Mardi, la Banque du Canada décidera d'ajuster ou non son taux directeur. La situation est tendue.
Avec la montée en flèche du dollar canadien au cours des derniers mois, on a rapidement assisté à un concert de pressions politiques sur la Banque du Canada et sur le gouvernement canadien à l'effet de baisser le taux d'intérêt. Certains ont même suggéré de fixer la valeur du dollar canadien, d'autres allant jusqu'à souhaiter l'adoption pure et simple du dollar américain par le Canada!
Mais que fait au juste la Banque du Canada dans tout cela? Est-elle indifférente au niveau et aux fluctuations du taux de change? Devrait-elle l'être? Plusieurs commentaires au cours des dernières semaines, notamment par des gens de la classe politique, laissent supposer une incompréhension importante du rôle joué par une banque centrale dans l'économie. Sans une compréhension adéquate de ce rôle, comment peut-on se permettre de prôner une baisse des taux ou les avantages d'une monnaie unique.
D'abord, il est important de réaliser que la politique monétaire est un instrument qui affecte de façon simultanée toutes les régions du pays et tous les secteurs de l'économie. Il ne serait donc surtout pas souhaitable que la Banque du Canada abaisse ses taux pour venir en aide à un secteur de l'économie dans une région particulière, alors même qu'on observe des signes importants de surchauffe dans l'ensemble
Mais, selon nous, l'incompréhension la plus importante vient du fait que l'on semble souvent ignorer que, depuis 1991, le ministère des Finances s'est entendu avec la Banque du Canada pour que celle-ci cible, par sa politique, un taux d'inflation de 2% (en ne dépassant pas une fourchette de 1% à 3%).
Pourquoi une telle entente? C'est qu'en fait la politique monétaire est beaucoup moins puissante qu'on serait tenté de le croire. Si la politique monétaire peut à court terme - sur une période de quelques mois - réussir à stimuler ou freiner l'économie, cet effet est éphémère. Ultimement, ce sont les données fondamentales de l'économie - par exemple sa productivité - qui déterminent sa santé. Ce n'est qu'à travers l'atteinte de sa cible d'inflation que la politique monétaire peut favoriser la bonne santé de l'économie. ()
Ceci ne veut nullement dire que la politique monétaire canadienne ne se préoccupe que de l'inflation, sans égard au taux de change, ou plus généralement à la vigueur de l'économie. La politique monétaire canadienne doit se préoccuper et se préoccupe de la vigueur de l'économie canadienne. Mais tout ce qu'une banque centrale peut espérer accomplir, c'est de mitiger, par la bonne conduite de sa politique en fonction de sa cible, les fluctuations à court terme dans l'activité économique du pays. C'est par ce biais qu'elle peut le mieux soutenir la vigueur de l'économie canadienne.
La Banque du Canada a donc une latitude pour répondre aux fluctuations du taux de change si elle le juge nécessaire. Mais elle ne le fera que dans la mesure où le mouvement du huard est susceptible d'entraîner un ralentissement de la croissance économique à court terme sous le potentiel.
Le fait de ne pas intervenir directement sur la valeur du dollar ne veut donc nullement dire que la Banque du Canada n'a aucune considération pour les fluctuations du taux de change dans sa politique. ()
La Banque du Canada doit donc évaluer l'ensemble des forces en place et agir, tout en étant consciente des limites importantes auxquelles elle fait face. Le taux de change est un élément important de sa prise de décision et elle peut y répondre si nécessaire. Mais le taux de change n'est qu'un aspect de l'économie et n'est pas un but en lui-même. L'objectif ultime de la Banque du Canada est de favoriser une croissance aussi importante que possible sans engendrer d'inflation.
Et depuis 1991, la politique monétaire canadienne a eu énormément de succès. Si on en juge par l'engouement pour le dollar canadien, par la bonne tenue de l'emploi au Canada (taux de chômage le plus bas depuis plus de 30 ans), par la résilience de l'économie face à de multiples chocs au cours des 15 dernières années et au fait que le pays a même été protégé des dernières récessions de nos voisins du Sud, on peut conclure que cette politique a en effet contribué à rendre l'économie canadienne plus robuste.
Bien qu'elle n'ait jamais attiré l'attention populaire autant que le maestro de la politique monétaire américaine, Alan Greenspan, il est important de remarquer que la conduite de notre politique monétaire depuis 1991 fait l'objet d'admiration à l'extérieur du pays. Tellement, en fait, que nos voisins du Sud, comme Ben Bernanke, l'actuel président de la Fed, en a fait l'annonce la semaine dernière, sont sur le point de calquer leur politique monétaire sur la nôtre.
Les billets seront toujours plus verts chez nos voisins du Sud Mais avant de nous débarrasser de notre huard, de notre banque centrale ou de sa politique, assurons-nous de bien comprendre ce que nous avons construit
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Jean Boivin
Daniel Racette
Les auteurs sont professeurs à l'Institut d'économie appliquée de HEC Montréal.
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