Une perspective québécoise

Les enjeux de Genève 2

Chronique de Gilles Verrier

La conférence de Genève 2 s’ouvre aujourd’hui à Montreux, en Suisse, pour se déplacer vendredi à Genève. Une quarantaine de pays participent. La présence de pays éloignés et peu touchés par la question (Mexique, Australie…) contraste avec l’absence fortement ressentie de la puissance régionale iranienne, principal soutien du gouvernement syrien. Les rebelles ont d’ailleurs fait de l’absence de l’Iran une condition de leur propre participation. De l’avis de plusieurs observateurs et de la diplomatie iranienne également, la mise à l’écart de l’Iran est un des éléments qui fait douter de l’adoption d’une marche à suivre permettant de revenir à la paix dans ce pays durement éprouvé depuis trois ans. Selon Basam Tahan, chef d’un mouvement de solidarité avec le peuple syrien à Paris, 20 milliards de fonds étrangers ont été investis pour renverser le régime syrien alors que les destructions à ce jour s’élèvent à plus de 200 milliards de dollars.
Les chances de succès de la conférence apparaissent aussi très minces lorsque l’on compare les objectifs qui séparent les principaux protagonistes. Pour les États-Unis, les monarchies du Golfe et les rebelles qu’ils appuient, l’objectif prioritaire consiste à obtenir le départ de Bachar Al Assad et de son gouvernement, condition préalable à toute résolution du conflit. Compte tenu de la solidité de l’État syrien après trois ans d’assauts, cette possibilité est pratiquement nulle.
Pour la délégation syrienne, l’objectif est de mettre fin à l’ingérence étrangère multiforme comme condition préalable à la mise en place d’un dialogue national pouvant aboutir à de nouvelles élections, une nouvelle constitution, etc. Le gouvernement syrien reste inflexible sur le principe d’une solution syrienne à un problème syrien. Donc, départ des mercenaires étrangers inscrits sur la liste de paie des monarchies du Golfe.
Ce résumé est comme de raison assez schématique, mais il pose les enjeux en matière de politique étrangère qui intéressent le Québec à court terme et à long terme.
Sur le long terme d’abord et dans la perspective de la formation éventuelle d’un pays, les intérêts du Québec sont clairs. Ils vont dans le sens de soutenir le respect des souverainetés nationales et des droits nationaux qui en découlent. En Syrie, nous sommes dans un cas où un petit pays défend résolument sa souveraineté et le droit d’en user. Dès son discours d’ouverture à Montreux, le ministre des affaires étrangères syrien, Walid Muallem, s’est adressé à John Kerry en lui rappelant que personne ne pouvait dicter à la Syrie le choix de ses dirigeants politiques.L’approche de la Syrie est ici conforme aux traditions en politique étrangère. Une approche prudente destinée à contenir les conflits nationaux et d’éviter qu’ils fassent tache d'huile ou qu'ils se transforment en occasions pour d’autres puissances de pêcher en eaux troubles dans leur propre intérêt. Ce principe de la préséance de la souveraineté sur l’ingérence est soutenu par la Chine et par la Russie et plusieurs autres pays, qui y voient pour eux-mêmes un intérêt évident.
Dans le cas de la Russie, c’est la base de sa position sur la question syrienne, une position qu’elle reprend d’ailleurs en toute cohérence en ce qui concerne l’Ukraine. Le ministre des affaires étrangères de la Russie, Victor Lavrov, a vivement reproché aux dirigeants européens de venir manifester dans les rues de Kiev en vue du changer les politiques d’un État avec lequel ils entretiennent des relations diplomatiques. En plus d'être un comportement irresponsable, c’est en fait un camouflet aux autorités légitimes d’Ukraine. Cette ingérence sans gène, impertinente, méprisante est motivée par une vision belliqueuse des relations internationales où la force l’emporte sur la diplomatie et la bienséance. Ceci ne peut qu’accentuer le désordre, voire la violence, en l’exacerbant. Rappelons que cette ingérence impérialiste ne manque jamais de s’appuyer sur le fumeux concept «droit de l’hommiste», un dispositif de propagande taillé sur mesure et employé sélectivement, au moins depuis la Yougoslavie, pour justifier l’ingérence dans les affaires intérieures de pays souverains préalablement ciblés.
À moins de risquer le sacrifice de leur future liberté, les forces intéressées par la fondation d’un nouveau pays sur le territoire du Québec, sans se priver d’alliances conjoncturelles, seraient imprudentes de miser sur l’hypothétique protection d’un «grand frère», quel qu’il soit, sachant que toute nation n’agit en définitive que pour le compte de ses propres intérêts. La seule voie possible pour le Québec dans le monde est de contribuer de toutes les manières à renforcer sur le plan international le principe éprouvé par le temps de respect des souverainetés nationales. Une adhésion solide et largement partagée de tous les pays à ce principe est la meilleure garantie pour le maintien de la paix et de la stabilité dans les conditions de fragilité politique que le Québec pourrait traverser au moment de l’établissement de son indépendance.
