Les dégâts du capitalisme

États américains - impasse budgétaire



Alors que le flot de pétrole continue à se répandre dans le golfe du Mexique, je me demande si le célèbre économiste Joseph Schumpeter aurait trouvé dans cet événement catastrophique les éléments de ce qu'il appelait la «destruction créative».
Cité depuis toujours par les militants de l'économie du marché, Schumpeter a souvent servi de porte-parole aux idéologues libéraux qui cherchent à déguiser les dégâts du capitalisme sous des vêtements élégants. L'analyse de Schumpeter est bien plus complexe que le point de vue simpliste de la droite américaine; néanmoins, son expression «Creative Destruction» vient à l'appui de ceux qui prônent une société avec un minimum de régulation sur les industries et la finance, voire un monde où l'homme d'affaires règne comme un genre d'artiste-savant. Bien sûr, ce capitalisme effréné entraînera de temps en temps la destruction de structures et d'êtres humains considérés comme vétustes. Mais de cette «mutation industrielle» révolutionnaire naîtrait quelque chose de... euh, créatif.
Pour l'instant, j'ai du mal à percevoir le bon, créatif ou non, dans cette marée noire en train d'asphyxier le golfe et la côte américaine environnante. En attendant les bonnes nouvelles des partisans de la destruction créative, je dois me contenter des mauvaises.
Pas étonnant que, durant la dernière administration Bush, les relations entre employés du gouvernement, censés être responsables de la surveillance des plateformes de forage et leurs propriétaires, aient été très étroites. Ancien directeur et investisseur dans des sociétés pétrolières, George W. Bush, comme son père, ne voulait surtout pas entraver la «créativité» de BP, de Shell et d'Exxon Mobil. Ainsi, les dirigeants du Minerals Management Service (MMS) dans le département de l'Intérieur avaient un drôle d'arrangement avec leurs confrères dans l'exploitation du pétrole: au lieu de faire payer comptant le privilège d'exploiter le domaine public (comme le golfe du Mexique), le gouvernement américain acceptait des paiements en pétrole. Encore plus bizarre, le MMS n'a jamais pu démontrer de façon crédible qu'il recevait autant d'argent en revendant le pétrole brut que s'il était payé en argent liquide par les sociétés privées.
Cette opacité entre le gouvernement et le privé est le fruit d'une longue histoire de corruption entre les intérêts pétroliers et les soi-disant agents de la régulation — intérêts parfois très personnels. Comme l'a expliqué Bryant Urstadt dans Harper's Magazine l'année dernière, «non seulement quelques employés du MMS couchaient, au figuré, avec l'industrie pétrolière, mais d'autres faisaient la fête avec leurs homologues dans le privé, ce qui leur avait valu le sobriquet de grisettes du MMS». Étant donné les relations chaleureuses du point de vue financier, ce n'est pas surprenant que les liens aient été également serrés sur le plan technique — pour tout ce qui concerne la sûreté des plateformes et leurs trépans.
Peut-être plus surprenant est le fait que presque rien n'a changé, à part les noms des cadres haut placés d'une administration démocrate prétendument plus sensible à la protection de l'environnement. Le secrétaire de l'Intérieur, Ken Salazar, a eu beau faire démissionner son nouveau chef du MMS (l'infortunée Elizabeth Birnbaum); 36 groupes environnementaux ont revendiqué, il y a deux semaines, la démission de cet ancien sénateur du Colorado, État riche en carburant fossile et en généreux donateurs au Parti démocrate. D'ailleurs, c'est sous l'égide de Salazar que BP obtenait le 6 avril 2009 pour sa plate-forme Deepwater Horizon le privilège, connu sous le nom «d'exclusion catégorique», de forer dans le golfe du Mexique sans avoir obtenu au préalable les permis environnementaux normalement exigés par la loi.
Toutefois, le président Obama se dit déterminé à punir BP et à régler le désastre. Mardi dernier, son porte-parole, Robert Gibbs, a même décrit un Obama «enragé» par la lenteur des tentatives pour boucher la fuite. Comment a-t-il remarqué cette colère? Le président, selon Gibbs, avait «la mâchoire serrée». On pourrait se demander pourquoi Obama était tellement à l'aise lorsqu'il a annoncé le 31 mars (à la grande colère des écologistes) «l'accroissement des forages en mer pour l'exploration de pétrole et gaz — mais de façon à équilibrer le besoin d'exploiter nos ressources intérieures d'énergie et le besoin de protéger les ressources naturelles de l'Amérique».
Cette déclaration banale d'Obama a suscité une réplique clairvoyante de l'environnementaliste Richard Carter: «L'histoire va juger cela comme un pas vers la dépendance continue sur des carburants fossiles et vers la création de zones sacrifiées dans des endroits longtemps protégés.»
Or, les sacrifices ont débuté avec la mort de onze ouvriers dans l'explosion du Deepwater Horizon et l'effondrement de la plate-forme. Demeure toutefois la question suivante: le peuple américain est-il prêt à faire des sacrifices et à mettre fin à sa dépendance aux énormes voitures inefficaces qui les fait élire des antiréformistes comme Bush et Obama qui ne demanderont jamais aucun sacrifice à leurs concitoyens? Observant le défilé des SUV et 4X4 sur l'autoroute de Long Island lors du long week-end férié du Memorial Day, je n'ai remarqué ni esprit de sacrifice ni créativité. En revanche, notre autodestruction semble avancer régulièrement, à peu près à la même vitesse que la couche de pétrole se répand vers la côte de la Louisiane.
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John R. MacArthur est éditeur de Harper's Magazine, publié à New York. Sa chronique revient le premier lundi de chaque mois.


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