Le syndrome de l'Élysée

Boisclair à Paris



Notre collègue Louis-Bernard Robitaille vit à Paris depuis tellement longtemps qu'il sait certainement mieux que quiconque de ce côté-ci de l'Atlantique comment décrypter les déclarations parfois anguleuses des politiciens français.
On veut bien le croire, donc, quand il écrit que Ségolène Royal a «apporté un appui inattendu et EXPLICITE à la cause souverainiste», mais à première vue (ou plutôt, à première écoute), la déclaration de la candidate socialiste à la présidence paraissait un brin plus torturée.
Sans se lancer dans une exégèse poussée, ce que l'on fait chaque fois qu'un politicien français parle du Québec, une chose est sûre : Mme Royal a dépassé la limite traditionnelle en laissant clairement entrevoir une sympathie pour une option plutôt que pour l'autre.
Elle a franchi ce que l'on pourrait appeler la «ligne Mitterrand», qui avait déclaré en 1995 que la «France accompagnerai toujours le Québec, sans le précéder». La preuve que Mme Royal a fauté, c'est qu'elle a tenté elle-même de corriger le tir hier matin. Si, comme elle le dit, sa déclaration avait respecté la position traditionnelle de «non-ingérence, non-indifférence», elle n'aurait pas provoqué un tel tollé et, surtout, elle n'aurait pas eu à y revenir. Après tout, la dame doit avoir bien d'autre chose à faire ces temps-ci que de se préoccuper du résultat imprévisible d'un référendum incertain à 6000 kilomètres de chez elle.
Décidément, Paris produit de curieux effets sur nos débats intérieurs. À l'ombre de la tour Eiffel, les fédéralistes québécois deviennent immanquablement plus nationalistes et les souverainistes, plus pressés de réaliser l'indépendance. On devrait peut-être faire la prochaine campagne électorale provinciale à Paris. D'abord, on boufferait mieux et puis l'air de la Seine délierait la langue de nos chefs politiques.
Rappelez-vous Jean Charest, l'été dernier, qui avait affirmé lors d'une entrevue à la télévision française que le Québec a les moyens d'être souverain, une évidence qu'il n'aurait jamais eu l'audace de mentionner ici.
C'est aussi par l'entremise d'un média français, le magazine L’Express, que M. Charest avait dit haut et fort le printemps dernier que «le Québec est une nation».
Sans oublier, bien sûr, les visites mémorables de Lucien Bouchard et de Jacques Parizeau à Paris. M. Bouchard était sorti triomphant de l'Élysée, en avril 2000, après une rencontre avec le président Jacques Chirac. M. Bouchard avait sorti un petit bout de papier sur lequel il avait soigneusement noté les propos du président, comme s'il s'agissait de paroles prophétiques. «Quel que soit le chemin que le Québec empruntera, la France est prête à l'accompagner, dans un esprit d'amitié et de solidarité», avait dit le président Chirac, une phrase qui veut dire une chose et son contraire, mais qui avait donné lieu ici à un débat passionné.
Même chose avec les propos de Mme Royal. Mais cette fois, on ne pourra pas reprocher à André Boisclair d'être allé quémander des appuis en France. Ségolène Royal a fait ça toute seule et le chef du Parti québécois a même minimisé lui-même sa déclaration.
Il y avait longtemps que le sismographe des relations canado-françaises avait enregistré une telle secousse. C'est vrai que le front souverainiste était bien tranquille dans la capitale française depuis quelques années.
Tellement tranquille, en fait, que l'ambassade du Canada à Paris a apparemment oublié de briefer Ségolène Royal sur l'importance du principe de non-ingérence avant la visite d'André Boisclair. Si cela a été fait, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'ambassadeur ou ses attachés n'ont pas été très convaincants.
L'ambassade aurait-elle baissé la garde avec le changement de gouvernement à Ottawa? Chose certaine, une telle chose ne se serait pas produite sous Raymond Chrétien, ancien ambassadeur du Canada en France et neveu de l'ex-premier ministre.
Ironiquement, c'est donc à Paris qu'aura eu lieu le premier épisode de la bataille préréférendaire qui s'annonce au Québec. Et à en juger par la réaction forte des Jean Charest, Stephen Harper et Stéphane Dion, le coup a porté.
Quel sera l'impact ici de la déclaration de Ségolène Royal? Fugace, vraisemblablement. On est habitué à ces jeux de mots au Québec et ils nous amusent plus qu'ils ne nous influencent.
En fait, cette sortie inopportune risque de faire plus de mal à Mme Royal chez elle que de bien à André Boisclair ici. Déjà que les adversaires politiques de la candidate socialiste mettaient en doute son jugement et sa capacité de diriger la France, notamment à cause de son inexpérience de la scène internationale, ils ont sauté hier sur son faux pas avec une joie sadique.
Manque de jugement et inexpérience, c'est aussi ce que les libéraux disent ici d'André Boisclair. Le chef du PQ, il est vrai, a connu plus de succès à Paris cette semaine qu'au Québec depuis quelques temps.
Comme l'écrivait hier notre chef de bureau à Québec, Denis Lessard, dans un excellent tour d'horizon, M. Boisclair souffre d'un grave problème de crédibilité au sein de ses propres troupes.
Chez les souverainistes, on murmure aussi que le PQ connaît d'inquiétants problèmes de financement depuis l'élection d'André Boisclair. Mais ça, c'est une autre histoire...


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