FÉDÉRALES 2021

Les grandes ambitions du « Bloc québécois de l’Ouest »

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Les alliés objectifs du Québec contre la centralisation d'Ottawa


Le Maverick Party en a soupé des yeux doux que fait le chef conservateur Erin O’Toole au Québec et à l’Ontario. Dans quatre provinces de l’Ouest, il tente de faire élire près de 30 candidats, la majorité en Alberta. Un pari qui est loin d’être gagné.


(Calgary) Le Wexit Party est mort, vive le Maverick Party !


La formation, qui se décrit comme le « Bloc québécois de l’Ouest », ne devrait pas trop nuire au Parti conservateur au scrutin du 20 septembre prochain. Son apparition est toutefois un symptôme d’une fracture à droite, assez prononcée pour que Jay Hill, vieux routier de la politique, effectue un retour afin d’en prendre les commandes – en attendant un remplaçant, un changement, ou l’indépendance.


« Pardon, vous avez dit quel parti au juste ? », demande Shelley Sweet en ouvrant la porte de sa résidence d’Airdrie, en banlieue de Calgary, à Tariq Elnaga.





 




« Le Maverick Party », répond en riant le candidat de 38 ans au chapeau de cowboy.


Né aux Émirats arabes unis, arrivé au Canada en 2012 dans l’espoir d’acheter un ranch, rêve devenu aujourd’hui réalité, Tariq Elnaga est de ceux qui tentent de se faire élire sous la bannière du parti, à l’instar de 27 autres candidats dans quatre provinces à l’ouest de l’Ontario – il y a 22 hommes et 6 femmes, et la majorité (17) se présente en Alberta.





PHOTO MÉLANIE MARQUIS, LA PRESSE


Le candidat du Maverick PartyTariq Elnaga (au centre) et deux des membres de son équipe, Ryan et Carmen, font du porte-à-porte à Airdrie, en Alberta.





« La goutte qui a fait déborder le vase, c’est la volte-face [du chef du Parti conservateur] Erin O’Toole sur la taxe carbone. C’est en grande partie pour cela que j’ai décidé de me lancer. L’Ouest n’a pas de vraie représentation à la Chambre des communes ; les députés qui sont là sont muselés », argue-t-il en marchant dans les rues d’Airdrie, sous une pluie venue chasser la fumée des incendies de forêt de Colombie-Britannique.


« Je suis sorti de ma retraite pour ça »


Un « maverick », c’est un franc-tireur, un anticonformiste.


Le Maverick en chef, c’est Jay Hill. « Je suis sorti de ma retraite pour ça », lâche celui qui a été député fédéral pendant 17 ans. Élu pour la première fois sous la bannière du Parti réformiste, en 1993, l’homme de 68 ans a accepté de reprendre du service – de façon intérimaire – après avoir été sollicité par Peter Downing, qui avait fondé le Wexit Party après le scrutin de 2019.





PHOTO MÉLANIE MARQUIS, LA PRESSE


Le chef intérimaire du Maverick Party, Jay Hill, dans un restaurant de Calgary





« Le Wexit a été le contrecoup du résultat de ces élections. Dans l’Ouest, la colère était énorme », expose Jay Hill, attablé au Buchanan’s Chop House, un restaurant du centre-ville de Calgary.




Mais le Wexit versait surtout dans le militantisme, et il ne s’était pas doté d’une structure lui permettant de se présenter comme une formation crédible.



Jay Hill, chef intérimaire du Maverick Party



Celui qui a été leader du gouvernement de Stephen Harper à la Chambre des communes de 2008 à 2010 s’est attelé à la tâche. Sous sa houlette, on a trouvé un nouveau nom pour son bébé, qui a maintenant 11 mois. C’est Maverick qui a été le chouchou – « C’est un nom qui colle. On peut aimer, on peut détester, mais on s’en souvient », dit Jay Hill.


Le Québec, une inspiration


Ensuite est venu le temps de raffiner l’offre politique. Et pour ce faire, on s’en est remis à l’expertise québécoise. « On prend le Québec en exemple. On veut apprendre de sa façon de défendre ses espoirs et ses rêves, de sa façon de réclamer des pouvoirs, par exemple sur le plan de l’immigration », dit celui qui a vu le Bloc québécois à l’œuvre pendant des années à Ottawa.


« Je suis devenu un promoteur de l’indépendance de l’Alberta après les élections de 2019. Et là, je pèse mes mots : j’utilise le terme indépendance, pas séparation. Beaucoup de gens croient qu’en faisant la promotion de l’indépendance, on fait la promotion d’une nation souveraine. Il se pourrait qu’on en arrive là, je n’en sais rien. C’est dans le futur, et je n’ai pas de boule de cristal », insiste Jay Hill.




Je sais, par contre, que dans la structure actuelle du Canada, l’Ouest se fait baiser – vous pouvez utiliser ce mot, ça ne me dérange pas d’être direct de temps en temps.