Sur le court terme maintenant, l’enjeu concerne la question de la lutte contre le terrorisme. Il apparaît clair à la lecture des positions prises par la Russie depuis un certain temps que ce pays (et d’autres, mais la Russie prend ici le leadership) n’est pas satisfaite des résultats obtenus dans la lutte contre le terrorisme, une lutte fortement revendiquée par les États-Unis, pays qui s’est imposé comme le chef de file en la matière. J’ai rapporté dans d’autres articles le fait que les principaux pays ciblés initialement comme les fauteurs du terrorisme n’étaient déjà pas les bons, je n’inventais rien au sujet de cette évidence aujourd’hui largement admise. L’Irak, pour ne nommer que ce pays qui continue à en souffrir, n’avait aucune implication dans le terrorisme international ni dans le 11 septembre. Ainsi, en dépit d’une lutte très médiatisée de plus d’une décennie contre le terrorisme, nous nous retrouvons devant un phénomène qui ne fait que s’étendre et cause toujours plus de victimes. Et pour cause, les coupables courent toujours... Le rapport officiel sur les événements du 11 septembre 2001 garde toujours sous le sceau du secret vingt-huit pages qui révèlent en détail l’implication directe de l’Arabie saoudite dans cet acte gravissime.
Des sources croisés nous renvoient systématiquement, dans l’ordre de leur implication, à l’Arabie saoudite, au Qatar, aux Émirats arabes unis et au Koweit, comme source du financement privée et étatique des activités terroristes à l’encontre de la Syrie, de l’Irak, du Liban, de la Russie, pour ne nommer que ces quelques pays. Ils en sont aussi la source idéologique, que l’on peut aussi appeler source politico-religieuse. La vision intégriste du Coran promue par les chefs moyennageux de ces pays est dénoncée par les musulmans les plus évolués et pacifiques. Or, l’impunité scandaleuse qu’a pu bénéficier ces pays dans la lutte contre le terrorisme ne s’explique que par le constat que la lutte contre le terrorisme n’a été jusqu’ici qu’une farce. C’est cette situation que la Russie et de nombreux autres pays ont intérêt à changer et veulent changer. Pour la Russie, Genève 2 vaut l’effort de relancer la lutte contre le terrorisme sur des bases plus solides. Le Québec y trouverait son compte.
Il est en effet essentiel de faire ressortir qu’au nombre des avantages que pourra retirer le Québec de l’adoption de la loi 60 c’est la difficulté accrue qu’auront des organisations politico-religieuses de prendre pied au sein de l’appareil d’État québécois aux fins d’y pratiquer un prosélytisme plus idéologique que religieux. Le Québec a raison de se protéger contre ce que des documents officiels qualifient de «menace réelle». Le Canada de Stephen Harper n’a pas jugé bon de réagir à la mise en garde de Richard B. Fadden de l’Agence canadienne du renseignement contre l’intégrisme idéologique religieux qui, dans certains cas, selon Fadden, est le même qui organise le terrorisme global. Le Québec a donc raison de suivre sa propre voie et, la loi 60 étant adoptée, il lui sera plus facile, au besoin et progressivement, d’imposer des règles additionnelles de lutte contre le terrorisme ou ce qui en facilite l’organisation. Combien de Québécois sont engagés dans des activités terroristes en Syrie ou ailleurs, nul ne le sait. Comme au moins deux morts de jeunes Canadiens viennent juste d’êtres rapportés, on se doute bien qu’il y en a un certain nombre. Qui les entraîne, qui les prépare, qui les soutient et qui les envoie ? Qui les récupérera à leur retour et que feront-ils du bagage militaire et idéologique appris à l’étranger ? La menace est réelle et doit être prise au sérieux.
Dans ce contexte, il importe aux Québécois de se rapprocher de tous les musulmans respectueux de la loi et qui ne demandent qu’à vivre en paix. L’approche communautariste qui rejetterait les musulmans dans les bras des radicaux est la pire stratégie. Certains sites internet semblent se faire une spécialité de créer une méfiance voire une animosité générale envers les musulmans. Il nous faut plutôt renforcer le dialogue et créer une atmosphère ouverte à l’issue de laquelle il sera plus facile pour les musulmans de manifester publiquement leur opposition à l’intégrisme. La loi 60 est dans ce sens un pas dans la bonne direction car elle encourage tous les musulmans qui, comme Mme Fatima Houda-Pépin, ont en horreur l’intégrisme militant qui cherche partout des failles pour s’imposer.
L'approche que je soutiens ici est donc une approche nuancée qui renvoie dos-à-dos l'angélisme multiculturaliste d'un Gérard Bouchard, pour qui l'immigration et l'immigration musulmane en particulier ne comporte aucune menace, et celle de certains sites internet pour qui tout ce qui est musulman représente une menace et ne peut que susciter notre méfiance. Entre les deux, une approche responsable devrait s'affirmer pour mettre au premier plan les intérêts du Québec.

