Le syndrome du micro

Quelle que soit la commission, il faut s'attendre à y entendre une litanie de doléances historiques, de préjugés et de craintes

"Y a-t-il jamais eu d'idée plus folle, plus xénophobe, que cette proposition de Pauline Marois" ... Aucun test linguistique n'existerait donc nulle part ?...



À mes débuts en journalisme, j'ai appris une leçon qui m'aide à comprendre - un peu - les dépêches émanant des audiences de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables au Québec.
Je couvrais à l'époque les audiences pancanadiennes de la commission Pepin-Robarts. C'était en 1977 et en 1978. Cette commission avait été créée par le premier ministre Trudeau après l'élection du Parti québécois en 1976. La commission a entendu des témoignages de St. John's à Victoria et tout groupe ou individu était libre de s'y exprimer sur la situation au Canada.
La leçon que j'ai apprise est la suivante. Quand une personne se présente devant un microphone et qu'on lui demande de parler de questions existentielles d'identité, il faut s'attendre à une avalanche de doléances historiques, de préjugés, de craintes, de mythologies et de clichés.
La même chose s'était produite durant les audiences de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, dans les années 60, et lors des audiences parlementaires sur l'Accord du Lac Meech sous la direction de Jean Charest, alors député conservateur.
Il y a quelques années, le gouvernement de Terre-Neuve a créé une commission royale d'enquête sur l'avenir de la province au sein du Canada. On y a entendu une litanie de plaintes au sujet du traitement "injuste" de Terre-Neuve depuis son adhésion à la Confédération en 1949. Peu de défenseurs du Canada s'étaient présentés au micro.
Interventions prévisibles
Certaines des interventions devant la Commission Bouchard-Taylor étaient donc prévisibles. Le syndrome du micro, si l'on peut dire. Toute idée folle ou préjugé brutal y sera entendu - le contraire de l'accommodement raisonnable.
Bien sûr, des personnes sensées et tolérantes se présentent aussi au micro. Mais voici une autre vérité de la Palisse: les mauvaises nouvelles se vendent mieux que les bonnes, et les commentaires outranciers sont rapportés plus souvent que les interventions raisonnables.
Les médias méritent ici d'être blâmés et, à cause de ce défaut, les personnes qui suivent les audiences de la Commission Bouchard-Taylor dans les médias se feront servir une image déformée des attitudes des Québécois.
Ces observations qui se veulent charitables à l'endroit de la Commission et, par extension, à l'ensemble du Québec n'expliquent pas cependant ce qui se passe ailleurs dans la province. Certains d'entre nous croyions que le Québec, cette "nation" qui se dit confiante et francophone, avait délaissé les vieilles phobies. Pas complètement, à ce que l'on voit.
Comment expliquer cette tentative du Bloc québécois et du Parti québécois de jouer de nouveau la carte linguistique? La langue française n'a jamais été plus forte au Québec. La proportion de la population qui vit, pense et travaille en français n'a jamais été plus élevée.
Et pourtant, voici que des politiciens supposément responsables comme Gilles Duceppe et Pauline Marois attisent la peur que d'"autres" - anciennement les Anglais, maintenant les immigrants - menacent le français.
Un grand leadership?
M. Duceppe croit-il vraiment faire preuve d'un grand leadership en dénonçant la menace du "multiculturalisme" canadien alors que la majorité du Québec n'est pas et ne sera jamais multiculturelle?
Y a-t-il jamais eu d'idée plus folle, plus xénophobe, que cette proposition de Pauline Marois à l'effet qu'aucune personne ne puisse devenir citoyen sans réussir un examen pour démontrer une connaissance du français? Elle exige plus qu'une capacité de se débrouiller en français. Il lui faut une maîtrise appropriée de la langue - supérieure, espérons-le, à la maîtrise de l'anglais de Mme Marois.
D'où viennent ces craintes qu'on puisse un jour accepter au Québec - ou ailleurs au Canada, dans le monde occidental et dans la quasi-totalité des pays musulmans - que des femmes soient lapidées?
Et qu'en est-il de ces craintes au sujet du vote de femmes voilées, même quand elles présentent des pièces d'identification? Si nous craignons de permettre à des femmes voilées de voter - et combien y en a-t-il? - que ferons-nous des milliers de Québécois et Québécoises qui votent par la poste aux élections provinciales et fédérales? Devra-t-on les disqualifier parce qu'on ne voit pas leur visage sur les bulletins de vote postaux?
Pourquoi cette peur des "autres" est-elle articulée avec plus de force aux endroits où il n'y a pas "d'autres" ? Dans une société moderne et sophistiquée où les leaders, même sécessionnistes, ne cessent d'affirmer l'ouverture du Québec sur le monde, pourquoi ces craintes existent-elles quand de petits fragments du monde extérieur s'amènent au Québec?
Jusqu'à maintenant le spectacle n'est pas édifiant, même en tenant compte du syndrome du micro. Peut-être l'ancien premier ministre Brian Mulroney avait-il raison dans ses mémoires quand il a qualifié les Québécois francophones de "tribu". Les tribus, nous le savons, coexistent difficilement avec "les autres".
MM. Bouchard et Taylor sont des universitaires respectés. Espérons qu'ils puissent expliquer que le pluralisme constitue un avantage dans toute société moderne, et non une menace.
L'auteur est chroniqueur au Globe and Mail.


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