Jay Hill, chef intérimaire du Maverick Party



Dans le même souci de parler franchement, il accuse le chef du Parti conservateur de fissurer le parti que Stephen Harper était parvenu à maintenir uni. « Erin O’Toole est loin d’être le leader que Stephen Harper était. Il gère piètrement la base conservatrice. Il a déçu et désabusé la base. C’est un dirigeant typique du Canada central : il courtise le vote en Ontario et au Québec », peste-t-il.


Et à ceux qui l’accusent de rendre service à Justin Trudeau et aux libéraux en divisant le vote à droite, Jay Hill répond ceci : « Un vote pour le Parti conservateur est un vote pour le Québec. »


« Pas une menace »


Le Parti conservateur a perdu les élections de 2019, mais il a gagné gros dans l’Ouest.


Sur le sol albertain, il a remporté 33 sièges sur 34, souvent avec des marges colossales. À Calgary Midnapore, par exemple, la conservatrice Stephanie Kusie a récolté 74,3 % des voix. Elle n’a pas peur du Maverick Party. « Franchement, je ne pense pas qu’ils représentent une menace », laisse tomber, dans un bon français, la députée sortante.


Elle ne nie pas que le désir de séparation « existe », mais selon elle, il n’atteint pas « le même niveau qu’au Québec ». Le Maverick Party, qui se décrit volontiers comme le Bloc québécois de l’Ouest, ne fera donc pas de grands dommages dans ses terres : « Je pense que dans ma circonscription, le candidat va peut-être avoir 5 % des voix. Pas 20 ou 25 %, donc pas du tout assez pour gagner ou m’empêcher de gagner. »




Ça me fait un peu penser au PPC [Parti populaire du Canada] en 2019.



Stephanie Kusie, députée conservatrice sortante



Au dernier scrutin, le candidat de la formation dirigée par Maxime Bernier avait obtenu 2,3 % des suffrages dans Calgary Midnapore. Un peu plus au nord, dans la circonscription de Banff–Airdrie, qu’espère ravir Tariq Elnaga à l’élu conservateur Blake Richards, la porte-couleurs du PPC n’avait guère fait mieux, se contentant de 3,4 % des voix, contre 71 %.


Mais cette fois, la compétition sera peut-être plus rude : le député sortant, qui brigue un cinquième mandat d’affilée, se mesurera à trois adversaires de droite. Car aux candidats du Maverick Party et du PPC vient de s’ajouter un certain Derek Sloan, ce député antimasque et anticonfinement qui a été expulsé du caucus conservateur.


Les libéraux veulent éviter un blanchissage


Les libéraux, eux, ont les yeux tournés vers Calgary Skyview. On estime que le candidat George Chahal, un jeune conseiller municipal, pourrait éviter un nouveau balayage en Alberta. « Je pense que j’ai de très bonnes chances », affirme-t-il dans un parc de cette circonscription du nord-est du centre-ville, où il va à la rencontre des électeurs.





PHOTO MÉLANIE MARQUIS, LA PRESSE


Le candidat libéral George Chahal dans un parc 
de la circonscription qu’il convoite, Calgary Skyview





« Les gens de l’Alberta sont traditionnellement perçus comme des conservateurs, mais on entend des voix modérées, centristes et progressistes dans la province. On l’a vu ici en 2015 au niveau fédéral [un libéral, Darshan Kang, a gagné en 2015, mais a quitté le caucus en 2017 en raison d’une histoire de harcèlement sexuel] », plaide George Chahal, qui a reçu la visite de Justin Trudeau, jeudi soir dernier.


À la dissolution de la Chambre, l’Alberta était représentée par 33 conservateurs et une néo-démocrate. Tariq Elnaga espère se tailler une place à Ottawa : « J’ai dit à mes collègues au Maverick qu’on pourrait louer une maison ensemble. La maison Maverick », rigole-t-il avant d’aller à la rencontre d’un couple d’électeurs… qu’il convainc de planter une pancarte sur la pelouse devant leur maison.



Alberta


34 sièges sur 338 à la Chambre des communes (10 % des sièges)


Résultats de 2019


Parti conservateur : 33 sièges (69 % des voix exprimées)


Nouveau Parti démocratique : 1 siège (11,6 % des voix exprimées)


Parti libéral : aucun siège (13,8 % des voix exprimées)


Résultats de 2015


Parti conservateur : 29 sièges (59,6 % des voix exprimées)


Parti libéral : 4 sièges (24,5 % des voix exprimées)


Nouveau Parti démocratique : 1 siège (11,6 % des voix exprimées)


Source : Élections Canada



Pas de sièges en vue, mais un parti à suivre


S’il fait craquer le vernis du Parti conservateur, le Maverick Party a peu de chances de vraiment nuire à Erin O’Toole et à ses troupes le 20 septembre prochain. À long terme, l’assaut de Jay Hill pourrait néanmoins faire mal à l’unité de la droite au pays, croit l’un des architectes de la création du Parti réformiste, Tom Flanagan.


