Le St-Laurent radioactif

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«Sommes-nous obligés de maximiser le danger ?»





Nous commençons à peine à prendre conscience du sérieux de cette histoire de dépotoir de gestion des déchets radioactifs. Elle est assurément de l’ampleur de l’oléoduc Énergie-Est. Le danger pour la santé et l'environnement est réel. Je parle de ce projet de dépotoir proposé par les Laboratoires nucléaires canadiens, gérés par un consortium d’entreprises dont fait partie SNC-Lavalin.


Le projet est d’un million de mètres cubes de déchets, s’étendrait sur 16 hectares et serait actif jusqu’en 2070. Ce projet débuterait en 2020. Être actif pendant cinquante ans, cela signifie faire du « remplissage », puis ensuite surveiller le site pendant 300 ans, jusqu’à l’an 2400 s’il reste encore des êtres vivants sur cette planète. Chalk River, l’emplacement visé, a toujours été un centre de recherche nucléaire de grande importance, et on sait que le Canada a joué un rôle très important dans ce domaine pendant la Seconde Guerre mondiale.


L’emplacement est certes en Ontario, mais à 1 km de la rivière des Outaouais, source d’eau potable de milliers de citoyens, selon le maire de la Cité de Clarence-Rockland, Guy Desjardins. Un kilomètre, c’est vraiment extrêmement proche. Il ne suffirait que d’une petite inondation – on sait qu’il y en a beaucoup et que les changements climatiques contribuent à leur multiplication – pour que l’eau pénètre la zone d’enfouissement et entre en contact avec les déchets nucléaires. Mark Lesinski, le grand patron des Laboratoires nucléaires canadiens, l’avoue : il y a eu des fuites. Il est difficile de filtrer les substances radioactives dans l’eau car certaines sont dissoutes  et la mesure de leur radioactivité dépend de leur concentration plus ou moins diluée.


Et la rivière des Outaouais se jette où ? Dans le fleuve St-Laurent.


De toute façon, même sans inondation, les nappes phréatiques mènent ultimement à la rivière des Outaouais. Le Québec devient alors le dépotoir... du dépotoir.


Mais il y a plus, et je vous invite à lire cet éclairant mémoire si vous souhaitez creuser la question.


Il existe plusieurs de types de déchets radioactifs, classé en quatre catégories : très faible activité, faible activité, moyenne activité et haute activité. En plus de se distinguer par l’intensité de leur radioactivité, ils se départagent aussi par leur durée de vie et leur type de rayonnement alpha, beta et gamma. Les substances nucléaires se désintègrent et se transforment en d’autres produits nucléaires. Plus le niveau d’activité est élevé, plus le déchet doit être enfoui en profondeur ; et les puissants rayons gamma sont très pénétrants.


Dans le cas de Chalk River, les défenseurs du projet prétendent que ce sont des déchets à faible activité, bien que ce ne soit pas rigoureusement documenté. Ils s’engagent aussi à ce que seulement 1 pour cent du 1 million de mètres cubes soit composé de déchets de moyenne activité. Dans un tel contexte, la promesse de 300 ans de surveillance est nettement insuffisante : la radioactivité des déchets de moyenne activité pouvant durer  plusieurs milliers d’années. Avec le temps, les arbres vont abîmer le dépotoir et les animaux vont s’y aventurer.


Pendant ce temps, à Québec, le ministre du Développement durable, David Heurtel, se veut rassurant : il prépare un plan d’urgence détaillant les « procédures à appliquer en cas d’émissions radiologiques », en cas de catastrophe. On dit de l’administration Couillard qu’elle est le « gouvernement des médecins » ; on peut donc s’étonner que ses membres ne sachent pas qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Qu’ont-ils à dire ou à faire pour éviter la catastrophe ?


L’idée d’un dépotoir est bonne en soi. S’il y a des déchets, il faut s’en départir. Mais il y a toujours une manière intelligente de procéder, à commencer par le choix d’un site loin des populations et des rivières. Les dessous du bouclier canadien offriraient, par exemple, un endroit géologique stable et en profondeur.


L’autre élément, c’est qu’il faudrait faire le tri entre les déchets de faible et de moyenne activité. Il n’y a actuellement aucun site d’enfouissement pour les déchets de moyenne activité au Canada... Pourtant, les conditions de traitement de ces déchets, et les dangers qui les accompagnent, exigent de grands précautions.


La facture d’une telle politique de traitement et de transport serait sans doute élevée. Cependant, si nous ne souhaitons pas faire des bébés qui ont trois yeux et quatre doigts, ça en vaut la peine.


Le risque zéro n’existe pas, mais sommes-nous obligés de maximiser le danger ?



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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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