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Gilles Verrier140 articles

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Entrepreneur à la retraite, intellectuel à force de curiosité et autodidacte. Je tiens de mon père un intérêt précoce pour les affaires publiques. Partenaire de Vigile avec Bernard Frappier pour initier à contre-courant la relance d'un souverainisme ambitieux, peu après le référendum de 1995. On peut communiquer avec moi et commenter mon blogue : http://gilles-verrier.blogspot.ca





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8 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2014

    @ M. Verrier,
    Il faut aussi penser à l'ouverture d'esprit de Vigile par rapport à certains textes que je soumets.
    Je dois les remercier pour cette ouverture qu'ils ont par rapport à toutes les opinions qui s'expriment sur le site.
    Ça, c'est de la vraie démocratie ici sur Vigile.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2014

    @ M. Verrier,
    Merci pour vos encouragements. Je peux dire la même chose de vous. Vos écrits me rejoignent également beaucoup.
    Vous avez déjà mentionné que vous lisiez les écrits de monsieur Philippe Grasset.
    Je pense qu'il a raison lorsqu'il dit que les situations en Syrie et en Ukraine relèvent du désordre causé par le Système qui se trouve présentement en phase surpuissance-autodestruction.
    Son dernier article sur ces deux pays est très intéressant:
    http://www.dedefensa.org/article-l_ukraine-syrie_notre_dernier_frankenstein_en_date_23_01_2014.html

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2014

    @ Didier
    Merci de votre commentaire et de vos messages sur ce site qui me rejoignent par leur esprit de partage entre tous que vous portez haut. Les valeurs évangéliques (laïcisées ou non) seront toujours d'actualité.
    Vous écrivez :
    «Je pense qu’en Ukraine, c’est l’idée d’aller vers le moins pire. Pour eux, c’est pire d’être dans la sphère d’influence de la Russie que dans la sphère d’influence de l’Union Européenne.»
    La révolution orange a été désavouée par les urnes. Le gouvernement en place est un gouvernement élu. S'il faut d'autres élections précipitées pour trancher de nouveau, qu'il en soit ainsi. Le peuple en décidera et c'est à lui de décider sans interférence étrangère. Je défends pour l'Ukraine ce je défends pour le Québec.
    Pour l'heure, dans cette opposition violente qui rejette le dialogue, (et dont on connaîtra mieux les dessous du financement dans un an ou deux), je vois une opposition similaire à celle qui a détruit la Syrie avec l'appui d'un soutien occidental déboussolé. La violence et le refus de dialogue des contestataires expliquent sans doute leur crainte des urnes. Tout le monde n'est pas dupe (même en Ukraine) que l'Europe de Bruxelles (de l'OTAN ?) est en elle-même une faillite sociale, économique et politique. La reddition des comptes n'est qu'une question de temps. Le pays en pointe, est présentement la Russie. Ceci tient à des raisons d'équilibre social, politique, économique et spirituel.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2014

    @ Gaston Carmichael
    Merci pour votre commentaire. Vous écrivez : «Ah bon ! C’est de notre faute si les musulmans ne manifestent pas publiquement leur opposition à l’intégrisme. Cela serait à nous de faire le premier pas.»
    Ce n'est pas affaire de «faute», c'est affaire de politique. Une nation qui se destine à dominer la sphère politique sur son territoire n'agit pas comme un groupe ethnique, elle agit comme une nation avec les responsabilités qui viennent avec. Une des responsabilités de la nation moderne consiste à réunir autour d'elle toutes les forces qu'elle peut rassembler.
    Madame Houda-Pépin est musulmane et elle s'exprime clairement, il y en a d'autres.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2014

