En ce 1er mai animé et à l’aube d’une possible grève générale à l’automne, un regard rétrospectif s’impose sur la démarche de 1995 pour atteindre l’équilibre budgétaire et celle en cours au printemps 2015.
Si l’objectif est le même, force est de constater que les moyens utilisés diffèrent totalement. Ce qui distingue les deux approches, hors le talent exceptionnel de négociateur de Lucien Bouchard, alors premier ministre, c’est la volonté d’instaurer un dialogue social entre toutes les parties prenantes de la société plutôt que le dialogue de sourds auquel on assiste présentement.
Pour ce faire, en 1996, voulant éviter de rééditer la collision frontale État-syndicats de 1982, le nouveau gouvernement choisissait plutôt de convier le milieu des affaires, les organisations syndicales, le milieu de l’éducation et, pour la première fois, le mouvement des femmes, les associations étudiantes et le mouvement communautaire. Cet exercice de concertation au sommet entre partenaires se déroulera en deux temps, d’abord une Conférence sur le devenir social et économique au mois de mars 1996, puis le Sommet sur l’économie et l’emploi au mois d’octobre de la même année.
Entre les deux rendez-vous, divers chantiers ont été mis en place pour élaborer des propositions concrètes relançant l’économie et l’emploi, tout en se préoccupant des finances publiques, en visant la fin de l’endettement et des déficits et en tentant de développer une vision commune en matière de politique familiale, de formation de la main-d’oeuvre, de caisse de retraite et de lutte contre la pauvreté.
Le Chantier sur l’économie et l’emploi en tant que tel était constitué de quatre groupes de travail portant respectivement sur l’économie sociale, l’entreprise et l’emploi, les régions-municipalités et la relance de la métropole, tous présidés par des personnalités extérieures au gouvernement.
À la conférence de mars, un consensus était atteint pour que le déficit soit éliminé complètement en quatre ans. Personne ne s’étonnera cependant que, pour y arriver, le patronat privilégiait une réduction des impôts et des taxes et une diminution des dépenses gouvernementales alors que les organisations syndicales et communautaires préconisaient la création d’emplois et de nouvelles rentrées fiscales.
Malgré ces divergences, tous acceptèrent de poursuivre l’exercice en prévision du sommet d’octobre dans une sorte de grande négociation sociale. Certes, des compromis furent nécessaires de part et d’autre. Vingt ans plus tard, on se rappelle moins la création d’emplois et autres innovations sociales qui ont résulté des consensus du sommet que l’ampleur des mises à la retraite volontaire avec primes généreuses pour 37 000 employés des secteurs public et parapublic.
De leur côté, les représentants patronaux n’obtinrent pas l’abandon, qu’ils réclamaient à quelques jours du sommet, du projet de loi sur l’équité salariale et de la loi obligeant les entreprises à consacrer 1 % de leur masse salariale à la formation de leur main-d’oeuvre.
Cependant, des dizaines de projets de création d’emplois et d’entreprises, prêts à démarrer, furent retenus, de même que de nombreuses innovations sociales et économiques. Entre autres :
Le développement du réseau des centres de la petite enfance (CPE) ;
La réduction de la semaine régulière de travail de 44 à 40 heures ;
La prolongation à 52 semaines du congé parental ;
Un crédit d’impôt sur la masse salariale lié à la création et au partage volontaire d’emploi ;
Le transfert du fédéral et l’organisation de centres locaux de service (Emploi-Québec) ;
La constitution d’un nouveau type d’entreprises : les coopératives de solidarité.
À cela, il faut ajouter la constitution d’un Fonds spécial de lutte contre la pauvreté par la réinsertion au travail de 240 millions de dollars sur trois ans. Lors d’un premier bilan en février 2000, 2855 projets avaient déjà été acceptés par le fonds, permettant ainsi à 25 269 personnes, dont 47 % de femmes, de sortir de la pauvreté.
D’autres innovations suivront, la même année, soit la Loi sur l’assurance médicaments et la Loi sur le régime des rentes du Québec, qui permettra de doubler les cotisations afin de renflouer la caisse qui se vidait.
Quel contraste
À l’opposé de cette démonstration, ai-je besoin de souligner à quel point le gouvernement du premier ministre Couillard fait fausse route présentement avec sa démarche autoritaire, tant dans la conduite des négociations avec les employés de l’État que dans l’abolition de la participation citoyenne des instances de concertation locales et régionales et des services publics ?
La question latente, à l’égard de l’exercice en cours, qui provoque l’inquiétude est : que recherche véritablement le gouvernement ? Est-ce que, comme le soutenait le président du Conseil du trésor en octobre dernier, « l’opération de révision des programmes dépasse largement l’objectif du déficit zéro et vise un repositionnement de l’État » ? Pour faire quoi et aller où ? Voilà la question !
Les déficits zéro de 1995 et 2015, même combat?
Il y a 20 ans, l’opération s’était faite sous le signe de la concertation
Un gouvernement de plus en plus autoritaire
Louise Harel7 articles
Membre de l’Assemblée nationale (1981-2008) et ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole de 1998 à 2002
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