« L'état actuel des médias au Québec, notamment de la presse écrite francophone, est désastreux. Près de 97 % du tirage total est détenu par des propriétaires qui défendent, dans leurs journaux, l'idéologie néolibérale et marginalisent les points de vue contraires. L'information ne circule donc pas librement, ce qui empêche la population de faire des choix éclairés sur des enjeux cruciaux. »
Journaliste et auteur d'une dizaine d'ouvrages, Jacques Keable pose un regard critique sur la presse au Québec, qu'il juge asservie aux intérêts financiers et à l'idéologie économique de ses puissants propriétaires. Son plus récent livre, Québec-Presse : un journal libre et engagé, rappelle que les choses n'ont pas toujours été ainsi.
« L'aventure extraordinaire de Québec-Presse a duré 5 années inoubliables, soit de 1969 à 1974. Le journal faisait cause commune avec les classes populaires et les syndicats pour combattre les dérives du capitalisme et lutter pour l'indépendance du Québec », se souvient-il.
Une réelle liberté journalistique
Il explique qu'à l'époque, la CSN, la FTQ et la CEQ (l'ancêtre de la CSQ) finançaient ce journal sans exercer aucun contrôle sur son contenu, les intérêts supérieurs des travailleuses et travailleurs l'emportant sur leurs intérêts organisationnels. Les journalistes étaient totalement indépendants à l'intérieur des balises posées dans la déclaration de principes du journal. Ils pouvaient donc tout critiquer, y compris les centrales syndicales.
Une telle liberté journalistique est loin de celle accordée, aujourd'hui, aux éditorialistes et commentateurs, dont les propos ne doivent pas être hostiles à La Presse ni contraire à l'orientation idéologique de ses propriétaires. C'est d'ailleurs écrit noir sur blanc dans la convention collective des journalistes de La Presse. Le même type de contrôle est exercé sur les journalistes de Québecor.
« Sans l'appui essentiel des grandes centrales, Québec-Presse n'aurait jamais pu survivre aussi longtemps, ses revenus publicitaires étant insuffisants. Nous ne pouvions pas nous attendre à ce que le monde économique que nous combattions investisse dans notre entreprise. Malheureusement, la belle solidarité syndicale qui a culminé avec le Front commun de 1972 a fini par s'effriter, et l'intérêt de soutenir le journal s'est dissipé », raconte-t-il.
Les journalistes actuels sous la coupe d'empires
« Le contrôle de la presse est plus que jamais partagé entre Gesca – Power Corporation et Québecor qui, bien que concurrents sur le plan commercial, sont des jumeaux quant aux idées. Pour ce qui est du nouveau venu, Groupe Capitales Médias de Martin Cauchon, il défendra exactement ces mêmes valeurs de droite. Les journalistes sont donc sous la coupe d'empires qui utilisent leurs publications et autres plateformes pour diffuser leur propagande néolibérale et les supposés bienfaits de la mondialisation et du statu quo social », déplore-t-il.
Une bataille des idées qui n'est pas terminée
« Il ne faut donc pas se surprendre si les syndicats et les groupes sociaux, qui revendiquent plus d'égalité et un meilleur partage de la richesse, ont tant de difficulté à avoir "bonne presse". Leurs revendications vont à l'encontre des intérêts idéologiques des empires de presse. À l'inverse les idées de droite règnent en maître et sont présentées comme la "vérité", ce qui contribue à la montée du courant de droite au sein de la population », constate l'ancien journaliste.
Dans ce contexte, la gauche a-t-elle définitivement perdu la bataille de l'information et de l'opinion publique ? « Il y a des initiatives intéressantes sur le Web actuellement, tels le site Presse-toi à gauche ! et le journal Ricochet. C'est exactement dans l'esprit de ce que nous faisions, et rien ne dit que l'environnement social ne se prêtera pas à nouveau à la naissance d'un véritable journal de gauche en version papier. L'avenir nous le dira », conclut-il.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé