un excellent français, Fabio Massimo Castaldo ne désarme pas. Lorsqu’il prend la parole, ce grand gaillard aux larges épaules, à la barbe foisonnante et au verbe haut, occupe tout l’espace. Difficile de le prendre en défaut au détour d’une question. Comme si cet élu du Mouvement 5 étoiles (M5S), le parti fondé par l’humoriste Beppe Grillo, avait derrière lui une longue expérience. À 32 ans, Castaldo est pourtant devenu l’an dernier le plus jeune vice-président de l’histoire du Parlement européen. À la surprise générale, il a battu une vieille routière de la politique, la libérale allemande Gesine Messner, de 30 ans son aînée. À Bruxelles, on dit de Castaldo qu’il est capable de travailler avec tous les partis et que son parti est en quelque sorte « normalisé ».
Cette « normalisation » serait-elle sur le point de gagner l’Italie ? Longtemps considéré comme un simple sursaut de révolte contre les élites, la corruption et ce qu’on nomme le « système », l’étrange et souvent obscur parti fondé en 2009 par l’humoriste Beppe Grillo et son petit génie de l’informatique Gianroberto Casaleggio est aujourd’hui devenu incontournable. Si, comme le prédisent les sondages, il décrochait près de 30 % des voix, le M5S pourrait dimanche décrocher le titre de premier parti d’Italie. Avec presque le même âge, Castaldo fait aujourd’hui partie de cette jeune garde que symbolise mieux que tout le nouveau chef du parti, Luigi Di Maio.
Changement de garde
Avec ses allures de démocrate-chrétien, ce Napolitain de 31 ans se promène en complet cravate sur tous les plateaux de télévision. On l’a même vu à Cernobbio, le Davos italien où se réunissent chaque année les élites économiques. Il est allé à Washington rassurer la Maison-Blanche sur le programme de son parti qui prône un rapprochement avec Moscou. Dans sa bouche, le référendum sur l’euro que brandissait autrefois Beppe Grillo semble devenu une simple solution de « dernier recours ».
Depuis une semaine, ce communicateur, qui ne maîtrise cependant pas toujours ses subjonctifs, égraine la composition de son éventuel conseil des ministres. Une étrangeté dans un pays où les noms des ministres et même du premier ministre changent au gré des coalitions et des négociations d’appareil. Mais une stratégie qui permet de passer chaque jour au journal télévisé. Bref, Di Maio n’est-il pas l’incarnation parfaite de ces professionnels de la politique que Beppe Grillo dénonce depuis vingt ans ?
« On assiste à un changement de garde même si Beppe Grillo reste en arrière-plan, dit Jérémy Dousson, auteur d’Un populisme à l’italienne(Les Petits Matins). Di Maio a été propulsé capo politico [chef politique] et représente l’aile pragmatique du mouvement, celle qui veut influencer le pouvoir et qui pourrait même faire des alliances. On verra. »
Un électorat du centre
Chose certaine, on est loin des gigantesques assemblées « Vaffanculo » (Va te faire foutre) de 2008, de la dénonciation des « nouveaux fascistes » qui contrôlent l’information et de ces « talibans de la démocratie » que disaient représenter les premiers élus du M5S, qui refusaient à l’époque de répondre aux journalistes. Selon Dousson, les soutiens du M5S sont progressivement passés d’un électorat de gauche, au début, à un électorat centriste qui se recrute aujourd’hui dans toutes les couches de la population. Dans le Piedmont, son électorat serait plutôt de gauche. À Rome, il serait de droite et catholique.
Tout en dénonçant les tractations de coulisse qui sont le lot de la politique italienne, Di Maio dit que, s’il arrive en tête, il essaiera de former un gouvernement en ralliant des élus à la pièce. Il le fera, dit-il, autour des vingt points de son programme, qui comprend de nombreuses mesures de transparence, en faveur de l’écologie et contre l’austérité, la corruption et l’immigration illégale.
Mais l’exercice semble pratiquement impossible tant la nouvelle loi, votée il y a quelques mois à peine, a été taillée sur mesure pour forcer les coalitions et éviter un gouvernement M5S. Il lui faudrait pour cela 40 % des voix. Adoptée par les démocrates de Paolo Gentiloni, la loi risque aujourd’hui de favoriser plutôt la coalition dirigée par Silvio Berlusconi.
Certains analystes évoquent néanmoins la possibilité qu’en cas de forte poussée de ces deux partis, le Mouvement 5 étoiles gouverne avec la droite dure de la Ligue du Nord, pourtant alliée à Forza Italia de Berlusconi. Mais tout cela n’est encore qu’un scénario de science-fiction. « Ce serait le scénario noir pour l’Europe », dit le politologue Marc Lazar, qui n’ose y croire. Avec son collègue Ilvo Diamanti, il vient d’ailleurs de publier un livre évoquant la naissance d’un nouveau type de régime démocratique marqué par l’irruption de nouveaux joueurs dans le paysage politique et qu’il nomme la « peuplocratie ».
Machine ou parti ?
« J’ai cru au début que le M5S allait renouveler la vie politique. Mais j’ai vite changé d’avis », dit Jacopo Iacobini, journaliste du quotidien de Turin La Stampa. Pour l’auteur du livre L’Esperimento, le M5S est avant tout une impressionnante machine politique avant d’être destinée à défendre des idées. « C’est d’abord une forme, pas un contenu, dit-il. Le génie de Gianroberto Casaleggio, l’éminence grise du mouvement, aujourd’hui décédé, ce fut d’être le premier à comprendre la force des réseaux sociaux. Il en a fait une immense machine de propagande. Habituellement, ce sont les partis qui se donnent des instruments de propagande. Cette fois, c’est une machine de propagande sur Internet qui s’est donné un parti. C’est d’ailleurs cette machine plutôt opaque qui prend toutes les décisions importantes. »
Selon Iacobini, d’importantes divergences séparent le « jeune arriviste » Di Maio du « gourou narcissique » Beppe Grillo. « Si le premier obtient un succès dimanche, même s’il n’arrive pas à gouverner, il pourra garder le parti. Sinon, Beppe Grillo pourrait bien reprendre ses billes. »
Ces jours-ci, l’ovni politique que représente le Mouvement 5 étoiles ferait des miracles dans le sud de l’Italie. Une région abandonnée tant par la droite de Silvio Berlusconi que par la gauche de Matteo Renzi et où l’on ne croit plus aux promesses de reprise économique. Étrangement, les scandales politiques, comme les difficultés de la mairesse de Rome, semblent glisser sur le dos du M5S comme de l’eau sur le dos d’un canard. « En fait, dit Dousson, on a parfois l’impression que plus les médias le prennent en grippe, plus cela lui réussit. »
Le M5S deviendra-t-il un parti de coalition ou demeurera-t-il l’épouvantail du système comme le fut longtemps le parti communiste italien, auquel Berlusconi l’a d’ailleurs comparé ? C’est un des enjeux de cette élection, croit Jérémy Dousson.
Selon plusieurs intellectuels, l’Italie est depuis un siècle un véritable laboratoire politique.