Depuis 1982, la constitution et la charte canadienne des droits sont devenues au fil des années les symboles de l’identité canadienne.
Une constitution et une charte que le Québec n’a pas signées, mais qui lui imposent tout de même une construction juridique où le multiculturalisme et le respect des droits des minorités ont contribué à éroder tout ce qui le distinguait du reste du Canada, en particulier sa langue et sa culture.
L’épisode des accords du Lac Meech a démontré l’extraordinaire force tyrannique de cette nouvelle constitution dont la formule d’amendement rend pratiquement impossibles toutes modifications qui pourraient y être apportées et amener le Québec à la signer.
Une construction légale, mais illégitime, dans le cas du Québec, comme l’a reconnu la Cour Suprême du Canada.
Une illégitimité qui ne sera toutefois d’aucune utilité tant que le Québec demeurera une province du Canada, alors qu’il peut recourir à la clause dérogatoire lorsqu’il souhaite aller à l’encontre d’une ou de plusieurs dispositions de la Charte canadienne des droits.
Dans cette perspective, la constitution et la charte des droits ne s’imposant pas légitiment au Québec, il n’y aurait aucune honte à recourir à la clause dérogatoire. Il serait même légitime de le faire compte tenu des circonstances lors desquelles cette charte lui a été imposée.
Ainsi, si Pauline Marois est vraiment sincère dans son projet de charte des valeurs, rien, légalement, ne l’empêcherait de le réaliser à l’intérieur du Canada. Une majorité de voix à l’Assemblée nationale suffirait à lui donner la légitimité nécessaire.
Il n’y aurait donc rien de répréhensible à devenir démocratiquement une province officiellement laïque, même si cela va à l’encontre de la Charte canadienne des droits.
À plus forte raison, les Québécois peuvent même être consultés sur le sujet et décider de recourir à la clause dérogatoire s’ils veulent vraiment habiter une province laïque tout en demeurant au sein du Canada sans qu’on puisse les traiter de xénophobes.
Voilà pourquoi, si j’étais fédéraliste, j’encouragerais le gouvernement du Québec dans sa démarche et je l’accuserais d’hypocrisie s’il ne recourait pas à la clause dérogatoire pour atteindre son objectif compte tenu des avis juridiques partagés sur le sujet.
Voilà pourquoi, à mon avis, l’idée d’une charte de la laïcité ne conduit pas à l’indépendance du Québec.
Voilà pourquoi le projet de Charte n’est pas un projet indépendantiste, mais un projet nationaliste qui peut très bien s’intégrer au sein du Canada, même s’il va à l’encontre de la Charte canadienne de droits et de l’idée qu’une majorité de Canadiens se fait du Canada.
Comme je l’écrivais dans une récente chronique, si le Québec était déjà un pays, cette question ne se poserait probablement pas. À Rome, on fait comme les Romains. Or, les immigrants n’immigrent pas au Québec, mais au Canada. Ils font donc comme les Canadiens. S’ils immigraient au Québec, ils feraient comme les Québécois et la question du foulard dans les services publics ne se poserait pas de la même façon.
Par ailleurs, il faut être aveugle pour ne pas constater que si la Charte reçoit l’appui d’une majorité de Québécois, ces derniers ne sont pas tous des indépendantistes.
En fait, si ce projet reçoit l’appui d’une majorité de Québécois dont la fibre nationaliste vibre et même si faire du Québec une province laïque est un projet légitime, cela ne fait pas du Québec un pays.
Cela risque même d’en retarder l’échéance, satisfaisant la plupart des nationalistes mous qui souhaitent habiter un Québec fort dans un Canada uni si le recours à la clause dérogatoire leur permet de le faire.
La seule façon de faire l’indépendance, c’est d’en faire la promotion en utilisant tous les outils à notre disposition, pas seulement l’identité.
La crainte de Jacques Parizeau est qu’en titillant la fibre identitaire, on divise plus qu’on unit les Québécois sur la question de l'indépendance, étant clair dans son esprit que nationalisme et indépendantisme ne sont pas des synonymes.
En ce sens, même si ce projet est légitime, faire du Québec une province laïque ne conduit pas nécessairement à l’indépendance.
