Avec son lot de déceptions, ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Michaud nous donne l’occasion de réfléchir sur les pouvoirs de l’Assemblée nationale, sur ses prérogatives, mais aussi sur ses obligations. Comme le Parti québécois était au pouvoir en l'an 2000 et qu'il est le grand responsable de cette condamnation, comme le condamné est non seulement un citoyen éminent, mais un indépendantiste militant et un péquiste, le PQ a tendance à vouloir régler ça tout seul, et à tout régler. Ce n’est pas le cas, tant s’en faut. L’Assemblée nationale a erré, libéraux et péquistes confondus. C’est à elle de régler ça. Nous y reviendrons.
De plus, l’affaire divise la famille indépendantiste. L"association de comté de Hull monte aux barricades pour obtenir réparation pour M. Michaud, pour se doter de règles pour éviter la répétition de ces événements, le tout assaisonné d’une généreuse dose de débat sur le nationalisme ethnique. Si nous sommes en présence d’un tel gâchis aujourd’hui, c’est surtout parce qu’on a agi en vitesse, sans réfléchir avant d’agir. Décidément, les mois de décembre des années finissant en zéro sont funestes pour M. Michaud.
Il doit y avoir moyen d’examiner les tenants et aboutissants de cette situation la tête froide sans tout confondre. Commençons par le commencement, en décembre 2000. L’Assemblée nationale s’est alors transformée instantanément en tribunal. Rappelons que si elle a toutes sortes de droits et privilèges, comme les députés qui la composent, elle a aussi des obligations. Son premier rôle est de faire des lois, c’est une assemblée législative. Elle n’a pas pour but de rendre justice, c’est le rôle des tribunaux. On va m’objecter que rien ne l’empêche de blâmer quelqu’un pour des propos qui offenseraient sa dignité, ou plus largement, qui bon lui semble. Si elle avait vraiment ce pouvoir, il y a belle lurette qu’il serait encadré par des lois. Or tel n’est pas le cas. On peut donc conclure que blâmer des gens ne relève pas de ses droits, qu’en agissant comme elle l'a fait, elle était hors-la-loi.
Mettre en accusation un citoyen sur la foi des ragots colportés par les bureaux du premier ministre et du chef de l’opposition constituait un grave abus de pouvoir de la part de l’Assemblée. Et ce, indépendamment de ce qu’on peut penser de M. Yves Michaud ou même des propos qu’on lui prêtait. Si les propos étaient offensants ou incitaient des citoyens à la violence, à la sédition ou je ne sais trop quoi du genre, les tribunaux, pas l’assemblée nationale devaient s’en occuper. S’ils étaient choquants, il était protégé par son droit à exprimer son opinion comme n’importe qui. Le droit à la liberté d’expression n’existe pas pour protéger ceux qui disent et pensent comme tout le monde, mais ceux qui dérangent et ont des opinions qui peuvent choquer les autres. Pour donner un exemple extrême, Mme J. Wong peut penser que les Québécois ont des problèmes avec des étrangers en citant les tueries de Polytechnique et Concordia; elle ne fait que la preuve de son imbécillité et de celle de ses employeurs. Elle a le droit de dire des conneries et les assemblées législatives n’ont pas à se mêler de ça.
Mais guidée par Lucien Bouchard et John James, alias Jean Charest, l’Assemblée nationale a décidé d’instruire un procès contre le citoyen Michaud. Comme il n’y avait aucune règle, sauf celle de justice naturelle, qu’elle aurait dû suivre néanmoins, l’Assemblée a procédé sans entendre M. Michaud, sur la fois de ragots. Il faut bien sûr rappeler que le geste est bien moins grave en ce qui concerne Lucien Bouchard puisqu’il n’était pas lucide à ce moment-là. Nonobstant M. Bouchard, il y avait bien d’autres juristes dans cette assemblée et aucun n’a jugé bon de se demander pourquoi M. Michaud n’avait pas été convoqué, et si la preuve contre lui avait la moindre valeur. Elle a procédé, un point, une barre. En agissant ainsi, elle a fait un déni de justice à peine imaginable dans une société démocratique. Mais le mal est fait. Il faut se demander aujourd’hui comment réparer quoi, et surtout quand.
