On a focalisé énormément sur le vote de blâme unanime de l’Assemblée nationale qui condamnait Yves Michaud pour des propos antisémites qui, finalement, se sont avérés sans fondement.
De plus, on a disséqué tous ses dires et ses écrits, sans pouvoir y déceler quelques traces d’antisémitisme que ce soit.
Mais il m’apparaît essentiel de souligner que ce drame a eu surtout pour effet de tuer dans l’œuf toute une lutte qu’un groupe de Québécois(es) menait à travers les instances du Parti québécois pour faire avancer la cause du français au Québec.
En tant qu’ancien président de la circonscription de Mercier et en tant qu’organisateur en chef de la candidature d’Yves Michaud comme candidat du parti dans Mercier, j’ai été l’un des acteurs principaux de cette tragédie.
Pour bien saisir les enjeux de cette affaire, il importe de faire un bref retour sur les évènements qui l’ont entourée.
Au lendemain de la déchirante défaite référendaire de 1995, le Parti québécois était comme aplati. On aurait dit qu’il n’avait plus de ressort.
Mais, malgré tout, pour plusieurs d’entre nous, il était impératif de tout faire pour empêcher le déclin inéluctable du français au Québec ; la langue est et restera toujours le ciment de la nation, et tous nos efforts devaient être faits pour en assurer sa pérennité.
Or, c’est justement sur le dossier de la langue que le gouvernement du Parti québécois de l’époque semblait le plus mal à l’aise. Visiblement, il avait peur de déplaire à la communauté anglophone.
À titre d’exemple, à son premier congrès comme président du parti, alors que nous luttions pour le respect de la langue d’affichage, le premier ministre était intervenu farouchement contre nos résolutions, car, avait-il dit, il voulait « être capable de se regarder dans le miroir sans avoir honte ».
Peu après, c’est le dossier des étudiants francophones et allophones qui voulaient être admis dans les cégeps anglophones qui allait mettre le feu aux poudres.
Tout au long de ces luttes, c’est Yves Michaud qui était devenu notre porte-parole. Il avait l’éclat et la verve pour mener à bien cette bataille.
Hélas, concernant le dossier des cégeps anglophones, ce sont finalement les tenants d’un certain statu quo qui ont triomphé. Il a été décidé que le gouvernement nommerait une commission d’enquête sur la langue française au Québec.
Cette solution était loin de nous satisfaire ; ça signifiait, pour nous, que le dossier était remis aux calendes grecques !
Durant l’été 2000, j’ai rencontré Yves à plusieurs reprises. Nous essayions de dénouer l’impasse et de faire avancer notre dossier. Nous avons décidé d’élargir notre cercle de réflexion. Après avoir eu plusieurs réunions avec des représentants de différents groupes sociaux québécois, il fut convenu d’envoyer une lettre à tous les quotidiens québécois pour alerter la population de l’urgente nécessité de revoir la loi 101 pour qu’elle protège vraiment la langue française au Québec.
Cette action s’est avérée un coup d’épée dans l’eau. Rien n’a bougé.
En septembre 2000, Robert Perrault, député de Mercier, démissionne comme ministre et député. Une fenêtre s’ouvre.
J’insiste pour qu’Yves présente sa candidature à l’élection partielle dans Mercier. Il hésite. Les membres de Mercier insistent, il finit par accepter. Le combat pour la langue venait de prendre une tout autre dimension.
D’entrée de jeu, Yves met la table. Lorsqu’il serait élu, il se réserverait le droit de décider s’il voterait avec le gouvernement sur les questions linguistiques.
Je vous laisse deviner le tollé que cette prise de position a provoqué au sein des instances du Parti québécois. Mais, qu’à cela ne tienne, contre vents et marées, il tenait, on tenait.
Ses assemblées étaient courues par les journalistes et les membres du parti. La victoire était à portée de main.
Dans mes fonctions, je rencontrais assez souvent ministres et députés, et je ressentais une forte résistance de leur part à la candidature d’Yves. J’aurais dû me méfier…
Le matin du vote de la fameuse résolution, j’ai été réveillé par Yves. Il me demandait de venir tout de suite chez lui, car un journaliste du journal Le Soleil venait l’interviewer. Quand je suis arrivé chez lui vers 9 h 30, mon cellulaire a sonné.
C’était le bureau du premier ministre.
Je n’avais jamais reçu une telle volée de bois mort dans ma vie. La personne au bout du fil menaçait, sacrait, criait et nous demandait, à Yves et à moi, de regarder la télévision pour comprendre ce qui se passait.
On s’est tous assis dans le salon. On a vu en direct le vote des députés sur la motion de blâme contre Yves. Chaque député se levait l’un après l’autre, pour, pour, pour… litanie sans fin. Aucun député ne s’est opposé…
Yves était terriblement blanc, effondré. J’avais des palpitations épouvantables. Je me rappelle que le journaliste était sur le pas de la porte d’entrée et qu’il nous saluait furtivement en sortant. Yves et moi, on se regardait, hébétés.
Comment en était-on arrivé là ? Accuser faussement Yves Michaud d’antisémitisme. Tout ça parce qu’il luttait farouchement pour l’avancement du français au Québec et que ça faisait trembler de peur les caciques du parti. Quel prétexte minable !
C’était révoltant, injuste et brutal.
En adoptant cette résolution, c’est tout notre mouvement qui se sentait gravement éclaboussé. Notre lutte pour la langue venait de s’écrouler, on était totalement démotivés, comme disqualifiés.
Par cette résolution, les membres de l’Assemblée nationale ont sali cette noble institution. Au nom de la nation québécoise, il revient à eux de s’excuser et de réparer le tort infligé à l’un de ses plus illustres citoyens.