    @ anonyme
    Je constate votre sensibilité sur la question ukrainienne et je la respecte. Mon propos n'a pas la prétention de vider tous les contentieux actuels et historiques.
    L'Ukraine est un pays indépendant. Son commerce se fait majoritairement avec la Russie avec laquelle elle a des liens naturels de proximité. L'Ukraine est sur le bord d'un défaut de paiement tellement elle est en mauvaise posture économique. Alors que la Russie lui avance 15 milliards pour lui permettre de reprendre son souffle, de nombreux responsables politiques européens et américains viennent parader à Kiev, les mains vides dans leur cas, pour prise de photos avec les manifestants, dont beaucoup de casseurs. avec lesquels ils se sont fait photographier. Qui viole la souveraineté et l'intégrité de l'Ukraine ici ?
    Quand «Occupy Wall Street» battait son plein, est-ce que les USA auraient toléré que des politiques russes viennent parader en appui à Anonymous ?
    GV

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2014

    "Il nous faut plutôt renforcer le dialogue et créer une atmosphère ouverte à l’issue de laquelle il sera plus facile pour les musulmans de manifester publiquement leur opposition à l’intégrisme."
    Ah bon! C'est de notre faute si les musulmans ne manifestent pas publiquement leur opposition à l’intégrisme. Cela serait à nous de faire le premier pas.
    Et s'ils ne répondent pas, on fera le deuxième, puis le troisième,...
    Apparemment, nous sommes intolérants, xénophobes, et même extrémistes, en interdisant le port de signes religieux sur les heures de travail, en tant que représentant de l'état.
    Je me sens tellement coupable, que je vais maintenant voter pour le parti du bon docteur. Lui, va nous faire faire le premier pas, et tous les suivants, dans la joie et l'allégresse.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2014

    Je pense qu'en Ukraine, c'est l'idée d'aller vers le moins pire. Pour eux, c'est pire d'être dans la sphère d'influence de la Russie que dans la sphère d'influence de l'Union Européenne.
    Ils sont bien conscients que l'Union Européenne, ce n'est pas le Klondike lorsqu'on regarde ce qui se passe en Grèce et en Espagne où le chômage des jeunes est à 30%. Mais ils préfèrent cela à l'influence russe.
    Le Système contrôlant tous les pays de la planète, les citoyens en sont réduits à toujours choisir le moins pire à défaut de choisir mieux. C'est pareil lorsqu'il s'agit d'aller voter aux élections. C'est attristant de constater cela.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2014

    'Dans le cas de la Russie, c’est la base de sa position sur la question syrienne, une position qu’elle reprend d’ailleurs en toute cohérence en ce qui concerne l’Ukraine'
    On croit rêver.
    Ukraine, un pays ou 70 % de la population parle et veut travailler en ukrainien, ou la télévision, la presse sont uniquement en langue russe, ou la Russie a gardé la main mise sur la partie sud du territoire (accès au mers chaudes, une vieille obsession qui remonte aux tsars) a Sevastopol, une occupation militaire enfait, style Guantanamo, qui a servi et sert encore de dépotoir atomique pour la Russie, et enfin ou Poutine a déclaré que la question ukrainienne (quelle question d'ailleurs ?) était une question de politique intérieure.
    L'Ukraine est un état indépendant que je sache.
    Ajoutons dans la partie est du pays une minorité russe (30 % de la population) qui refuse l'indépendance du pays, refuse de parler ukrainien, et détient encore la majorité des pouvoirs économiques, financiers, etc.
    Les Ukrainiens, des nationalistes monsieur Verrier ont la mémoire longue et n'ont pas oublié les famines organisées par oncle Jo (Staline), un prédécesseur de l'occupant actuel du Kremlin (5 millions de morts), les purges après la fin de la seconde guerre mondiale, l'interdiction de parler ukrainien, l'enseignement obligatoire du russe, l'emprisonnement ou la déportation des dirigeants nationalistes, pendant 30 années, etc.
    Ca ne vous évoque pas quelque chose Monsieur Verrier ?
    Le nationalisme des uns ne vaut pas celui des autres ?
    Ottawa a côté et l'histoire du nationalisme québécois c'est un conte de fée.
    S'inspirer du modèle ukrainien, vraiment ?
    Pour la conférence sur la Syrie ce sera un échec de toute facon, le peuple syrien va continuer a être martyrisé pour des intérêts qui le dépassent, quelques soit le côté ou l'on veuille bien classer les bons et les méchants.
    Les intérêts sont l'exploration pétrolière pour Moscou (qui vient de signer un accord avec la Syrie) en pleine guerre, et les oléoducs pour Barhein et l'Iran.
    Washington est là parce qu'il considère le Moyen-Orient comme sa chasse gardée et aussi mais pas seulement parce que le désordre arrange Israël.
    Planter vos petits drapeaux sur une carte ne sert a rien.