Dans cette affaire, l’Assemblée nationale fait face à deux problèmes. Le premier, c’est la réparation due à M. Michaud. Il n’est pas immortel, et l’Assemblée devrait éviter des excuses à titre posthume. En outre, ça fait dix ans que ça dure, c’est assez. Malheureusement, les libéraux refusent obstinément de collaborer à régler ce problème, et comme ils sont majoritaires, il faut oublier toute solution tant qu’ils seront là. Compte tenu du comportement de Québec Solidaire dans cette affaire, il ne faut pas trop attendre de ce côté-là non plus. Comme ce parti n’a rien à voir avec l’insulte faite à M. Michaud, il ne devrait pas se plaindre de ce délai. Le seul lésé dans cette histoire sera encore M. Michaud, mais avec un engagement formel de la part du PQ de laver son honneur dès qu’il sera au pouvoir, il n’aura pas à attendre trop longtemps. Il serait déplacé de voir l’Assemblée examiner les propos tenus par M. Michaud, puisque quoiqu’on en pense. il avait le droit de les tenir et il n’y avait rien là pour exciter l’Assemblée.
Viennent aussi les fameuses règles. On peut être contre le fait que l’Assemblée nationale se transforme en tribunal et se mette à juger tout un chacun pour le blâmer. Elle existe pour faire des lois, par pour juger des citoyens. Je suis d’avis que l’Assemblée n’a pas à faire cela, d’autant plus qu’elle peine déjà à s’acquitter de son travail de législateur. Mais comme elle a déjà jugé et qu’il semble qu’elle tienne à pouvoir le faire encore, il faudrait examiner sommairement ce que devrait comporter ces fameuses règles de fonctionnement et à quel moment elles devraient être adoptées par l’Assemblée.
Dans un premier temps, qu’est-ce qu’on devrait retrouver dans ces règles? Il faudrait d’abord décider que ce sont des propos et ou des gestes qui seront blâmés. Ainsi, l’Assemblée pourra condamner ceux qui vont vandaliser les cimetières juifs ou catholiques. Elle pourra condamner aussi des propos. Mais lesquels devrait-elle condamner ? Rappelons que condamner les uns et laisser passer les autres deviendra vite inacceptable. Par exemple, l’Assemblée n’a jamais même examiné, encore moins condamné les propos tenus par Jeff Filion, par Mordecai Richler ou par mon illustre homonyme du Saguenay. Comme elle a condamné ceux de M. Michaud, est-ce à dire qu’elle n’avait pas de problème avec ceux tenus par ces individus ? Rappelons qu’une fois bien définis les propos condamnables, l’Assemblée ne pourra plus en laisser passer un seul. Mais ce n’est pas terminé. Une fois défini les critères, comment l’Assemblée va-t-elle les appliquer ? Est-ce qu’un comité va examiner toutes les situations donnant ou pouvant donner lieu à un blâme, ou l’Assemblée au complet ? Va-t-on fonctionner par délation, dénonciation écrite sous forme de pétition, grâce aux illuminations du premier ministre ? L’accusé va-t-il pouvoir se faire représenter par un avocat ? Qui seront les accusateurs ? Pourra-t-il les contre-interroger? Comme l’illustre éloquemment l’exemple de M. Michaud, quand l’Assemblée se trompe, comment fera le condamné pour obtenir justice ? Où sera l’instance d’appel ? Faut-il ajouter que ce ne sont là que quelques exemples des heures de plaisir qui attendent les parlementaires qui vont devoir se pencher sur ces fameuses règles. Il faut maintenant se demander quand il faudrait se mettre à la tâche pour les définir.
Humblement, je l’ignore. Mais il ne faudrait surtout pas lier le sort du règlement de l’affaire Michaud à celui de l’adoption de ces règles. Plusieurs le suggèrent actuellement, et je crois que c’est une erreur. Une façon de se sortir de ce guêpier consisterait à en finir avec le cas de M. Michaud le plus rapidement possible, en même temps que l’Assemblée adopterait une loi dans laquelle elle s’engagerait à ne blâmer qui que ce soit avant que ces règles aient été adoptées. Autrement, il faudra souhaiter à M. Michaud de vivre bien au-delà de cent ans pour obtenir justice.
