Dans son film Sicko, Michael Moore propose une critique cinglante du système de santé américain et un éloge inconditionnel des systèmes canadien, français, britannique et même cubain.
Évidemment, on peut pardonner au cinéma de montrer une certaine caricature de la réalité et de présenter seulement un côté de la médaille, ce qui est justement le cas de ce film traitant des différents systèmes de santé. Il est donc utile d'effectuer une mise au point et de ramener le débat sur des faits et des comparaisons valables. Chacun des systèmes comporte ses forces et ses failles et on doit s'inspirer des qualités des autres tout en essayant d'éviter leurs défauts. S'il est vrai que le système de santé aux États-Unis souffre de plusieurs problèmes et qu'il est loin d'être parfait, les causes de ces problèmes ne sont pas celles qu'on pense.
Un système totalement privé ?
Contrairement aux mythes qui circulent, les dépenses publiques de santé sont plus importantes aux États-Unis que dans la plupart des pays de l'OCDE et d'importants régimes publics d'assurance maladie existent dans ce pays. Parmi les 30 pays de l'OCDE, les États-Unis sont au neuvième rang, juste derrière le Canada, pour ce qui est du ratio de dépenses publiques de santé par rapport au PIB (6,8 et 6,9% respectivement).
Les problèmes du système de santé américain découlent, en grande partie, non pas de son caractère privé -- le système suisse est fondé sur des assurances privées et n'a pas les mêmes problèmes -- mais plutôt de la lourde réglementation à laquelle il est soumis et de la façon dont le système d'assurance fonctionne. Le traitement fiscal favorisant les assurances obtenues auprès des employeurs et la faible participation directe des assurés aux coûts des soins sont en partie responsables du gonflement des primes d'assurance et de la présence d'une certaine proportion de personnes non assurées ou mal assurées.
Des systèmes parfaits totalement publics ?
Le système de santé canadien souffre à son tour de plusieurs maux. Les listes d'attente pour les interventions chirurgicales et les tests diagnostics continuent de s'allonger malgré l'injection de milliards de dollars supplémentaires. Le Canada est l'un des rares pays qui, en même temps, dépense un fort pourcentage de son PIB en santé (9,9 % en 2003 contre une moyenne de 8,7 % pour l'OCDE) et connaît des problèmes importants de listes d'attente. Pour ce qui est de la scène de l'attente aux urgences au Canada — attente qui ne dépasse pas les 45 minutes — elle se passe de commentaire pour tout Canadien ayant expérimenté l'attente aux urgences.
Dans les deux autres modèles, soit le modèle français et britannique, comme dans la grande majorité des autres pays de l'OCDE qui ont un accès universel aux soins de santé, le secteur privé occupe une place assez importante. Ce rôle passe par l'une ou l'autre des formes suivantes : fourniture de soins de façon privée avec financement public, financement privé par les assurances et des contributions des usagers et partenariats public-privé pour l'ensemble des soins de santé, y compris les soins assurés par le régime public.
En France, le chiffre d'affaires de la Générale de Santé, le plus grand groupe français d'établissements de santé privés, s'est élevé à environ 2,5 milliards de dollars canadiens en 2006, une hausse de 21,3 % par rapport à 2005. Quelque 5 200 médecins exercent au sein de ses cliniques. Au Royaume-Uni, le gouvernement a mis les hôpitaux publics en concurrence entre eux et aussi avec des établissements privés (souvent la propriété d'entreprises étrangères) pour accroître leur productivité et réduire les listes d'attente. Ailleurs, comme à Stockholm en Suède, le recours au privé a également permis de réduire les listes d'attente et d'accroître la productivité du système.
Quelles sont les solutions?
Que le système de santé américain ait besoin de réforme, c'est sans doute vrai. D'ailleurs, c'est aussi le cas pour les autres systèmes présentés. Les réformes les plus innovatrices permettant d'améliorer le système de santé américain passent par une responsabilisation accrue du patient-consommateur. Il n'est pas étonnant que ces solutions ressemblent à celles proposées pour remédier aux problèmes du système de santé canadien. On parle notamment de comptes d'épargne-santé aux États-Unis et de contributions de l'usager au Canada.
Parallèlement, comme cela se fait dans d'autres pays, différents mécanismes d'exemptions, de maximums annuels ou de crédits d'impôts peuvent être prévus pour assurer l'accès aux moins bien nantis et aux patients aux prises avec des maladies graves. Une libéralisation des mécanismes de l'offre, aussi bien sur le plan de la fourniture de soins que celui du financement, est également nécessaire pour accroître la productivité dans le système de santé. Ces solutions, nécessaires même si elles sont un peu complexes, dépassent malheureusement le cadre de n'importe quel film de divertissement.
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Norma Kozhaya, PhD.
Économiste
Institut économique de Montréal
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