Si l’un n’empêche pas l’autre, soutenir que l’un conduit à l’autre est certainement un syllogisme.
***
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Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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5 commentaires
Louis Lapointe Répondre
11 novembre 2013Tu as bien raison Claude, l’idée de devenir un état américain n’était pas l’idée du siècle. Toutefois, l’idée de république a survécu. Ce qui prouve bien que ce n’était pas une si mauvaise idée que ça.
Alors l’individu «devient ce que déjà lui prédisait l’apprentissage de la lecture : le citoyen d’un pays, le responsable d’une histoire, le participant à un imaginaire collectif. »
Citoyen de la république plutôt que sujet de la reine...
Le sens de cette citation?
Un bon sujet pour une prochaine chronique.
Cordialement,
Louis
Archives de Vigile Répondre
11 novembre 2013Cher Louis,J'attends tes commentaires là-dessus.
Je suis désolé d'avoir confondu les dates de parution de deux de tes textes auxquels j'ai fait référence dans mon commentaire d'hier. J'avais oublié que le premier datait du 3 novembre 2007, l'année de la déconfiture d'un PQ sous l'égide d'André Boisclair. L'année où celui-ci avait laisser toutes les coudées franches à l'ADQ de Mario Dumont, un parti qui, mieux que le PQ, a su mettre en jeu la question identitaire pour gagner le vote des électeurs.
On fait de la politique, ou bien on en fait pas!
Dans ce texte du 3/11/07, tu places bien au début de ta propre prause, les dernières phrases de Genèse de la nation québécoise. À mon avis, tu fais presque dire le contraire de ce que pense Fernand Dumont si on lit plus miticuleusement les 16 pages de la conclusion de son livre.
Tu cites donc ainsi Dumont: "Ou bien l'individuOu se réfugie dans l’enclos de la vie privée et, croyant ainsi jouir de sa liberté, il abandonne aux pouvoirs anonymes le soin de déchiffrer l’histoire. Ou bien il décide de contribuer à l’édification d’une référence habitable autrement que dans les coutumes devenues insuffisantes. [...]"
Si j'ai bien compris, selon toi, les patriotes seraient le modèle idéal pour arriver à cet objectif. Tu écris: "S’il veut se réaliser et, pour ce faire, trouver des assises dans l’ensemble de la population québécoise, le projet d’indépendance doit continuer à être républicain dans l’esprit des « Patriotes » et s’attacher plus à la reconnaissance du citoyen qu’à celui de la nation. Vivre ensemble dans un pays souverain est un défi qui interpelle tous les Québécois, pas seulement la nation canadienne-française."
Quant à moi, je suis plutôt d'avis que Fernand Dumont a bien vu la faille chez les patriotes: le fait de trop vouloir occulter le contexte culturel et même politique dans leur démarche. Je l'ai en tout cas très bien senti en lisant en page 327: "Entre la nation et la politique, le raccord avait failli se produire dans les années 1830, par la médiation de l'idée de république. Après qu'on l'eut prise comme modèle, la société américaine devait, selon certains, intégrer le Bas-Canada. Mais comment concilier pareille intégration avac la survie de la nation?"
Il faut lire ensuite ce que pense Dumont de la position des Rouges, donc de Papineau, après l
Cordialement,
Claude G.
Louis Lapointe Répondre
10 novembre 2013Cher Claude,
Tu me reproches aujourd’hui un texte que j’ai publié il y a 6 ans dans le Devoir du 3 novembre 2007 et que Bernard Frappier avait repris sur Vigile avant même que je devienne chroniqueur, preuve qu’il appréciait ce texte à l’époque.
J’ai écrit 487 chroniques depuis ce jour. Je me suis même expliqué sur ce texte de 2007 dans une chronique du 5 mai 2008. http://www.vigile.net/De-la-nation-a-la-consommation-l
Mon propos d'aujourd'hui est que le débat sur la Charte des valeurs ne fait pas nécessairement avancer la question de l’indépendance.
Rien de nouveau, puisque j’ai défendu le même point de vue avec des arguments différents dans plusieurs chroniques au cours des derniers mois.