À dessein, je n’ai pas parlé des excuses dues à M. Michaud par tous les députés présents lors de ce sinistre vote. Il s’agit d’un geste individuel que commande l’honneur, mais qui n’engage pas l’Assemblée. Même si tous les députés présents alors s’excusaient en faisant un acte de contrition avec ferme propos et tout le tralala, l’Assemblée nationale doit encore et toujours corriger le tort qu’elle a causé à M. Michaud. Ça n’empêche personne de s’excuser, mais les excuses individuelles ne remplacent pas celles dues à M. Michaud par l’Assemblée nationale.
Louis Champagne, ing.
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5 commentaires
Archives de Vigile Répondre
10 décembre 2010Il faut rappeller, tant que l'affaire Michaud perdurera, que Jean-Marc Fournier est coupable de négationisme envers la nation québécoise (reconnue tant au fédéral qu'à l'A.N. du Québec) pour avoir nier devant l'Assemblée Nationale l'héritage ethnique de cette nation.
Ce n'est rien de moins qu'un discours haineux.
Archives de Vigile Répondre
10 décembre 2010Le Bouddha disait que l’ignorance est la source de tout mal. Cette parole de ce grand sage n’est malheureusement pas connue à l’Assemblée Nationale. Cette triste saga, truffée d’injustices pour M. Michaud, en prouve la portée. Des excuses forcées pas les circonstances n’ont aucune valeur réelle. Les vraies, les authentiques doivent être spontanées.
Merci M. Champagne pour ces énoncés clairs et tempérées. Je trouve odieux que certains personnages prennent plaisir a enfoncent le clou gratuitement. Ça suscite la colère qui elle, est généralement mauvaise conseillère. Votre texte apporte de l’oxygène dans ce débat. Merci encore,
Ivan Parent
Gilles Verrier Répondre
9 décembre 2010Bon article M. Champagne. Je partage votre point de vue sur les excuses : «Il s’agit d’un geste individuel que commande l’honneur, mais qui n’engage pas l’Assemblée.» Je rajouterais juste que dans les circonstances, il s'agirait simplement de montrer du savoir-vivre en société. La beauté d'excuses qualifiées et bien senties pourraient être émouvantes à la vielle de Noël. La gratuité du geste, car rien n'y oblige, ouvre à la possibilité qu'un message transforme l'atmosphère. Les politiciens ont besoin de poser des gestes gratuits plus que les habituels gestes «calculés» si ils veulent faire reculer le cynisme ambiant. La politique ne peut vivre que de droit et de calculs. Il lui faut aussi un peu de vertu, si l'on en croit Aristote pour qui la philia, cette «amitié» qui rapproche les hommes, est nécessaire à la vie en société.
GV
L'engagé Répondre
9 décembre 2010Un texte d'une grande clarté, qui nous refroidit pour le mieux.
Certaines décisions doivent être prises la tête claire, mais le combat demeure impératif quand même quant au fond de l'affaire sur lequel notre fourreur, je veux dire Fournier, voulait nous voir déraper.
Il ne faut pas avoir honte des propos de Monsieur Michaud et il faut au contraire en exposer la nécessité.
Merci encore pour partager ainsi votre lucidité.
Archives de Vigile Répondre
9 décembre 2010Vous écrivez : «À dessein, je n’ai pas parlé des excuses dues à M. Michaud par tous les députés présents lors de ce sinistre vote. Il s’agit d’un geste individuel que commande l’honneur, mais qui n’engage pas l’Assemblée »
Il y a au moins un député, du genre masculin, coupable du PQ dans cette affaire de décembre 2000, celui qui a l’air hautain et haïssable et qui l'est, qui siège encore à notre Assemblée nationale qui n'a pas assez d'honneur pour s'excuser. Je vous laisse deviner qui.