Le 15 janvier dernier, le Parlement britannique a rejeté l’accord transitoire sur le Brexit négocié avec Bruxelles. Theresa May a depuis redoublé d’efforts afin d’en arriver à une version amendée qui puisse générer une majorité parlementaire. Deux amendements potentiels ont été appuyés le 29 janvier, désignant la marche à suivre : le premier précise que le Parlement rejette l’idée d’une sortie sans entente, et le second que le « filet de sécurité nord-irlandais » doit être temporaire, ce que l’Union européenne (UE) refuse de garantir. Les pronostics vont donc bon train concernant la possibilité d’un report de la date d’entrée en vigueur du Brexit, le 29 mars, ou d’une sortie de l’UE, du marché unique et de l’union douanière sans accord transitoire.
Si cette seconde possibilité s’avérait, le Royaume-Uni et l’UE devraient, au mieux, en référer aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour régir leurs relations commerciales jusqu’à ce qu’une entente soit finalement conclue. Les conséquences en seraient potentiellement importantes, notamment parce que cela impliquerait le retour d’une foule de barrières tarifaires et non tarifaires appliquées au commerce des biens et services.
Bien que le commerce avec l’UE soit en recul relatif depuis vingt ans, il représente encore la moitié des flux commerciaux britanniques totaux. L’économie britannique souffre de plus d’un déficit croissant avec l’UE sur le plan du commerce des marchandises, qui s’explique notamment par sa dépendance envers les importations d’Allemagne. L’imposition de nouvelles barrières tarifaires et non tarifaires sur les exportations britanniques vers l’UE contribuerait à creuser ce déficit, en plus d’entamer le surplus commercial dont jouit le Royaume-Uni par rapport à l’Europe dans le secteur des services financiers et corporatifs.
Un retour aux règles de l’OMC, qui couvrent peu les services financiers, est donc problématique. Cela nécessiterait l’établissement de contrôles douaniers, y compris entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, ce qui contreviendrait aux accords de paix de 1998. Le pays ferait aussi face à une foule de barrières non tarifaires (réglementations, mesures sanitaires, quotas, etc.), qui toucheraient notamment ses secteurs pharmaceutique et agroalimentaire, ainsi qu’aux tarifs communs européens qui sont assez élevés sur les produits du textile (12 %) et agricoles/agroalimentaires (entre 5 % et 40 %).
Secteurs touchés
En Angleterre, les secteurs manufacturiers (automobile, textile) et des services financiers seraient probablement les plus touchés. En Irlande du Nord, le secteur aéronautique, et celui de l’ingénierie plus largement, qui dépend en partie de l’Europe, serait déstabilisé. En Écosse, enfin, les industries agroalimentaire (whisky, produits de la mer), de l’énergie, du tourisme et des biotechnologies (ces deux dernières dépendant de la libre circulation des personnes) paieraient le prix.
Bien que les chaînes d’approvisionnement européennes des grandes entreprises risquent d’être ébranlées, ces firmes sont relativement bien préparées. Elles ont eu plus de deux ans pour mettre en place des équipes de spécialistes consacrées à la transition, puis elles peuvent procéder à des mises à pied et à des délocalisations vers l’Irlande ou l’Europe continentale. Cela ne se ferait pas sans heurts, mais les choses risquent de se compliquer sérieusement, même pour ces grandes entreprises, pour les chaînes d’approvisionnement qui les lient aux PME, qui n’ont les moyens ni de se préparer ni de s’ajuster à une sortie brutale.
Nonobstant le risque d’une dévalorisation de la livre sterling, enfin, le secteur financier britannique est si dominant à l’échelle de l’Europe et si internationalisé que le Brexit n’est pas susceptible d’y provoquer un effondrement. Un secret de polichinelle court même dans le milieu à savoir qu’un no deal pourrait être moins dommageable qu’un accord forçant une harmonisation réglementaire avec l’UE après le Brexit, puisqu’alors le secteur financier londonien devrait s’ajuster à une législation européenne de plus en plus dominée par Francfort et Paris, dont les cultures financières diffèrent.
Bref, les effets d’une sortie sans accord varieraient selon les régions, les secteurs et les entreprises. En principe, le gouvernement britannique pourrait appliquer un libre-échange « unilatéral » à ses importations de l’UE, mais il devrait alors l’étendre à tous ses partenaires membres de l’OMC en vertu de la clause de la « nation la plus favorisée ». La pression serait donc forte pour que de nouveaux accords soient plutôt conclus rapidement avec les États-Unis, avec lesquels le Royaume-Uni jouit d’un surplus commercial, avec les pays du Commonwealth, dont le Canada, puis avec certains pays asiatiques. Que l’appétit pour de tels accords soit réciproque reste cependant à voir.