Je fais même référence à plusieurs de ces textes en bas de page, auxquels j'en ai ajouté d'autres, dont un écrit en 2009.
http://www.vigile.net/Le-syllogisme-de-Pauline
D’ailleurs, dans une dépêche de la presse canadienne publiée en fin de journée par le Devoir, Pauline Marois confirme que le but de Charte n’est pas de mousser l’indépendance.
http://www.ledevoir.com/politique/quebec/392280/le-deficit-zero-demeure-un-objectif-legitime-dit-francois-gendron
Si tu es d’accord avec Pauline Marois, tu risques donc d’être d’accord avec mon texte d’aujourd’hui.
Mon propos d’aujourd’hui vise essentiellement à faire la démonstration que :
«même si ce projet est légitime, faire du Québec une province laïque ne conduit pas nécessairement à l’indépendance. Si l’un n’empêche pas l’autre, soutenir que l’un conduit à l’autre est certainement un syllogisme.»
comme je l’écris en conclusion.
Cordialement,
Louis
Archives de Vigile Répondre
10 novembre 2013Bonsoir Louis,
Je ne pensais pas avoir un jour à me trouver en profond désaccord avec toi et, ceci, sur un sujet aussi sensible. Et brûlant.
Dans tes deux textes, ceux du 3 et du 10 novembre, tu distingues deux façons d'en arriver à l'émancipation du Québec. 1.- par la nationalisme 2. - par l'indépendantisme.
Pour toi, le nationalisme est naturellement conservateur. À ce nationalisme, à l'instar de Maria Mourani et de quelques autres, tu y ajoutes le qualificatif "d'ethnique".
Ce qui me surprend le plus chez toi, c'est que tu fais référence à Fernand Dumont pour t'éloigner de ce nationalisme que tu qualifie de "conservateur".
Cela me rapelle les chaudes discutions que nous avons un jour eu au conseil exécutif du Rassemblement pour l'indépendance du Québec (RIQ) dans les années 96 ou 97.
Dans cet exécutif, les membres de la ville Québec, tous autour de Claude Bariteau et de Marcel Lefebvre, reprochèrenrt aux trois membres de Montréal, Mathieu Bock-Coté, Richard Gervais et moi-même, de trop se référer à Fernand Dumont pour défendre ce qu'ils appelaient notre "nationalisme ethnique". Selon eux, valait mieux se référer au nationalisme civique (ou politique, c'est selon) de Gérald Bouchard pour en arriver à faire l'indépendance.
Devant un tel cul-de-sac, Bock-Côté, Gervais et moi-même avons alors préféré démissionner du RIQ.
Richard Gervais a cofondé le Parti indépendantiste. On ne peut donc pas l'accuser de ne pas être assez indépendantiste.
Quant à moi, il y a un an, je me suis rallié à Option nationale. Je me rallie maintenant au PQ, car je crois que la question de la charte de la laïcité permet de refaire une certaine unanimité parmi les indépendantistes. Et à provoquer assez les Anglos montréalais pour que les choses débloquent enfin. Sans nécessairement nous aliéner la totalité des Néo-Québécois,
Quant à MBC, je reviendai sur lui dans une autre missive.
Tout ce que je peux me questionner pour le moment, c'est comment, Louis, peux-tu affirmer que le PQ est si conservateur - et si peu indépendantiste - quand les membres du SPQ libre continuent à militer dans ses rangs?
Claude G. Charron
Jean-Claude Michaud Répondre
10 novembre 2013C'est pour cela que je pense qu'une question aussi importante pourrait être soumise à un référendum lors de la prochain élection provinciale en amenant la population à s'exprimer démocratiquement sur chaque point de la charte pour dégager une majorité qui justifierait l'utilisation de la clause dérogatoire pour limiter les droits et libertés pour les signes religieux des employés et consultants au service du gouvernement national du Québec.
Dans le cadre du statut provincial du Québec, c'est la meilleur chose à faire pour limiter la contestation alors que le PQ est minoritaire. Si le PQ ne veut pas s'allier à la CAQ et diluer son projet il n'a pas le choix il doit consulter la population pour passer la loi par la suite.