« L’idée de Jay, c’est de présenter des candidats seulement dans l’Ouest afin d’en arriver à détenir la balance du pouvoir à Ottawa pour la région, un peu comme le Bloc québécois. Ce n’est pas fou comme idée. Ça pourrait fonctionner », lance Tom Flanagan, professeur émérite à l’Université de Calgary.


Il se dressera toutefois un obstacle sur le chemin du Maverick Party, estime-t-il : « En ce moment, les électeurs en Alberta et dans les provinces de l’Ouest sont déçus de Justin Trudeau. Je crois qu’ils seraient prêts à donner une autre chance aux conservateurs », avance celui qui a également été conseiller du premier ministre Stephen Harper.


Le professeur Flanagan prédit que la formation ne remportera aucun siège. Car dans les régions rurales, notamment en Alberta, le Parti conservateur est trop fort.




Le Maverick Party pourrait décrocher 10 ou 15 % des voix dans quelques-unes de ces régions, et le Parti conservateur gagnerait quand même.



Tom Flanagan, professeur émérite à l’Université de Calgary



Le politologue Frédéric Boily, de l’Université de l’Alberta, à Edmonton, ne voit pas non plus un Maverick débarquer à la Chambre des communes à l’automne. « Ce serait très surprenant que ça arrive – en tout cas, si ça arrivait, ce serait un coup de tonnerre assez important », estime-t-il.


En revanche, le Parti conservateur devrait les garder à l’œil. « Aux dernières élections, les marges des victoires conservatrices étaient astronomiques. Mais si le Maverick a un bon score cette fois-ci, cela pourrait venir s’ajouter aux difficultés que rencontre déjà Erin O’Toole à réunir l’ensemble de la grande famille conservatrice », croit M. Boily.


Le « pouvoir d’attraction » des troupes de Jay Hill est « chez les conservateurs déçus, qui sont plus nombreux qu’auparavant, ça, c’est clair – on les a vus se manifester lors de la dernière année avec la fronde de députés conservateurs [de l’Assemblée législative de l’Alberta] contre leur propre chef, Jason Kenney », relève le professeur dans un entretien.


Paysage médiatique homogène


La grogne se lit et s’entend aussi dans quantité de médias très à droite qui se sont taillé une place dans l’écosystème médiatique déjà à droite de l’Alberta. Ainsi, les journaux du conglomérat Postmedia ont dorénavant davantage de concurrence, avec l’apparition de médias comme le Western Standard, dirigé par un ex-élu libertarien de l’Assemblée législative.


« Il n’y a pas beaucoup de médias de droite qui couvrent la politique de façon crédible. Il y avait un vide à remplir », dit en prêchant pour sa paroisse Derek Fildebrandt, ex-député du Wildrose Party, qui a appuyé Maxime Bernier lors de la course à la direction du Parti conservateur. À son avis, c’est « le manque de diversité médiatique en Alberta » qui est à l’origine de l’arrivée de nouveaux acteurs comme lui.




Les quatre grands journaux appartiennent à Postmedia. Tu ouvres le Calgary Sun, l’Edmonton Sun, le Calgary Herald ou l’Edmonton Journal et c’est la même chose, à part peut-être quelques chroniqueurs et la disposition des pages.



Derek Fildebrandt, du Western Standard



« C’est un paysage médiatique qui est très pauvre sur le plan de la diversité », lâche celui qui estime appartenir à une catégorie différente de celle regroupant des organisations comme Rebel Media, car le Western Standard, plaide-t-il, se tient loin du militantisme.


A contrario, les gens de Rebel Media, qui parlent très fort en Alberta, achètent des publicités électorales, lancent des pétitions et des campagnes de sociofinancement – une de ces campagnes visait à amasser des fonds pour payer la location d’un avion publicitaire traînant une banderole #CongédiezMorneau. Ils ont aussi joué les agitateurs pendant la pandémie de COVID-19, beaucoup en Alberta, mais aussi ailleurs au pays.


Le Parti conservateur, qui a naguère été proche de la publication, s’en est éloigné à la suite de propos controversés de certains de ses collaborateurs. Dorénavant, chez les conservateurs fédéraux, on a une préférence pour True North – dirigé par une ancienne attachée de presse de Jason Kenney – et The Post Millennial – dont un fondateur est un proche du chef Erin O’Toole.


Dans son discours d’adieu, au moment de passer le flambeau à son successeur, Andrew Scheer les avait cités comme des modèles d’impartialité. « Confrontez les médias de masse. Ne prenez pas leurs textes comme des faits. S’il vous plaît, consultez des organisations indépendantes et objectives comme The Post Millennial ou True North. Il y a d’autres endroits pour s’informer. Cessons d’être la majorité silencieuse », a-t-il plaidé en août dernier, il y a près d’un an.




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